(Version du 22 août 2015 à l'occasion de mon épopée sur l'intégrale de la série)
Douze ans que je n'avais plus touché à ce Sons of Liberty. Et je me demande pourquoi. Après tout, il s'agit de mon jeu préféré. Oui, oui, vous avez bien lu. Le jeu qui a trahi ses fans. Qui enfile les scènes de dialogues jusqu'à plus soif. Qui nous fait tourner en rond dans une Big Shell aseptisée. Et qui propose une fin philosophiquement hyper prétentieuse. C'est bien ce jeu que je considère comme le plus grand jeu de tous les temps. Que j'avais fini 5 fois à l'époque. Que j'avais décortiqué jusqu'à m'en rendre malade (ha, c'est peut-être pour ça que je n'y suis pas revenu depuis...). Et le plus beau dans tout ça, c'est que je n'avais même pas joué au premier opus à l'époque. J'avais pourtant compris l'incroyable tour de passe-passe de Kojima et, aujourd'hui encore, j'en porte les séquelles.
Comment aurais-je pu rater ce rendez-vous historique ? Un blockbuster d'auteur. Le soft démarre comme un film d'action virtuose. Une ambiance excellente, une écriture aux petits ognons (non, il n'y a pas de faute) et ce gameplay... Incarner Snake est une vraie jouissance, tant il répond parfaitement à la moindre de nos sollicitations (à une ou deux exceptions près) et que sa palette de mouvements est riche et complexe. Tout coule de source, le joueur dispose d'une pléthore d'approches pour affronter ses ennemis. Tuer ou éviter, mettre en joue, assommer, endormir, prendre en otage, étrangler, briser la nuque, cacher les corps, attirer en faisant du bruit, distraire, frapper... Difficile de rejouer deux fois de la même façon à ce jeu. Une liberté incroyable... qui semble pourtant bien vite bridée...
Le joueur arrive sur la Big Shell. Nouveau lieu et nouveau personnage. On connait l'histoire: Raiden remplace Snake. Le jeune blondinet n'aurait aucun charisme. Le scénario virerait au grand n'importe quoi, avec des antagonistes kitschs. Les conversations de Raiden avec sa petite amie enfoncent bien sûr définitivement le clou... On ne joue quasiment plus et tout semble ridicule, si l'on prend ce Metal Gear au premier degré. Mais Sons of Liberty ne se joue pas comme n'importe quel jeu. Il demande de l'investissement au joueur. Il n'est clairement pas fait pour tout le monde.
Le scénario est un gouffre qui nous fait plonger au cœur de tous les processus coercitifs. Ceux que l'on accepte pour s'amuser et ceux que l'on ignore dans nos vies réelles. Le jeu vidéo et la réalité fusionnent, le joueur et Raiden sont une seule et même entité, maltraitée par des puissances invisibles. MGS2 n'offre pas au joueur ce à quoi il s'attend. Il le retourne complètement. Pour une fois, c'est le jeu qui joue avec nous, comme dans un grand test que nous n'aurions pas vu venir. Toute visée commerciale s'éteint au profit de la seule vocation artistique. Et tout ça dans un jeu AAA.
Le test aura malheureusement prouvé que beaucoup de joueurs n'aiment pas sortir de leur zone de confort. L'industrie a manqué son émancipation, à l'époque. Pas encore assez mûre, et rien n'a changé aujourd'hui. Mais je ne suis pas amer. Les souvenirs de cette oeuvre m'habitent, font partie de moi. Et pourtant, alors que j'ai entamé ma sixième partie avec 12 ans d'écart, j'ai littéralement redécouvert Metal Gear Solid 2. Des détails m'avaient échappé. Des éléments de gameplay, des réflexions, des secrets... Le contenu du jeu semble inépuisable. C'est à cela que l'on reconnait les grandes œuvres.
Les années passent et la force de ce titre reste intacte. Ce n'était pas simplement de la nostalgie; je n'étais pas bêtement impressionnable quand j'étais adolescent. Ou alors je le suis toujours. MGS2 est cette partie de moi qui n'a pas changé. Et je suis prêt à donner tous les Assassin's Creed, tous les Uncharted et autres gros succès de ces dernières années pour tourner en rond éternellement sur la Big Shell...