Looking cool, Spidey!

Un jeu étrange à bien des égards et il m'a fallu un certain temps avant de comprendre comment l'appréhender. Le début de l'aventure est assez poussif et démontre d'ores et déjà les faiblesses du titre en matière de mise en scène et de narration : le scénario n'avait jamais été jusqu'ici la moelle épinière des productions Firaxis et le studio plonge pourtant la tête la première dans la mythologie Marvel pour développer ses protagonistes emblématiques durant de nombreuses et parfois lassantes cinématiques.

Fort heureusement, en dépit de cette introduction mitigée, le jeu trouve rapidement son rythme de croisière et dévoile sa saveur délectable et insoupçonnée : l'équilibrage gameplay / narration fait maintes fois songer à la démarche des Persona en proposant au joueur une routine archétypale où il va autant se familiariser avec ses compagnons d'infortune qu'avec les mécaniques de combat. Vous vous levez de bon matin, vous lancez les projets de recherche, vous vous entrainez avec un compère costumé puis vous lancez une opération d'espionnage avant de papoter avec votre super-héros préféré pour gagner un peu de sa confiance; vient ensuite le moment d'une mission générale ou scénarisée avant de revenir à l'Abbaye une fois la nuit tombée, moment souvent propice pour l'exploration des lieux avant de repasser du temps avec le héros Marvel de votre choix. Dans la mesure où cette gestion de l'amitié est laissée à la libre discrétion du joueur, la charge narrative du titre s'en trouve bien plus allégée et occasionne souvent son lot de satisfaction avec une montée en puissance gratifiante de vos alliés préférés sur le champ de bataille : dans le même ordre d'idées, le système de combat ne paye pas forcément de mine au premier abord mais sa richesse véritable sera progressivement diluée au fur et à mesure de vos nombreuses heures de jeu; Firaxis a réussi son pari audacieux d'éliminer le pourcentage de réussite de ces actions (peu approprié pour dépeindre des prouesses super-héroiques) et encourage le joueur à agir de manière bien plus offensive en exploitant notamment l'environnement destructible; la coopération est bien évidemment de mise entre les Midnight Suns et le titre recèle de nombreuses complémentarités ingénieuses entre ses combattants, y compris dans les projections dévastatrices lorsque vos alliés seront capables d'atteindre des ennemis en plein vol. De même, le système de cartes avait fait coller beaucoup d'encre dès son officialisation mais son aspect imprévisible remplace justement le caractère autrefois incertain des actions de X-Com; tout comme, il encourage à composer savamment son deck en amont et ainsi peaufiner la gestion stratégique de ses super-héros.

Il y a des jeux qui parviennent à outrepasser leurs lacunes évidentes sur des points précis grâce à une alchimie globale de leur formule interactive et c'est bien cette cohabitation harmonieuse entre gameplay et narration qui confère à ce Midnight Suns une saveur particulière dans le paysage des jeux estampillés Marvel : rares sont en effet les titres à avoir proposer une telle immersion dans cet univers connu de tous en intégrant quasiment toutes les facettes emblématiques de ces bandes dessinées; néanmoins, c'est peut être aussi un écueil qui lui sera également adressé par certains puristes : celui de s'éloigner de l'atmosphère mystique des Midnight Suns pour englober bien plus d'incarnations héroïques de l'univers Marvel, quand bien même leur intégration à cette apocalypse Lovecraftienne se fait avec pertes et fracas. J'éprouve par ailleurs un sentiment extrêmement contrasté à l'égard de ce titre : celui d'avoir suivi avec intérêt, et parfois attachement, ce périple héroïque durant soixante-six heures (ça ne s'invente pas) alors que je n'ai pourtant adhéré que très modérément à sa narration. Si vous êtes allergiques comme moi au MCU et son humour lourdingue pour opérer une constante dédramatisation, pas de bol : c'est exactement la démarche narrative de Midnight Suns, même si ce ton faussement désinvolte contraste de plus en plus avec le chaos imminent qui menace d'engloutir le monde entier. Tout n'est heureusement pas à jeter en matière d'écriture mais pour un dialogue réussi, un autre viendra vous faire grincer des dents : même chose en ce qui concerne le généreux casting de protagonistes, extrêmement réussi dans leur différenciation sur le champ de bataille, mais sacrément en dents en scie en matière de développement de personnages.

Blade, Wolverine, Spider-Man et Docteur Strange ont été mes compagnons de combat et de cœur durant toute l'aventure et j'ai apprécié autant leurs conversations que leurs voix françaises ou leurs animations de combat mais pour le reste, j'ai eu bien du mal à trouver mon compte dans la douzaine de personnages en collants qui accompagne notre héros infortuné : Tony Stark a l'air de se demander ce qu'il fout dans ce merdier cosmique du début à la fin du jeu (et nous aussi); Nico, Robbie et Magik sont trois adolescents insupportables que le scénario va s'évertuer à mettre au premier plan dans un risible conflit des générations (surtout Magik malheureusement); Captain Marvel se la raconte comme d'habitude (moi je préfère Shazam de toute façon :p) et Captain America reste Captain America. Bref, une fois encore, Twitter semble être l'inspiration première de scénaristes bien en peine d'écrire des personnages adolescents et tourmentés sans cocher toutes les cases éphémères des réseaux sociaux et l'inévitable soirée ciné avec vos compagnons ne sera pas évitée; malheureusement, au Royaume de Marvel, le Cringe est encore l'ennemi numéro 1 à abattre.

Et pourtant, pourtant, j'ai beau pester sur cette nullité narrative, soupirer à chaque intervention lourdingue de Magik, je me suis quand même pris d'affection pour cette famille dysfonctionnelle; Hunter incarne à ce titre un Shepard de service efficace et charismatique bien que la composante RPG demeure assez minimaliste : pas de romance avec vos partenaires ou à l'inverse d’occasion d'envoyer vraiment chier vos camarades (ou de jeter Magik dans un précipice démoniaque) ; néanmoins, c'est un héros maudit assez intéressant à suivre avec ses mères de substitution en proie aux remords à l'idée de mettre à nouveau son existence en péril pour combattre le mal; l’idolâtrie à son égard est un brin forcée mais on arrive quand même à croire qu'il devient le meneur des plus grands héros de la planète, d'autant qu'il se révèle être le véritable Joker (hohoho) du groupe en matière de combat.

Bref un titre imparfait à bien des égards mais je demeure néanmoins très respectueux de la démarche de Firaxis de briser ses codes emblématiques pour mieux embrasser son univers super-héroique; Midnight Suns reste un titre où la moindre décision peut précipiter un affrontement dans un chaos total et où la réflexion du joueur demeure sollicitée à chaque instant au lieu d'admirer passivement les prouesses de nos personnages à l'écran; un titre extrêmement généreux dans son contenu, très addictif dans la routine qu'il parvient à instaurer auprès du joueur mais clairement cahoteux dans sa narration et son envie de singer l'industrie Marvel. Alors que c'est pourtant bien dans son exigeance de gameplay et ses quelques parenthèses intimistes que Midnight Suns brille enfin d'un éclat singulier.

Maintenant, ça aurait été quand même mieux avec les X-Men cette histoire. :p