Quelle grande peine m’envahit quand je repense à ces misérables « journalistes » n’ayant même pas vu 50 % du jeu (et je ne parle pas que d’un seul site étant donné ce que l’on a pu lire) qui ont influencé toute une masse de joueurs sous tutelle en traînant le chef d’œuvre magnifique de la XBOX 360 dans la boue. On l’a dit classique en s’arrêtant à des considérations superficielles alors qu’il a su imposer une véritable personnalité qui en fait un jeu unique. On l’a accusé de tous les torts inhérents au genre alors qu’il a essayé, souvent avec succès, parfois en vain, de les gommer en proposant une expérience générale finalement assez différente des classiques du RPG. Et à côté de cela, cette petite « presse » ridicule occultait dans des jeux alignant tous les poncifs du genre avec dix fois plus de force que dans Lost Odyssey ces défauts tant décriés dans ce dernier, nous présentant des jeux médiocres comme des bombes incontournables voire révolutionnaires (je parle ici de titres comme Final Fantasy XIII qui, derrière le strass, ne cache qu’un système de jeu castré et des lieux communs saupoudrées de niaiserie). Vous l’aurez compris, le véritable Final Fantasy XIII, c’est Lost Odyssey ! Classique ? Non ! Il ne l’est pas et je ne puis transiger sur cet aspect-là. Suivez-moi, je vais vous faire découvrir le trésor de la 360…
-- Un millénaire de rêves --
Deuxième jeu estampillé Mistwalker, sorte de Dream Team du JRPG, Lost Odyssey a vu de nombreuses personnalités artistiques japonaises extérieures intervenir dans sa création, en particulier dans le graphisme (décrié et pourtant si pertinent, nous reviendrons dessus) et dans l’originalité la plus visible du titre : les rêves, petite nouvelles disséminées dans le jeu et activées par réminiscence. Une fois le concept créé de bout en bout, le développement a été confié au studio Feel Plus qui a aussi travaillé sur d’autres RPG sur XBOX 360 entre autres. Rassurez-vous néanmoins, il est difficile de ne pas saisir le perfectionnisme et le style Sakaguchi dans Lost Odyssey…
L’histoire du jeu, d’ailleurs écrite par Hironobu Sakaguchi (hors rêves) est assez simple. Alors que Kaïm Argonar, soldat de l’armée d’Uhra, république magique (industrielle) et deuxième puissance mondiale, combattait l’ennemi sur un champ de bataille, une météorite géante jaillit soudain du ciel, annihilant toute forme de vie humaine dans le secteur… toute ? Non ! Immortel de son état, Kaïm est a priori le seul survivant du désastre et, pas de chance, il est aussi devenu amnésique. Interrogé par le conseil de la république d’Uhra, il est finalement envoyé au Grand Sceptre, un réacteur magique géant développé sous le contrôle du conseiller Gongora et soupçonné d’être la cause du désastre. Bien sûr, cette première mission deviendra le prétexte de très grandes aventures…
Sur le base de cette seule trame, de nombreux « journalistes » (quelle jouissance d’encadrer ce terme par des guillemets) ont commencé leur réquisitoire contre Lost Odyssey en le taxant de « classique ». Eh oui, nous le savons bien, tout amnésique est semblable à ceux des autres oeuvres, de même qu’Harpagon est identique à celui de la farce grecque dont il s’est inspiré, c’est même pour cela qu’on a parlé de Grande Comédie pour la première fois… Qu’a-t-on oublié alors ? Premièrement qu’un scénario ne se résume pas à une série d’évènements mais aussi aux dialogues et aussi en une partie de la mise en scène. Deuxièmement, deux histoires narrées de façon différentes constituent deux œuvres différentes ; je ne sais pas d’où vient cette manie de considérer l’originalité scénaristique dans le déroulement de l’intrigue (sans doute pas de France puisqu’on a presque tendance à avoir une vision contraire, plutôt des pays anglo-saxons) mais, quoi qu’il en soit, cette conception est fausse.
Trêve de polémique, entrons désormais dans le vif du sujet (pour cette section de la critique néanmoins). A mon sens, Lost Odyssey se détache du lot en matière de récit de JRPG sur trois points : les moyens de la narration, la maturité de la narration et la qualité générale du traitement de l’histoire.
Pour nous délivrer son récit, Sakaguchi a opté pour un medium peu utilisé avant dans le genre : la littérature. Très présente dans la première partie du jeu, cette dernière joue un rôle fondamental dans le développement de l’ambiance du titre, des enjeux plus symboliques de l’histoire et des liens avec les personnages. De fait, alors qu’elle est parfois présentée comme le moment « chiant » du jeu, cette première partie (grosso modo, les deux premiers DVD) très calme nous fait voyager à travers le monde pour y retrouver des souvenirs ainsi que de nouveaux personnages ; c’est le traditionnel parcours initiatique en somme, celui qui va donner de l’épaisseur à un personnage devenu peu loquace et mélancolique. Sans trop dévoiler d’éléments de découverte (un passage de spoiler me permettra d’en dire un peu plus dans la suite), l’idée centrale des rêves est de nous montrer, par l’exemple d’un personnage dont la vie est infinie, les avantages que peuvent apporter une vie limitée. Plutôt écologiste et humaniste, Hironobu Sakaguchi ne s’est bien entendu pas arrêté là et traitera bien sûr du péché d’insatisfaction permanente, de la guerre, de la prison, des beautés de la nature, etc. La Nature qui reprend ses droits, la difficulté de la vie en communauté, les ravages de la soif de pouvoir des hommes et de l’application en pratique des idéaux moraux et bien d’autres sujets habituels du créateur de Final Fantasy se retrouveront dans ces rêves écrits avec justesse (mais dans un style accessible à tous). S’ils ne sont pas tous de la même qualité, certains se détachent avec brio en exposant des dilemmes moraux pas forcément faciles à traiter et d’ailleurs présentés de façon non-manichéennes. Tirant sur l’émotion et traitant de sujets variés, ils jalonnent l’apprentissage de notre personnage des émotions humaines et sa lente dérive vers l’être mélancolique et dénué d’émotion qu’il est devenu à force de côtoyer la mort, la guerre et la misère.
Au-delà de cela, Lost Odyssey témoigne des efforts faits par ses créateurs afin de moderniser le jeu de rôle orienté narration afin d’offrir au joueur une expérience fluide et non-frustrante. Du côté des mesures simples et vieilles comme le monde (pourtant pas appliquées à tous les jeux…), le joueur a la possibilité de passer les cutscenes du jeu (cela paraît bête, mais qui n’a jamais piqué une crise après un game over en repensant à tout ce qu’il devrait revoir comme cinématiques ?) mais aussi de reprendre sa partie au dernier checkpoint (uniquement dans la quête principale). On pourra bien entendu critiquer cette orientation en la taxant de « casual » mais, pour ma part, je n’ai plus l’âge pour supporter de refaire des combats déjà vus et donc devenus ennuyeux… Ensuite, et c’est pour moi le plus important, le taux de rencontre du jeu s’avère faible ET adaptatif (par exemple, dans les lieux où l’on doit résoudre des « puzzles », le taux de rencontre chute). Cela pourra vous paraître peu mais, de mon point de vue….quelle délivrance ! On a tant critiqué la lenteur des combats (lenteur toute relative à mon sens, j’ai bien plus été irrité par ceux de FF IX ; ou pire, Skies of Arcadia) mais l’on a d’un autre côté rarement dit que leur nombre était bien réduit par rapport au JRPG classique ! La synthèse de toutes ces petites choses pas forcément faciles à énumérer car parfois subtiles est un rythme de jeu finalement très différent de ce que l’on voit habituellement, même chez le frère spirituel du jeu qui est Final Fantasy. Ainsi, si le jeu est « lent », ce n’est absolument pas à cause d’un remplissage en combats ou quêtes annexes bas de gamme (même si, je vous l’accorde, un ou deux donjons sont très ennuyeux même si rarement longs) mais surtout parce que le jeu s’apparente dans sa première partie à un voyage initiatique qui a besoin de s’alimenter d’introspection, de souvenirs, de rencontres et de réflexions sur le monde. Une fois tout ceci mis en place, vient la fin du DVD 2 qui annonce le feu d’artifice qui clôturera le jeu. Ce type de construction n’est évidemment pas sans rappeler le fameux duo des Shenmue.
Nous avons vu ce que Lost Odyssey a apporté au JRPG, des éléments pas forcément très glamour pour un directeur marketing (ce qui est souvent le cas pour les changements sur le fond, on préfèrera les cinématiques de combats qui donnent l’illusion d’un système de jeu dynamique à un pétard mouillé comme Final Fantasy XIII) mais qui ont fait que je Lost Odyssey m’est toujours bel et bien apparu comme un RPG de nouvelle génération ; maintenant, venons-en à la qualité du traitement narratif du jeu… En un mot, celle-ci est excellente et rappelle bien qu’Hironobu Sakaguchi est un conteur de talent, surtout quand il s’associe à des artistes capables de proposer leurs productions respectives en synergie avec celles des autres, permettant à l’expérience de raisonner comme une symphonie et non comme une apposition d’œuvres de qualité non-reliées entre elles. Et c’est cette dernière caractéristique qui fait se démarquer une œuvre majeure d’un titre tout juste bon ou passable ; quand l’image, le texte, l’histoire et la musique s’accordent, c’est le cœur et non la tête qui pousse à continuer à garder sa mannette dans les mains. Cet argument tient notamment pour les rêves dont on parle d’une manière assez loufoque… « L’histoire est inintéressante si l’on excepte les rêves… » ai-je déjà entendu ! Si une telle critique peut se comprendre dans un jeu comme Skyrim qui se contente d’éparpiller des textes fades partout dans le monde, elle n’est absolument pas justifiable dans le cas de Lost Odyssey. En effet ici, non seulement les rêves sont proposés à un moment pertinent du récit (je parle bien sûr des rêves du trajet principal, pas des annexes ; ils font écho à une situation ou à une émotion présente soit dans le récit, soit dans l’ambiance du lieu) mais en plus ils sont mis en scène avec des musiques qui complètent et accompagnent le texte. En sus de tout ceci, on retrouve dans le jeu ce charme des anciens RPG avec leur caméra fixe qui accentue une émotion ou valorise un aspect du paysage. Enfin, pour finir sur deux touches plus originales, le jeu utilise le procédé du « multi-écrans » (je ne connais pas le nom de ceci, il s’agit simplement de montrer plusieurs vues sur une scène sur un même écran) et, le petit détail qui tue, utilise très souvent les vibrations pour immerger le joueur. En définitive, nous avons là encore un jeu qui a joui d’un degré de perfectionnisme narratif très poussé, presque au niveau des Final Fantasy de la PS1 avec un budget visiblement moindre.
Beaucoup d’éléments ont déjà été énumérés au cours de cette critique mais je voudrais tout de même attirer l’attention sur le deuxième point majeur qui fait de Lost Odyssey un JRPG original (c’est-à-dire unique), sa maturité. Las de contrôler un adolescent qui découvre le monde et qui conditionne donc l’angle d’attaque des thèmes du jeu ? Lost Odyssey est fait pour vous ! Adultes et sages, les personnages de Lost Odyssey ont déjà bien vécu, notamment les horreurs de la guerre, la prison, la joie d’être parents, etc. Allant de pair avec cet état de fait, les deux enfants du jeu sont bel et bien des enfants et non des demi-adultes enfermés dans un corps d’adolescent (je ne critique pas forcément ce genre de personnages, ils peuvent tout à fait être bien traités) qui ont des réactions crédible ; ils ont peur, pleurent, jouent, sont optimistes quand les adultes sont trop rationnels, regardent les adultes comme des modèles, etc. La résultante de l’association de ces deux aspects est l’existence de rapport trans-générationnels dans Lost Odyssey, ce qui est souvent absent dans d’autres jeux où les différences d’âge ne sont significatives que dans les extrêmes. En laissant Lost Odyssey, on a ainsi vraiment l’impression de quitter une famille au sens le plus commun du terme.
Pris individuellement, les personnages sont eux-aussi globalement tous intéressants, soit pour leurs caractéristiques personnelles ou pour leur apport dans la dynamique de groupe. J’ai déjà parlé de Kaïm, soldat taciturne mais qui au fond est un homme très tolérant s’émerveillant des choses simples mais j’oublie aussi Satie, pirate fébrile dévouée à ses amis ; Ming, reine douce et sage, etc. Mais si je devais octroyer une palme du meilleur personnage, du moins du plus étonnant, il s’agirait de Jansen qui pourtant fait tout pour se faire détester du joueur au premier contact. Sorte de clown fêtard et amateur de belles femmes, apprêté comme un minet avec sa petite écharpe et ses cheveux lissés en arrière, Jansen semblait parti pour ne devenir que le clown de l’histoire. Mais, en définitive, il finit par prendre tant d’épaisseur qu’il en dépasserait presque notre cher Kaïm (même si ce dernier est nanti de la quasi-totalité des rêves du jeu). Bien que jouant souvent le rôle du clown de service, ses pointes d’humour sont rarement niaises et souvent bien senties et il montrera dans la suite du jeu un héroïsme et une sensibilité initialement insoupçonnés. De plus, Jansen illustre bien le travail très minutieux accordé au design des personnages (et du jeu en général qui s’avère 70 % du temps beau ou magnifique), point étonnamment très souvent critiqué (la dictature de la coupe gélifiée sans profondeur est-elle de rigueur pour qualifier un design de réussi ?) alors qu’il est un des quatre grands points forts du jeu. De fait, l’allure et l’appareil de Jansen cristallise ce conflit entre la personnalité orgiaque voire décadente et celle du poète sensible qui ne demande qu’à se révéler. Une réussite incontestable de mon point de vue.
-- Un voyage aux quatre coins d’un monde en crise –
Dans sa quête intérieure qui va se muer en quête de sauvetage du monde, Kaïm va parcourir le monde (librement dès le disque 3) aux côté de ses camarades, recouvrant ses connaissances sur l’Etat présent et passé du monde.
Si tous les lieux traversés ne se valent pas, ils forment bien un ensemble diversifié qui contribuent à la sensation de voyage, aussi bien géographique qu’émotionnel. De l’empire Gohtza (première puissance mondiale) ultra-industriel avec ses deux quartiers (riches et pauvres exclus de la révolution, la traditionnelle critique de notre système) aux ruines de la vieille ville de Numara avec son parterre de fleurs, en passant par Saman, sorte de ville initialement crépusculaire au design hanséatique, le jeu fournit bien des lieux divers aux ambiances précisées par des rêves.
La tendance globale est celle qui complète bien souvent cette vision des rêves, à savoir la mise en contraste de la petite ville/du petit village/du petit coin de verdure avec la grosse ville industrielle qui veut assoir son hégémonie, soit par la guerre directe, soit via une espèce de guerre froide entre deux puissances, ici représentées par Gohtza et Uhra (avec Numara quelque part entre les deux). La folie du pouvoir et la peur de le perdre conduisent les hommes à accepter la guerre, il y a vraiment cette ambiance de prédation qui n’est pas forcément motivée par le mal mais par la finitude de la vie. Dans cette vision pessimiste (les cieux sont étrangement plus sombres dans la première partie du jeu…), c’est bien de la jeunesse que viendra l’espoir (Cooke et Mack) mais aussi des mortels dans une plus large mesure. Le rapport à la vie est ainsi ambivalent : pour la conserver, on pourra mal agir mais on pourra aussi la chérir et transformer le monde durant le court laps de temps qui nous est imparti. Quoi qu’il en soit, Sakaguchi suit la ligne de conduite en cherchant à transmettre de l’émotion dans ses jeux et il faut dire que le pari est largement tenu dans Lost Odyssey…
Ludiquement, cette diversité de lieux se traduit en autant d’endroits explorables bien que souvent petits (ce qui n’est pas un mal pour ma part, surtout pour les « donjons » qui se consacrent à l’essentiel : les boss et les apports scénaristiques). Concrètement, il y a une quête annexe et un lieu par personnage qui lui permettra de gagner une compétence, d’en apprendre un peu plus sur son histoire ou d’obtenir une ou des armes. A ce niveau, Tolten est largement avantage puisqu’il obtient les meilleurs équipements du jeu (il est roi après tout…) mais, pas de panique, les mortels peuvent les avoir aussi grâce au mécanisme des liens de compétence. Globalement, les quêtes annexes sont en nombre respectables et globalement toutes à peu près bien traitées (sinon j’aurais passé mon chemin comme sur FF X) et réparties dans le jeu pour convenir à tous les niveaux d’équipe. J’ai apprécié les petits clins d’œil (par exemple à Blu Dragon, même si le jeu m’a saoulé très vite) et les quelques passages humoristiques (comme dans le village Kelolon). En plus des quêtes (jamais ou très rarement fedex), des petits défis locaux comme « trouve le coupable », « va me chercher ma soupe le plus vite possible », etc. viennent ponctuer le jeu en le rendant plus vivant. Enfin, l’Unreal Engine a été mise à contribution pour rendre le jeu vaguement interactif à quelques endroits, ce qui est un petit plus (on n’atteint pas non plus l’interactivité avec le décor d’un Golden Sun) qui faisait son petit effet à l’époque.
-- Un système de jeu profond et malin –
Du système de jeu, parlons-en ! Parlons de ce méchant système de combat « classique » qui a tant bouleversé notre petit testeur qui a considéré que cet adjectif constituait un argument à charge. Etrangement, je connais un tas de jeux reprenant depuis des années des systèmes vus et revus, voire castrés dans leurs possibilités (je pense bien sûr à de nombreux beat’em all, FPS, jeux de gestion ou même RPG simplifiés, et pas en bien…mais ils couvrent leur absence de profondeur par du strass qui fait illusion sur le testeur moyen alors…) qui sont (trop) bien accueillis. Ce que les autres jeux peuvent faire, Lost Odyssey ne le peut pas ! Mais le pire dans tout cela, c’est qu’ironiquement le système de jeu de Lost Odyssey propose en fait une recette bien plus élaborée du tour par tour classique avec quelques bonnes idées environnantes. Par ailleurs, même l’innovation n’est pas appréciée quand elle vient de Mistwalker (cf. le cas The Last Story…). Que doit-on en déduire ? Que les testeurs sont des prépubères qui préfèrent avoir l’illusion de l’action plutôt que de la vivre dans leur petite cervelle ? Trêve d’insultes, je m’arrêterai à de petites taquineries…
Revenons-en donc au jeu en lui-même. Oui, Lost Odyssey se fonde sur un tour par tour vaguement proche de celui de Final Fantasy X (dans le sens où l’ordre des personnages dans la file d’attente est importante). Cependant, il y beaucoup de choses qui changent. Premièrement, l’immortalité se traduit dans le jeu par une résurrection des personnages qui en sont dotés en trois tours. Cela veut-il dire que l’on ne peut pas perdre ? Non bien sûr, quand toute l’équipe est à terre, arrive le game-over (un immortel peut être fait prisonnier).Je ne vais pas vous mentir sur l’exploitation de cet aspect-là qui n’est pas central sauf peut-être au début du jeu où contre les boss les plus retors (on peut décider tactiquement de laisser un immortel se faire mettre KO volontairement pour ne pas perdre un tour de frappe). Deuxièmement, la ligne de front fait office de barrage pour la ligne arrière, c’est-à-dire qu’il faut la fragiliser pour infliger de gros dégâts aux mages en retrait qui sont beaucoup plus fragiles que les guerriers comme Kaïm. En sus, le lancement des sorts peut être gravement ralenti par les dégâts ennemis. Faire tenir la ligne avant est donc très important et il existe d’ailleurs des compétences ou sorts pour la restaurer. Troisièmement, j’en ai déjà parlé, mais le temps d’incantation est fondamental dans le jeu et le choix de lancer un sort de masse peut être mauvais du fiat du temps passé (qui diminue son effet puisque les autres diminuent les effectifs ennemis). Quatrièmement, le jeu joue sur la dualité mortels/immortels. Concrètement, les immortels sont des êtres « vierges » qui peuvent apprendre les capacités de tout le monde via des liens de compétences ou des objets. Les mortels eux apprennent des compétences en gagnant des niveaux et c’est tout ; les immortels sont, à ce titre, supérieurs à long terme (où ils peuvent devenir des machines de guerre immunisés à tous les éléments et toutes les altérations) mais pas à court terme. Puisqu’il faut leur faire apprendre les arts du combat. Ici, le scénario rejaillit sur le gameplay (encore un exemple de synergie), étrangers à ce monde, les immortels apprennent via leurs habitants qui ont une supériorité particulière que nous verrons dans la partie SPOILER… Cinquièmement, le jeu limite la montée en niveau dans chaque zone (même si l’on peut être en sur-niveau à partir du DVD 3 ou 4 (je ne m’en souviens plus)). En somme, les amateurs de farming seront très déçus et devront réfléchir à la meilleure tactique pour battre les boss qui ne sont pas difficiles à battre au fond contrairement à ce qui a été dit. La limite du taux de rencontre se justifie ainsi puisqu’en quelques combats, on a atteint le niveau « maximum » (en fait, il n’y en a pas mais gagner un point d’expérience sur les cent à acquérir par niveau est presque équivalent à ne plus rien gagner). Enfin, le jeu propose un système qui dynamise un peu le jeu et ajoute autre chose qu’un cadre réglé : le cercle de frappe. A chaque attaque physique, le joueur devra appuyer au bon moment pour superposer deux anneaux afin de donner un coup parfait plus efficace. Après 90 heures de jeu (deux parties), je suis loin d’avoir atteint le 100 % de réussite mais, peu importe, le système est toujours aussi jouissif.
En définitive, le système de jeu de Lost Odyssey est bien original étant donné tout ce qu’il apporte à un modèle a priori assez rigide. Bien sûr, sa forme ne pète pas la rétine mais le fond est subtil et très intéressant. Il est dommage cependant que les ennemis qui l’exploitent soient si peu nombreux en fin de partie parce que le nombre de manipulations que l’on peut faire est très important (agir sur le mur de défense, sur la vitesse d’incantation, sur les altérations très efficaces, etc.). La montée en puissance n’est pas non plus négligée avec la possibilité en fin de partie (ou après la fin) de monter des demi-dieux insensibles à presque tout (même si les ennemis les plus puissants trouvent toujours une faille) grâce aux objets obtenus dans les quêtes annexes. Petit plus intéressant, j’ai trouvé la position de la caméra très classieuse et cinématographique lors des coups.
* PARTIE SPOILER – PARTAGE LIBRE SUR LE JEU*
Cette partie n’a vocation qu’à partager quelques pensées sur le jeu de façon plus libre, le reste de la critique visant à promouvoir le jeu auprès d’un public réticent.
Il y a tant de passages qui m’ont marqué dans Lost Odyssey qu’il serait trop long de tous les énumérer en détail. Je me cantonnerais donc à des commentaires sur quelques moments forts du titre et sur des réflexions plus globales.
A ce titre, il existe un moment qui montre presque tout ce qui va se jouer dans le jeu en quelques minutes ; il s’agit de la seconde introduction du jeu où Kaïm arrive à Uhra. Le regard désabusé dans l’ombre, son visage va se tourner pour apparaître à moitié dans le soleil. Sur l’industrie lourde bouge s’élève dans le ciel lumineux un pendule qui règle la vie de ses habitants : l’industrie qui ronge le monde et brouille la notion d’humanité (une foule indistincte traverse la place d’Uhra) repose toujours sous l’espoir que représente la nature, éternelle et belle. Là, un petit groupe d’enfants joue à la balle, dans un petit havre de promiscuité qui sera le terreau d’une société nouvelle (après la fin de Gongora). Ainsi, Uhra symbolise la position intermédiaire entre l’humanité naturelle et le monstre d’acier (dont le « sang » coule dans les tuyaux aperçus au début de la cinématique jusqu’au centre nerveux de la ville) qui sera amené à mourir dans la ville de Gohtza. Ainsi, Lost Odyssey s’ouvre comme Final Fantasy : Les Créatures de l’Esprit (film que je trouve de plus en plus puissant au fur et à mesure que je le revois).
La destruction de Gohtza est d’ailleurs celle de la folie du pouvoir des hommes qui veut s’arroger les pouvoir de la nature (on retrouve le thème de l’énergie Mako). L’industrie déshumanise même si elle apporte du confort de vie. Le sort épargne d’ailleurs les habitants du bas quartier que l’on retrouvera avec une musique magnifique au DVD 3. L’humanité renaît quand la nature reprend ses droits et quand le pouvoir a disparu. En somme, Gohtza, c’est la cité qui a pêché par hybris et que la Nature a puni comme le général d’un des rêves ou l’intervention de Lirum dans la forêt rouge.
Au fond, Hironobu Sakaguchi nous livre une vision traditionnelle pacifiste et naturaliste ainsi qu’une apologie des plaisirs simples dont Kaïm se satisfera à la fin du jeu.
Le thème ésotérique du départ des âmes et leur vie après la mort est cristallisée dans le thème du souvenir. SI l’homme meurt, il vit dans le souvenir et dans la nature, c’est la leçon de la mort de Lirum. Quand les enfants veulent la retrouver, leurs efforts sont toujours soldés par des échecs. Parce que la mort doit s’accepter comme elle est. Sarah également en a fait les frais quand elle se morfond dans la peine et recrée un monde dans son manoir malsain. Incapable d’accepter la mort de Lirum, elle s’isole et veut se tuer (ce qu’elle ne peut pas). Ce qui la sauvera ? L’espoir de ses petits-fils dans leur berceuse (« From the darkness and sorrow that we knew, there will be a light that reaches us inside » : cela peut paraître niais, mais le traitement du jeu demeure subtil avec des dilemmes parfois difficiles dans les rêves). Pour autant, le jeu n’est pas aussi tranchant avec notamment beaucoup de textes sur le « faible » qui finit par être compris (comme le bandit que devait tuer Kaïm), donnant à Kaïm de belles leçons de vie aux allures Bibliques. La vie, c’est le souvenir et l’espoir, l’attachement au présent et aux autres et c’est quand on perde une chose que l’on prend conscience de sa valeur (comme le bouleversant texte sur le vieux Gréo qui faisait des chaussures pour les voyageurs, lui l’estropié).
Enfin, parce que les joueurs de Lost Odyssey sont supposés être des adultes (qui ne crient pas comme des enfants « il pleure, bouh le bébé »), les larmes ne sont pas des tabous dans le jeu. L’émotion sincère et naturelle rejaillit forcément sur le joueur dont l’imperméabilité de la membrane oculaire sera mise à rude épreuve, notamment au sacrifice de Satie, à la mort de Lirum ou aux rêves…
* FIN DE LA PARTIE SPOILER*
En fin de compte, j’ai beau essayer de comprendre les critiques de certaines personnes mais je n’y arrive pas. J’ai cherché dans le jeu les reproches classiques, je n’ai trouvé que des points de détail qui ont tout au plus un effet mineur sur l’expérience de jeu. Alors je ne nie pas qu’il y a des défauts (quel jeu n’en a pas ?) comme certains passages un peu ennuyeux (au DVD 2 notamment), des temps de chargement un peu longuets de temps en temps, quelques décors moches ou encore une baisse d’exploitation du système de jeu à certains endroits ; cependant, je ne comprends pas que l’on puisse dire que Lost Odyssey est du « déjà vu » alors qu’il a une personnalité tout à lui et qu’il est finalement original à presque tous les niveaux en plus de jouir d’un niveau de perfectionnisme très important du fait d’une équipe artistique qui s’apparente à une « Dream Team » du JRPG. « Il serait passé inaperçu dans la génération PS2 »…foutaises !
Lost Odyssey est en définitive le trésor de la XBOX 360, un jeu mature et subtil, original et magnifique. Inoubliable, il est un des rares jeux (moins de cinq en tout) devant lequel je suis resté coi à l’arrivée des crédits. Le pari des émotions et de la maturité est parfaitement rempli ainsi que celui de la narration poussé à un niveau rare. Un chef d’œuvre ? Oui, Lost Odyssey l’est et j’en suis encore plus convaincu à ma seconde partie. Le temps n’effacera pas sa mémoire comme celle de notre infortuné Kaïm. Je me souviens encore du jour où j’ai acheté ce joyau en arrivant avant l’ouverture du magasin.
Critique alternative (et récente) illustrée : https://lempiredesmots.com/2020/08/14/lost-odyssey-le-chef-doeuvre-de-la-xbox-360/