Dans les débats qui secouent régulièrement les forums de jeu vidéo, un problème silencieux et invisible est régulièrement mis en lumière par une tranche de joueur, celui du dirigisme occasionné par une narration trop présente. Une narration qui pioche dans la littérature, le cinéma ou d'autres médias narratifs et qui s'oppose à une certaine liberté d'expression du joueur, à la fluidité du jeu et parfois même à son intérêt intrinsèque. Les jeux vidéo même s'ils délivrent des expériences parfois être uniques ou profondes n'ont pas forcément pour vocation de raconter une histoire et quand ils le font il est essentiel de comprendre comment ils le font. De quel moyen dispose un jeu pour raconter son histoire, son intrigue et son scénario ? Est-ce qu'il use forcément des méthodes des autres médias ou peut-il utiliser ses spécificités à des fins narratifs ? Et lorsqu'il utilise de ses spécificités pour raconter une histoire sont-elles suffisantes ? Qu'est-ce qui différencie un jeu narratif d'un jeu non-narratif, la présence de d'autres éléments narratifs venues de d'autres médias ou l'utilisation différente de leurs propres spécificités ?
Ces problématiques peuvent être appréhender en partie grâce à Metroid Fusion, un développé par Nintendo R&D1 avec dans le rôle du lead designer Yoshio Sakamoto. Metroid Fusion est la suite de Super Metroid, un jeu d'exploration et d'action sortie sur Super Nintendo, qui a la réputation d'être proche de celui-ci, à la différence près qu'il possède une histoire et une mise en scène plus appuyée, dans la lignée des jeux des années 2000. Mais retournons à notre essai, à peine camouflé derrière une critique, sur la narration dans les jeux vidéo.
La narration est la façon dont on raconte un scénario. Elle est intrinsèquement liée à l'histoire en théorie, on ne peut que difficilement séparer les deux parce qu'elles se font constamment écho. Dessiner une forme géométrique sur une feuille, grâce à votre tracé vous avez une surface enfermé par la forme, forme qui possède son propre périmètre. La surface et le tracé sont deux choses différentes mais qui n'existent pas l'une sans l'autre. Une narration et une histoire entretiennent une relation semblable même si on aime considérer le texte brut et épuré comme le fond. Au théâtre et au cinéma, la narration passera le jeu d'acteur et l'intonation dans les dialogues par exemple.
Néanmoins, un scénario est composé de deux éléments sous-jacents, eux-aussi imbriqués l'un dans l'autre. On peut distinguer l'intrigue qui est le parcours physique du personnage et l'histoire qui est son parcours psychologique et émotionnelle. L'intrigue, c'est l'action, l'acte, le concret et plus souvent le visible. Ainsi, les jeux d'action racontent plus souvent une intrigue puisque le joueur joue, notre médium basé sur l'interaction, l'action et la résolution de problème binaire, est naturellement voué à raconter des intrigues riches. Super Metroid, tout comme un nombre incalculable de ses petits camarades, sont des jeux narratifs le plus souvent occupés à nous faire jouer et vivre une intrigue.
L'enjeu pour un jeu narratif (différent) serait de raconter une histoire avec un personnage avec une personnalité, des émotions et une évolution dans sa psychologie. Qu'est-ce que fait Metroid Fusion de ce point de vue là ? Il raconte la relation qu'entretien Samus et un ordinateur à travers des passages de dialogue en texte dans des salles précises durant le jeu et à travers les monologues (toujours du texte) de Samus durant certains temps de chargement entre certaines zones. C'est très léger, même si l'ombre de son défunt supérieur lui hante la conscience à travers cette Intelligence Artificielle qui lui donne des ordres.
En fait, Metroid Fusion se sert de ses passages textuelles et de la relation entre ses deux principaux personnages pour orienter le joueur dans un cheminement et créer des évènements surprises pour casser ce même cheminement. Une panne, une attaque surprise, des points de sauvegarde qui deviennent inaccessibles. Metroid Fusion use-t-il d'une narration plus appuyée pour rendre son dirigisme plus digeste ? Ou les développeurs de chez Nintendo ont-ils voulu raconter une histoire et faire progresser la mythologie de Metroid en acceptant de réduire la liberté du joueur ? Il n'y a pas d'explication linéaire, juste une causalité circulaire résultant d'un choix artistique. Super Metroid était dirigiste à sa façon puisque la progression du joueur était limité par un environnement qu'il fallait dompter ; on s'y perdait, les chemins et les possibilités étaient nombreuses, l'intérêt se relançait seul grâce aux nouvelles améliorations et les changements survenaient discrètement aux yeux du joueur. Metroid Fusion, parce qu'il propose plus ou moins les mêmes améliorations que son prédécesseur doit jouer avec ses attentes différemment, il doit créer des surprises dans une fausse routine celui d'explorer six zones précises pour réaliser des tâches ingrates et créer une atmosphère par ses enjeux scénaristiques, ses scripts (une ombre en arrière plan, un ennemi qui nous poursuit, etc) et l'utilisation de la musique, que par l'environnement et sa direction artistique seules. On se retrouve alors avec un jeu plus facile, contredisant même l'expérience de jeu principal de la série qui est la recherche d'amélioration et de ressources, mais jamais son ambiance ou son héroïne.