La série Mario et Luigi fait partie de la seconde dérivée de Super Mario RPG, la première ayant été Paper Mario. Deux séries parallèles opposées dans leurs réalisations, et leurs supports, la première étant portable et réaliste, la seconde de salon et papetière. Pourtant, à l’aube d’une nouvelle génération de consoles, voilà que la série Paper Mario entame un virage inattendu en brisant la règle mise en place depuis 2000 et la sortie du premier jeu sur Nintendo 64. Le prochain épisode en papier se jouera en effet sur Nintendo 3DS, dans un style bien plus aseptisé qu’à l’ordinaire. Une itération qui fera bondir les fans de la première heure, accusant presque le jeu de blasphémer son propre héritage. Et il est vrai que Sticker Star n’avait rien d’un jeu fantastique, se perdant en simplicité, jusqu’à éliminer des éléments pourtant fondateurs.
De l’autre côté, la série Mario et Luigi s’apprêtait elle aussi à revenir avec un nouvel opus. La trilogie entamée sur GBA prenant fin, il fallait désormais renouveler quelque peu les enjeux narratifs, et profiter des capacités de la plus puissante console portable de Nintendo jusqu’à lors. Sorti en 2013, Dream Team Bros avait, de son côté, poursuivi la lignée que fut la sienne. Et en dépit d’un rythme pernicieux pour un jeu trois fois trop long pour son propre bien, l’épisode avait bien plus convaincu que le détesté Sticker Star.
Personne ne pouvait imaginer en revanche que la fusion des deux univers était déjà à l’ordre du jour chez Nintendo. Si on élargit le spectre, celle-ci ne peut être qu’une bonne idée. Elles sont assez différentes pour que la fusion, si elle est bien faite, puisse donner un jeu de grande qualité, confirmant la continuité de Mario et Luigi tout en offrant au passage une rédemption à Paper Mario. Pour matérialiser cette réalité, Nintendo « confie » les rênes du projet à Alpha Dream, et sa direction et son écriture à Shunsuke Kobayashi. Il s’agit d’un adepte de la série ayant commencé à travailler sur le second épisode, Les Frères du Temps, mais ce nouvel opus sera sa toute première réalisation. Afin de l’aiguiller de la meilleure des manières, il sera épaulé par un certain Hiroyuki Kubota, un des très grands artisans de la saga, et de son inspiration première, Tomato Adventure. C’est lui qui écrira la plupart des scénarii des précédents opus, pensera leur game design général, et il est à la réalisation du deuxième opus et de Voyage au centre de Bowser, le suivant. Du solide.
Et malgré ce duo, dont on ne pouvait peut-être pas rêvé mieux sur le papier, il y a déjà un problème. En effet, l’équipe en charge de la série Paper Mario, Intelligent System, est aux abonnées absentes. Quand bien même l'on peut lire parfois qu'ils ont supervisé le jeu, rien ne laisse trahir cela, en interview ou dans les crédits. On perd donc ici la moitié des clés de lectures de compréhension de ce nouveau jeu, qui se veut, je le rappelle, un cross-over des deux univers. Si les équipes d’Intelligent Systems planchaient elles aussi sur un nouveau jeu, qui sera Color Splash, il est évident que leur absence traduit la volonté de tendre cette réunion plus du côté de Mario et Luigi que du côté de Paper Mario. Si on est à nouveau cohérent, on peut se dire que les mécaniques de jeux d’un Paper Mario sont plus faciles à introduire dans un Mario et Luigi que l’inverse. Paper Mario a en effet un ensemble de règles qui semblent bien plus restreintes, notamment en combat. Là où les précédents épisodes de Mario et Luigi ont prouvé par le passé qu’ils pouvaient intégrés d’autres personnages aux frères. Que cela soit leur homologues enfantins dans Les Frères du Temps, Bowser dans le troisième volet, ou Oni Luigi dans Dream Team Bros, la série s’est toujours débrouillée jusqu’à l’Épopée Fraternelle, sorti cette année, pour introduire d’autres personnages. Et c’est de semble t-il cette volonté mécanique qu’est née l’introduction de Paper Mario et son univers.
Si l’on peut donc déplorer dans son écriture notamment l’absence de partenaire de Mario de Papier comme dans les précédents opus (à l’exception de Sticker Star), il est intéressant de se pencher sur le pourquoi. Trop de personnages auraient peut-être cassé la dynamique du trio (quand bien même Mario de Papier ne parle pas) ou aurait surchargé l’écriture inutilement. Je ne dis pas qu’une autre alternative n’était pas possible. J’écris juste qu’il aurait été difficile de faire quelque chose d’aussi lisible mais dense en une vingtaine d’heures de jeux, qui plus est quand on ne comprend pas la métrique de telles implantations.
Au lieu de prendre ses mécaniques, les développeurs d’Alpha Dream se sont donc contentés de reprendre l’idée générale de Paper Mario et de le transposer dans un monde plus réaliste. Luigi ouvre par maladresse un livre qui s’avère être une histoire de Mario de Papier ,et ce dernier, son univers, sa princesse, et ses antagonistes sont libérés dans ce monde. Bowser et Bowser capturent les Princesses Peach et c’est à Mario, Mario et Luigi de les libérer, une introduction d’épopée somme toute classique, peut-être trop.
De là s’engage alors une course-poursuite entre les Plombiers et les Koopas pour délivrer les belles. Une aventure qui alternera entre rencontre de personnages et antagonistes du monde réel, et...littéraire dirons-nous. Dans son exécution, Mario et Luigi : Paper Jam Bros s’articule d’une manière assez classique à base de déplacement sur la carte, phases de plateformes et de réflexions, et combats contre différents ennemis et boss, dans la pure tradition du RPG. Les combats fonctionnent toujours de la même manière, en tour par tour avec, chose rare dans le J-RPG, la possibilité de rester actif lors des tours ennemis afin de contre-attaquer ces derniers si votre timing est parfait. On a aussi des attaques spéciales à deux, à trois, la possibilité de consommer des objets, et de fuir.
Mais ce n’est pas tout puisque l’introduction de Mario de Papier ajoute de nouvelles spécificités bienvenues. Outre les attaques à trois mentionnées plus haut, Mario de Papier possède une caractéristique originale de copies, qui sont autant utiles en attaque qu’en défense. En effet, Mario pourra attaquer autant de fois qu’il a de copies et quand viendra le moment d’éviter les attaques, Mario ne perdra pas directement ses points de vies, mais bien ses copies. Une fois qu’il n’a plus de copie, il ne restera que les PV de Mario de Papier pour le maintenir en vie. En résumé, pleins de petites idées bien trouvées qui, pourtant, ne sont absolument pas présentes dans la série Paper Mario. Bref, les combats sont très bons mais cela n’a rien de très surprenant venant de Jun Iwasaki, présent à ce poste depuis le premier épisode sur Game Boy Advance à ce rôle là, et son équipe.
Les combats de boss sont également toujours aussi intéressants, profitant encore davantage des derniers ajustements opérés par Dream Team Bros, notamment dans la gestion de la profondeur. Certains d’entre eux posséderont des caractéristiques uniques comme la privation de certains blocs de combats, de vos cartes (j’y reviens) tandis que d’autres vous mettront la pression, temps limité oblige. Passage parfait pour dire que la difficulté du titre est parfaitement gérée, quand bien même certains affrontements demanderont peut-être deux ou trois essais. Pour se faciliter la vie, les développeurs ont instauré un système de deck de cartes afin de niveler la difficulté. Moyennant finances, il est possible de renforcer son paquet avec des cartes offensives, défensives, certaines court-circuitant même la difficulté de certains boss. Un mode totalement facultatif, mais qui peut permettre de grimper en niveau plus rapidement ou de mettre de gros dégâts à vos adversaires en quelques tours. Un système qui remplace au pied levé celui des badges qui permettait d’obtenir un bonus passif quand les deux étaient connectés. Pour se faire, il fallait réussir ses attaques pour faire grimper la jauge. Le fonctionnement est un peu le même ici, mais ce sont cette fois-ci des points étoiles qu’il faudra dépenser. Chaque attaque réussit vous en octroyant une poignée, et comme vous pouvez l’imaginer, chaque carte en coûte un certain nombre.
Je reviens très vite fait sur la gestion de la difficulté, puisque le jeu possède un mode difficile, mais aussi un mode facile qui profite de quelques ajustements très appréciables. En mode facile, les attaques frères sont bien plus simples à réussir grâce à un allongement des timings, mais surprise, coûte légèrement plus cher qu’en mode normal. (chaque attaque spéciale consomme des points frères). Un choix intéressant qui peut être interverti à n’importe quel moment. Sans compter qu’il est possible de tester les attaques avant de les utiliser. Tout est fait pour rendre l’expérience la moins frustrante possible, un vrai plus que n’avait pas forcément les précédents opus.
Et puis, il existe un troisième type de combat qui référence les combats de géants introduits dans Voyage au Centre de Bowser : les Titancartons, où une reproduction cartonnée d’un célèbre héros de Mario et d’un de ses célèbres antagonistes s’affrontent. Pour autant, Alpha Dream n’en sont pas les créateurs et créatrices. Charge à Will Co de développer ces phases de jeux particulières. Celles-ci se déroule en effet dans un environnement en 3D et l’objectif est simple : écraser l’adversaire d’en face. Pour cela, les Titancartons peuvent foncer dans les ennemis, et leur sauter dessus, le tout est de bien observer les attaques pour mieux percer les défenses. Mais attention car chaque assaut consomme de l’énergie, symbolisée par les Toads qui vous portent. Pour la recharger, il faudra rentrer dans des zones précises et participer à un mini-jeu de rythme basique. Une fois rechargé, vous pourrez enchaîner quelques attaques avant d’à nouveau vous mettre à couvert pour redonner de l’entrain à vos Toads. Un système de jeu bancal que l’on pourrait croire tout droit sortie d’un Mario Party, cassant réellement le rythme de votre combat, qui plus est quand celui-ci se déroule en plusieurs phases ou tableaux.
Mais comment mélanger jeu de rythme et combat effréné me diriez-vous? Et bien on ne peut pas. Déjà parce que la jouabilité de ces phases est très discutable, que c’est répétitif, mais surtout parce que lors des mini-jeux de rythmes, les ennemis ne vous attaqueront pas, attendant bien sagement que vous ayez terminé votre recharge. Ainsi, l’enjeu disparaît totalement, et c’est plutôt l’ennui qui pointe. Mais cela possède selon moi une explication. Je parlais en effet de Mario Party à l’instant. Il faut savoir que c’est surtout pour ce genre de jeux que Nintendo fait appel à Will Co, puisque chaque épisode de la série depuis Mario Party 8 contient la signature du studio, que l’on a retrouvé aussi sur du Wii Party et du 1,2 Switch. Will Co n’est pas exclusif à Nintendo puisque la liste de ses participations à d’autres jeux est légion, mais cette présence pour un jeu d’aventure pose question. Comme si les combats en Titancartons étaient désaxées de la quête principale, étant juste un bonus ou un ajout fait à la dernière minute.
Et ces combats ne sont en réalité que la partie émergé de l’iceberg des problèmes de jeu puisqu’il me semble que le plus gros problème de Paper Jam Bros se trouve au niveau de son design d’ensemble. Intrinsèquement, entre phases de recherches et d’explorations, le jeu vous demandera de rechercher des Toads de papiers à travers des petites missions. Si on peut apprécier ces missions individuelles pour leurs variétés (tantôt du combat, de l’énigme,ou de la recherche), on ne pourra que se questionner sur leur présence, surtout quand le jeu vient à sacrifier son propre rythme et son propre world building pour les introduire. Et si on trouvera cela marrant une ou deux fois, le plaisir laissera place à l’enquiquinement, notamment quand le jeu les inclus dans la boucle de gameplay, afin de justifier l’arrivée des Titancartons.
D’une certaine manière, le jeu souffre,dans une moindre mesure que Dream Team Bros, d’un problème de rythme. Plusieurs moments du jeu finissent par s’étirer jusqu’à ne plus finir, notamment quand il ajoute des « mini-jeux » pour rendre le tout plus fun. Mais cela produit exactement l’effet inverse, ces actions trahissent un évident manque d’enjeux et d’utilité. Le plus flagrant étant l’enchaînement de combats pendant cinq minutes durant, d’ennemis à la ramasse au château de Bowser, pour justifier une course poursuite contre le temps.Un passage qui ne sert à rien. Le passage avec le melon du Yoshi dans la forêt ne sert à rien, le coup du tuyau menant au château de Bowser qui est piégé dans un cristal ne sert à rien. On a juste envie que le jeu passe la seconde.
Ce qui m’a le plus ennuyé dans ce jeu, ce n’est donc pas temps l’irrespect pour la série Paper Mario que la platitude qui est présente tout au long de ce jeu. J’ai dit, alors en train d’y jouer, d’avoir un équivalent vidéoludique de Derrick. Et je pense que la comparaison est quelque peu exagéré, mais elle est la traduction criante du manque d’enjeux. Et pourtant. Car la quête principale qui consiste à sauver Peach et Peach numéro 2 possède quelques moments sympas comme la visite des geôles des catacombes, qui met à jour le plan de Bowser. Le fait de suivre les réflexions des deux princesses emprisonnées, puis des deux Bowser qui tente chacun leur tour de se faire calife à la place du calife est sympathique. Mais ce ne sont que les maigres lauriers que je pourrais accorder à une écriture qui s’efface avec le temps, comme Sticker Star avant elle. il n’y a donc que peu de moments de tensions qui soient...intense, puisque le jeu tente constamment de l’artificialiser. Et encore une fois, quand il ne le fait pas, cela donne de vrais bons moments au jeu comme la destruction du château de Peach ou cette confrontation contre le Roi Bob-Omb. Il peut offrir des moments comme ça. Et je me permet cette insistance pour que vous vous rendiez compte que le jeu n’est pas mauvais ou un étron comme j’ai pu parfois le lire.
Mais il évident qu’il manque de cette folie qu’insuffle les deux licences, le gimmick de la collision des deux mondes ne pouvant pas tenir la distance. Mario et Luigi : Paper Jam Bros n’est pas un mauvais jeu. Mais il est un très très mauvais représentant de ces deux univers. Et à vrai dire, pouvait-il en être autrement quand l’on sait que les créateurs, les connaisseurs de la série Paper Mario, n’était pas branché sur le projet. Et je pense que l’erreur fatale se situe ici. Parce que quoiqu’on en dise, je continuerai à me convaincre qu’il y avait totalement la place pour un cross-over de qualité. Mais l’intérêt était-il ailleurs ?
Je trouve Paper Jam Bros fascinant car il me rappelle quelque peu le crossover entre Professeur Layton et Phoenix Wright sorti quelques années plus tôt. La partie Layton, la plus mauvaise, ayant été laissé à l’appréciation d’une personne ne connaissant absolument pas la série. Pourtant, je ne peux pas avancer la même hypothèse que pour Professeur Layton VS Phoenix Wright : Ace Attorney, à savoir la mise en avant d’une série s’étant moins vendue que l’autre. En effet, Dream Team Bros et Sticker Star ont quasiment fait les mêmes ventes. Et le mano à mano se poursuit aussi pour l’épisode le plus vendu des deux séries, seul 250 000 exemplaires séparant Super Paper Mario de Voyage au Centre de Bowser. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le public de Mario et Luigi et aussi celui de Paper Mario, supprimant de facto l’argument consistant à vouloir conquérir une autre partie du marché qui serait sensible à une licence, et pas à l’autre.
Se pose donc une question : À quoi servait Mario et Luigi : Paper Jam Bros ? Parce que personnellement, à la lecture des chiffres, et après avoir joué au jeu, je n’en ai strictement aucune idée. Je ne sais pas pourquoi Nintendo et Alphadream se sont lancés dans une telle entreprise. Rien ne le justifiait. Et cela se terminera par un suicide artistique fantastique. Ce jeu s’est perdu en route. Il en résulte un projet non pas qui n’est pas fini, mais dont les développeurs ne savaient tout simplement pas où aller. Ce qui explique sa simplicité, son découpage, presque son bégaiement. Et la sanction fut sévère, Le jeu peinant à passer le million d’exemplaire, démarrant la lente et douloureuse chute qui conduira à la fermeture du studio Alphadream en 2019, et à l’hibernation de la série Mario et Luigi, avant sa reprise par Acquire et un nouvel opus en 2024.