Vous ai je déjà parlé de ce pote à moi ?
Un être étrange et compliqué qui prit en pleine face l'explosion vidéo-ludique et sa virtualité déstabilisante.
Un vrai môme des eighties nourri au Tang orange, aux Yes à la noisette et aux bornes d'arcade.
Un développement personnel en parfaite adéquation avec l'évolution du média à pixels.
Grandir avec PacMan, se perdre dans ces labyrinthes glacés avec des fantômes belliqueux aux trousses, bouffer des hosties bénies par Tōru Iwatani himself et aller leur croquer le cul. Défendre la Terre contre des hordes de vaisseaux extra-terrestres, seul contre tous, lutter pieds à pieds contre ces enfoirés de Space Invaders. Ou même balancer des centaines de Shurikens sur tout ce qui bouge engoncé dans un costume de ninja bon marché, un Shinobi linéaire et répétitif comme un match de Ligue 1 mais en plus fun.
Un Darwinisme vidéo-ludique magique où les verres de ses lunettes grossissaient à mesure que les pixels de son écran rapetissaient. L'évolution parfaite du Gamer. Le parcours sans fautes.
Le chemin classique commencé dans les bars enfumés ou les salles de jeux sur-éclairées, continuant sur les consoles préhistoriques à jouer à Pong, vivre l'explosion atomique qu'a fait la NES dans le cerveau embué des ados boutonneux de la fin des années 80 et jusqu'aux consoles NextGen qui finiront d'annihiler la réalité.
La réalité justement mon vieil ami ne la côtoyait plus vraiment.
Ses rares sorties dans la réalité se bornaient à l'achat de ses Marlboro, de sa demie savonnette de Marocain et de ses paquets de Curly sans lesquels la survie du Gamer (et de la sienne en particulier) ne serait pas envisageable.
C'est en me rendant chez lui, cet appartement sentant bon la chaussette sale et la cacahuète artificielle, pour tenter de lui raquer un morceau de Teuh-Teuh et calmer une migraine épouvantable dû à l'écoute prolongée d'un titre de Christophe Maé dans un centre commercial, qu'il s'est passé une chose étrange.
Je rentrais dans ce vieil immeuble sombre et humide, je grimpais difficilement les trois étages qui me séparait de l'appart, mon mal de tête empirait douloureusement.
Arrivé devant le palier de chez mon pote, les relents auditifs putrides du dernier Christophe Maé emplissaient ma boîte crânienne qui était prête à exploser.
Je tape à la porte: Personne. J'entre.
Le salon était plongé dans l'obscurité.
Juste la lueur blanchâtre de l'écran de télévision illuminait la pièce d'un éclat blafard.
Mes maux de têtes ne cessaient pas, cet enfoiré de Maé avait pris mon teston pour une putain de salle de répèt'.
J'avançais doucement dans cette pièce jonchée de bouteilles de Coca vides et de mégots de bédo refroidis.
Là, sur la table basse poussiéreuse, je vis trôner fièrement le Bang que nous avions fabriqué et qui avait la particularité de soigner les maux de têtes, tout en te filant les plus beaux yeux rouges de n'importe quelle cages à lapins.
Je regarde à gauche, à droite: Personne.
j'approchais lentement du bambou béni, quand dans le reflet du miroir usé au milieu de la pièce je croisais le regard noir de mon ami qui me fixait.
Nos regards anxieux tombèrent sur le Bang. Mon ami me regarda. Je le regardais.
Mes yeux dans un mouvement nerveux passaient du visage de mon ami à la table basse à la vitesse de la lumière.
Je fixais le bambou quand tout à coup mon ami se mit à courir vers lui; en un instant je pris mon élan et me jetais sur l'objet de la défonce.
Le temps semblait suspendu, je flottais dans les airs au dessus de la table basse, tandis que mon pote planait gracieusement sur le côté près du canapé.
Dans cet empressement à récupérer le bang de la discorde, dans cette action subite, violente qui semblait ne jamais se terminer, je vis, tout en planant comme un oiseau dans la pièce, sur l'écran de la télé, écrit en lettres rouge sang le nom: Max Payne.
Max Payne. Une saloperie de film noir bourré de pixels dont tu es le putain de héros.
Des références cinématographiques ras la gueule, un héros torturé, une ambiance poisseuse et des gunfights comme s'il en pleuvaient.
C'est John Woo qui aurait bouffé ta PS2 et recraché Max Payne, sorte de Chow Yun Fat dépressif et ultra-violent.
Une virée malsaine dans les bas-fonds d'un New York gangrené par la pègre et la came où la vengeance et la survie de Max est ton seul but.
Buter du mafieux ou du camé au ralenti en appuyant sur ce Bullet Time magique.
Le Bullet Time ! Voilà ! On était en plein Bullet Time.
Mon corps continua de flotter quelques instants dans les airs. Mes doigts frôlèrent le bambou, mais mon ami plus prompt et meilleur Bullet Timer s'en saisit à pleines mains et atterrit comme une fleur dans le canapé tandis que je m'écroulai avec grand fracas sur la table basse en verre.
Je me relevai tant bien que mal, le visage tuméfié et des morceaux de verres plein les cheveux, je vis mon pote tranquillement affalé sur le sofa me regardant dédaigneux en braquant son briquet vers moi.
J'étais pétrifié. Il me regarda dans dans les yeux un long moment avant d'allumer son briquet et de cramer sa dernière douille en éructant un rire dément.
Quelques brisures de shit incandescentes s'échappèrent du bambou pour venir se déposer et brûler son vieux tee-shirt Megadeth.
Je restais debout, les larmes au yeux et la tête pleine de stridences ChristopheMaéiennes.
J'avais perdu la partie. Laissé filer la dernière boulette dans un Bullet Time foiré.
Je partis sans me retourner tandis que mon ami recrachait fièrement cette douce fumée, épaisse et blanche, en souriant d'un air vainqueur.
Dehors, il neigeait.