Nos dieux sont morts. Ils nous ont quittés. Ils nous ont abandonnés à notre sort, à notre malédiction. Tous les signes de cet univers crépusculaire conduisent à cette conclusion, à ce constat amer teinté de désespoir. Rien de bien étonnant, nous les avons tués ces dieux ! Nous avons dérobé les âmes des plus puissants seigneurs autrefois. Nous avons vaincu le Seigneur des Cendres et ravivé la première flamme. Les dieux ont déserté leur majestueuse capitale plutôt que d'attendre le renouveau du cycle. Même notre démiurge, Hidetaka Miyazaki, nous a abandonné pour se consacrer à un autre univers, laissant la lourde tâche à Tomohiro Shibuya et Yui Tanimura de lui succéder. Cette simple et horrible évidence n'éclaire-t-elle pas les zones d'ombre du jeu ? Cette perte n'apporte-t-elle pas plus de sens à cet univers païen et cryptique ? La première scène ne présente ni dieu, ni mythologie, ni légende, mais une simple malédiction, et nous conforte dans cette idée. Les adversaires les plus imposants qui n'arrivent jamais à avoir le charisme ou la puissance de nos précédents seigneurs apparaissent comme des tentatives ratées de les imiter. Ne cherche plus les affrontements épiques d'autrefois ! Tu les as déjà tous tués ! Même Sif, le loup majestueux ! Même Orstein, le chevalier d'or ! Assassin ! Il ne reste que la Charogne et ces ersatz de colosses !
Mais que reste-il à l'univers de Dark Souls quand on le dépossède de ses dieux et de ses boss aux musiques puissantes ? Que reste-il de l'âge du feu où la flamme faiblissait ? Il nous reste l'Homme dépossédé de ses valeurs, maudit donc, qui doit se battre pour retrouver sa dignité et la conserver. Il reste aussi le feu, un feu plus faible, mais nécessaire pour éclaircir les ténèbres environnantes. Les humains reviennent sur le devant de la scène dans Dark Souls 2 : Scholar of the First Sin. Alors que le premier titre nous présentait des pantins manipulés par les légendes pour servir les intérêts des dieux, le second nous présente l'Homme qui agit pour lui-même. La quête adressée au joueur est clairement dans son intérêt : ne pas succomber à la malédiction ni devenir une Carcasse en accumulant les grandes âmes. Les humains repeuplent le monde, on dénombre presque deux fois plus de personnages dans l'univers de Drangleic que dans le premier titre. Les alliés à invoquer, les spectres qui nous envahissent, les marchands et les personnages moins cryptiques qu'à l'accoutumée participent à rendre l'histoire de Dark Souls plus proches d'une épopée noire chevaleresque que d'un conte mythologique fantastique et médiéval. L'Homme et sa malédiction sont mis en exergue dans cette épisode, d'une part parce qu'on retrouve bien plus facilement son humanité, un état salvateur où on n'a pas l’apparence d'un mort-vivant, ce qui multiplie les rencontres avec les spectres. D'autre part, chaque mort nous grignote un morceau de notre énergie vitale, de notre barre de vie maximale, nous interdisant d'enchaîner les morts irréfléchies. Les Hommes sont de retour, mais ils ne devront se battre pour conserver toute leur puissance et leur humanité. Le prix d'un athéisme forcé en somme.
Il ne s'agit pas pourtant de l'âge des ténèbres, où les Hommes devaient gouverner, décrit par les Serpents Primordiaux, même si les ténèbres sont présentes. Armé d'une torche dans sa main gauche, le héros devra parcourir des lieux sombres tout en assurant sa survie. Le joueur-explorateur-tueur est dorénavant un porteur de lumière, il éclaire les lanternes des lieux les plus hostiles, éloigne les créatures les plus infectes avec sa torche et attire les adversaires les plus vicieux. L'appropriation d'un lieu ne passe plus seulement par la connaissance précise de ses dédales ou le meurtre de tous ses occupants, mais par l'apport du feu et de la lumière dans ses recoins. Non, l'Homme n'est définitivement pas prêt pour l'âge des ténèbres, sa dépendance au feu est encore trop forte. Pourvu qu'il ne se met pas à déprécier ce monde et ses valeurs à travers le prisme des anciens dieux alors, car ce monde est le seul qu'il lui reste. Il doit l'aimer. Ou ce nihilisme le conduira à devenir une Carcasse.
Dark Souls était le début du crépuscule des idoles. Sa suite n'en est que le prolongement. Adieu les idoles. Ce qui suit nous le saurons dans quelques heures, quand nous aurons atteint le point final du titre, car une question demeure : Vivrons-nous le crépuscule ou l'aube des Hommes, dans cette histoire ?