Impossible d'être objectif quand on parle du remake d'un jeu qui a marqué son enfance.
Mafia est sorti en 2002, j'avais 13 ans, les jeux video 3d connaissaient une évolution fulgurante, Max Payne dynamitait les jeux d'action en 2001 avec une qualité technique et cinématographique jamais vue, juste avant que ne parvienne la promesse étourdissante du monde ouvert de GTA 3 qui me faisait complètement halluciner et sur lequel je ne pouvais mettre la main, faute de Playstation à ma disposition
Juste un vieux pc windows 2000 qui me permettait de me consoler sur battlefield 1942 qui offrait des joutes à 60 joueurs humains sur des cartes immenses pendant la seconde guerre mondiale.
Une époque où tous les fantasmes les plus fous semblaient pouvoir devenir réalité...
Sans jouer au vieux con, à l'ère des remake/remaster (dur de saisir la différence entre les termes), le jeu vidéo ne semble plus être en mesure de connaitre d'évolution aussi excitante qu'à cette époque. Si un jeu vieux de 20 ans avec une simple refonte graphique semble plus entraînant que la plupart des jeux contemporains, c'est qu'il y a peut être un souci quelque part ?
Après le regard d'enfant change aussi sûrement la donne...
Mais quand même... A l'époque l'idée de se balader dans une ville en trois dimensions qui prend vie sous tes yeux, et d'y faire tout ce que l'on veut, et essentiellement ce qui est interdit, comme écraser tous les passants à bord des bolides les plus rapides, c'était totalement grisant et jamais vu.
Alors quand je lançais Mafia, que je ne voyais au départ que comme un substitut à GTA (grossière méprise) que je ne pouvais pas avoir, je me retrouvais soudainement transporté hors de moi-même.
Plus qu'un jeu vidéo, ou un monde ouvert, j'étais surpris d'y voir une véritable oeuvre artistique ambitieuse qui m'ouvrait des portes vers des mondes inconnus.
Premières minutes de jeu, premières musiques de Django Reinhardt que je ne connaissais absolument pas - et c'était une rencontre marquante , plutôt que de suivre les missions, j'arpentais comme un psychopathe toutes les rues de la ville au gré de cette ambiance sensationnelle.
Je suivais les pnj (les femmes en général héhé) dans les moindres recoins en m'imaginant des scénarios retors aux détours de sombres ruelles, je tabassais quelques clodos ici et là "orange mécanique style", je fuyais la police, et j'observais en m'attendant à tout moment d'être surpris par des événements inopinés, avec cet espoir que l'intelligence artificielle devienne soudainement autonome et prenne le contrôle du jeu (ce qui n'est hélas jamais arrivé, et peut-être ce qui explique mon côté blasé du jeu vidéo actuel).
Mafia avait une cohérence, un sens du détail et un réalisme bluffant. L'idée brillante du bar comme base de départ pour toutes les missions, avec sa cour intérieur, l'armurerie à l'étage, le garage st son spécialiste des bagnoles, le bureau du parrain où se préparaient tous les meeting. Toutes ces pièces, tous ces lieux étaient interconnectés et s'emboitaient parfaitement, on découvrait la machinerie mafieuse de l'intérieur qui fonctionnait comme une entreprise lambda. Et donc on y croyait. Le travail sonore était également exceptionnel, les bruitages très réalistes, klaxons en tête, mais aussi bruit de la ville qui vit, et enfin des flingues et des fusillades. Je ressentais toute la lourdeur des coups de feu qui résonnaient dans mes enceintes stéréo.
C'était tellement immersif que cela permettait de passer outre la difficulté extrême du jeu. Je me suis donné un mal fou pour passer la satanée mission de course, une des pires missions de l'histoire du jeu vidéo (à l'époque pas possible de passer en mode "facile"), interminable en plus, où tu dois parvenir à contrôler une espèce de savonnette pour finir 1er. Quel soulagement quand tu parviens à relever l'exploit.
Et c'est pareil pour toutes les missions où tu dois dégommer une cinquantaine de mafieux/de flics à toi tout seul, alors qu'il n'y a aucun système de couverture, et que ta vie ne remontera jamais toute seule après un temps d'attente. Et comme je n'y arrivais pas, je commençais à désespérer, et à vouloir abandonner... Et puis j'ai réalisé que ces missions impossibles se passaient souvent en extérieur dans un monde ouvert où il y avait plein de voitures à disposition.
Alors plutôt que de rentrer dans le tas avec ma sulfateuse, je m'éloignais pour piquer une voiture garée plus loin, et je fonçais dans le tas en bagnole, et ça marchait !
Aujourd'hui, dans le remake de Mafia ce genre de détournement ne fonctionne plus, il n'y a aucune interaction pour ouvrir la porte d'une voiture en pleine mission (à une exception près), en particulier lors de la séquence du parking... Il faut suivre un cadre très dirigiste ce qui est pour moi une régression généralisée dans le jv qui est inexplicable (voir par exemple le dirigisme outrancier de RDR 2 où la mission est un échec si tu t'écartes de 3 mètres du parcours que le jeu a décidé de t'assigner, ça n'a aucun intérêt et ça ruine l'expérience et les principes de l"open" world).
A l'époque il y avait une certaine liberté (certainement liée à une forme de naïveté des développeurs) où rien n'était rigoureusement verrouillé, du coup c'était très gratifiant de trouver une solution de dépannage qui n'était pas nécessairement prévue par le jeu. On perd largement au change aujourd'hui.
Le remake m'en a mis plein les yeux visuellement. La ville est sublime, les éclats lumineux, les reflets sur la chaussée la nuit tombée avec les enseignes des échoppes qui brillent de partout, pas besoin de ray tracing pour avoir un rendu qui envoie du bois.
Le scénar est à la fois simple, ambitieux et adulte même sans se remettre dans le contexte d'un jeu de 2002. La structure en flashback est classique et efficace, avec une montée en puissance logique, un accroissement progressif de la gravité des enjeux, et un resserrement sur les relations entre les personnages principaux qui conduit inévitablement à des trahisons réciproques.
Les missions sont intelligemment diversifiées avec à chaque fois un cadre dépaysant (de l'anniversaire sur le bateau géant à roues, au bordel dans un hôtel de luxe, en passant par la prison abandonnée, sans oublier le décor incroyable du final inspiré d'un véritable musée tchèque - d'ailleurs sans que je parvienne à l'expliquer concrètement, je trouve que le jeu a une vraie influence européenne qui tranche avec le côté très américain des GTA, et qui fonctionne totalement sur un jeu ayant pour cadre les années 30). Voilà un vrai panorama épique d'une époque fantasmée.
Alors le remake n'est évidemment pas sans tare et mon 8 est sûrement très surévalué :
Le truc qui me tracasse le plus c'est les visages des personnages qui me semblent avoir 10 trains de retard. Aucune expressivité dans les regards, avec un syndrome des yeux morts. Le pire étant le design du héros Tommy qui me semble moins charismatique que celui de 2002 qui n'était pourtant qu'un vulgaire .jpeg. La palme du pire doit sûrement être accordée au duo Paulie et Sam. On dirait deux gorilles de Greystoke, dont les visages ont été basés sur un même modèle 3d (en gros je me demande s'ils n'ont pas pris la tête de Sam et élargi son pif, sa bouche et sa mâchoire pour avoir la tête de Paulie - ou le processus inverse).
Les voix françaises sont pas terribles. La voix de Tommy en tête qui ne tient pas 10 secondes la comparaison avec le génie du doubleur d'origine (José Luccioni, doubleur d'Al Pacino...). Le comédien est extrêmement mou et plat dans son phrasé, aucune véritable intonation, aucune intention de jeu, il se contente de lire son texte de la même manière, avec la même tessiture quel que soit le contexte, et ce même quand son personnage a considérablement vieilli (ce qui tue complètement la crédibilité).
Plus aucune musique de Django, ce qui est choquant, parce que je pense qu'il contribue grandement à l'identité du jeu original. Après la B.O. reste excellente, mais plus du tout aussi marquante ni inattendu (du jazz manouche dans un jeu vidéo, c'était quand même pas commun). Les nouvelles musiques originales sont vraiment pas mal en particulier durant les séquences de tension (même si celles d'origines se suffisaient à elles-mêmes avec des thèmes symphoniques sublimes).
Le gameplay du corps à corps est calamiteux (de vulgaires QTE sans sensation). Le corps à corps de l'original était moyennement jouable, mais on ressentait vraiment la lourdeur de la batte lorsque l'on cliquait sur la souris, pour défoncer des pnj. Et surtout, ce qui était une dinguerie à l'époque c'était de pouvoir exploser en temps réel une bagnole à coups de batte, ou même à coups de poings ! Je pouvais y passer une demi-heure pour voir les bagnoles se défaire !
Le gameplay des phases de shoot est pas si mal sans être transcendant, déjà il y a une localisation des dégâts ce qui est toujours agréable, et je trouve que les head shot rendent très bien.
Malgré tous ces défauts, je trouve que la magie a été préservée, et finalement l'idée de faire des remakes de grands jeux passés ne me semble plus aussi absurde à une époque où de toute manière le jeu vidéo semble malheureusement en stagnation complète (à l'image de l'excellent remake de Resident Evil 2) - et en particulier les open world qui n'inventent plus grand chose. Travaillez l'I.A. plutôt que les graphismes ou la taille du monde bon sang ! Donnez la possibilité d'ouvrir toutes les portes de chaque bâtisse ! Donnez une vie au PNJ pour qu'ils ne soient pas de vulgaires robots interchangeables ! Bref faîtes de la vie et surtout redonnez au joueur la liberté dont vous l'avez privé.