On lui en aura donné des qualificatifs divers et variés, parfois contradictoires, à ce Heroes VI, dernier opus de la célèbre série de stratégie au tour par tour. « Nul », « génial », « décevant », « beau », « casualisé », « différent », et tellement d’autres que je ne pourrais tous les citer. Longtemps attendu par les fans, rapidement renié, Heroes VI est l’épisode aujourd’hui considéré comme celui qui aura tué la licence. Trois ans après sa sortie, il convient de faire le point dans tout ce méli-mélo et de voir ce que vaut réellement cet opus.

Heroes VI est un bon jeu.

Telle est ma conviction la plus intime quelques années après sa sortie, conviction qui n’est pas celle que j’avais le jour J, mais je reviendrai sur l’évolution du soft un peu plus tard.

Premier constat : sur la forme, ce sixième opus est splendide. Version améliorée de son prédécesseur qui introduisait une 3D sympathique mais encore à peine maîtrisée, ici les maps sont belles et ergonomiques. Les environnements font rêver, et la direction artistique y est pour quelque chose. L’effet cartoon de Heroes V s’estompe pour laisser place à un design plus mature, plus pertinent, tout en restant coloré et enchanteur. Etant accompagné d’une bande son de grande qualité, reprenant quelques uns des plus grands thèmes de la série, HVI est propice au voyage et à la rêverie et, bien que ne rivalisant pas avec le III, s’en sort avec les honneurs.

En termes de gameplay, les amateurs ne seront pas dépaysés et retrouveront la recette du succès des premiers épisodes. Pourtant, on notera quelques nouveautés qui auront fait couler beaucoup d’encre et attiser de nombreux débats. Ces changements sont pour majeure partie la raison pour laquelle on aura rapidement taxé ce Heroes VI de jeu casualisé, alors que la réalité est autre. Il y a eu de bonnes et de moins bonnes idées, mais toutes, à mesure qu’elles étaient dévoilées, ont été bien vite jugées avant même d’être testées.

Première modification apportée à HVI, les maps sont divisées par zones au centre desquelles se trouve un château ou un fort. Il s’agit de points stratégiques grâce auxquels on peut contrôler toute l’économie de la région. Et si un ennemi souhaite vous piquer une mine, il devra y rester poster pour détourner sa production, sans quoi cette dernière reviendra à celui qui contrôle la zone. Il existe des points stratégiques plus importants à défendre que d’autres, et j’aime ce système qui renouvelle la franchise afin qu’elle ne tourne pas en rond.

Deuxième chose, celle qui aura probablement le plus indigné les fans, la disparition des 4 ressources rares au profit d’une seule commune à toutes les factions : les cristaux de sang de dragon. « Honte ! », « régression », on aura tout entendu. Les joueurs auront râlé, moi le premier, car il faut l’admettre : ces 4 ressources faisaient partie intégrante de l’essence d’Heroes, et les lui retirer, c’est retirer une partie de son identité. Puis j’ai essayé, et pour la première fois, la ressource en question est devenue un facteur limitant mon économie. J’ai dû faire des choix de développement, j’ai dû programmer une invasion précoce pour aller piller le territoire ennemi. Mais rappelez-vous ce système de zone qui demande de camper près d’une mine adverse pour bénéficier de sa production ! C’est là que le choix s’impose : envoyer un héros au casse-pipe pour tenter d’améliorer son économie, ou jouer la défense quitte à se développer plus lentement ? Eh oui, le game design est cohérent ! Et avec cette histoire de ressource, ce que HVI a effectivement perdu en charme, il l’a gagné en stratégie.

À la liste des vraies bonnes idées, on ajoutera le rééquilibrage des créatures. Exit les 7 niveaux d’unités des épisodes précédents, place à 3 niveaux (3 unités de base, 3 unités élites et 1 unité championne). Négligez vos créatures de base, comme les précédents épisodes le permettaient, et la défaite est assurée. La hiérarchie existe toujours, mais à une moindre échelle, et il faudra appréhender les combats avec plus de prudence. Et parlons-en des combats. Le retour d’une barre d’initiative à la Heroes III, où chaque unité pourra jouer pendant le tour, l’introduction de points stratégiques sur l’échiquier sur lesquelles on gagnera chance ou mana, le moral qui permet à nouveau de jouer 2 fois d’affilée, les obstacles derrière lesquels se protéger des tirs ennemis…

Enfin, difficile de ne pas mentionner la campagne à laquelle j’aurais, pour la première fois dans un Heroes, véritablement accroché. Le scénario se tient, et on apprécie les personnages que l’on incarne. L’intrigue nous place à tour de rôle dans la peau de cinq frères et sœurs (chacun appartenant à une faction), il s’agit donc des mêmes événements perçus par différents héros. L’idée est bonne même s’il est conseillé de faire les scénarios dans l’ordre chronologique (ordre disponible dans le premier commentaire de cette critique) pour en profiter pleinement.

Définitivement, HVI est loin du mauvais jeu pour lequel on voudrait le faire passer. Piochant les bonnes idées de chaque opus, et en introduisant de nouvelles, sa composante stratégique est de qualité, meilleure même que celle du V.

Ne confondons pas casualisation et efficacité.

À l’image du nouveau système de compétences qui ne laisse plus de place au hasard. Encore une fois, on pourra arguer que l’aléatoire constituait une part de l’essence de Heroes. De mon point de vue, stratégie et hasard sont antinomiques, là où il y a l’un, il n’y a précisément pas l’autre, d’autant plus que les précédents opus ne laissaient pas énormément de marge d’adaptation dans un cas de malchance, contrairement à ce qu’on pourrait défendre. Dans HVI, c’est votre stratégie contre celle de votre adversaire, sans intervention du hasard.

Mais je dois l’admettre, HVI contient également son lot de fausses bonnes idées. J’en veux pour preuve son système de mutualisation du recrutement des unités de toutes les cités dans une seule, ou encore sa possibilité de se téléporter de ville en ville, tout ceci encore une fois dans une recherche d’efficacité. Et à cela je réponds : ne confondons pas efficacité et casualisation. Car il s’agit bien, selon moi, d’une casualisation dans ces deux cas. Les précédents opus incitaient à l’anticipation, à la prudence et à la gestion du recrutement au bon endroit, à la gestion des déplacements de vos héros, et au choix du meilleur chemin à suivre pour attaquer. Désormais, vous pouvez foncer tête baissée chez l’adversaire, sans réfléchir, avec l’assurance de pouvoir TP dans n’importe laquelle de vos cités en deux tours s’il vous vient le besoin de défendre. Le jeu en est grandement facilité, voire pire lorsque deux adversaires utilisent ce même principe, les parties peuvent s’éterniser de longues heures.

On notera également avec un certain regret que l’IA est franchement mauvaise. Certes, la série n’a jamais brillé par la qualité de ses intelligences artificielles, mais on espérait, comme à chaque fois, qu’un nouvel épisode serait l’occasion de l’améliorer. Eh non hélas ! HVI n’échappe pas à la règle : l’ordinateur est con comme un balai, et ne tirera sa difficulté que de sa propension au cheat, recrutant plus de créatures qu’il lui est possible, avec des ressources qui semblent lui tomber du ciel.

Heroes VI n’est certes pas parfait, mais il est loin d’être si mauvais. C’est un bon Heroes, et un bon jeu de stratégie. Pourtant, on lui en aura reproché des choses. On lui aura reproché tout et son contraire, ses innovations en même temps que son manque de nouveauté… Au final, est-ce qu’on ne lui reprocherait pas simplement d’être la sixième itération d’une licence mythique qui a déjà connu son apogée ? De n’être qu’une vague réminiscence de ce qu’était le III à l’époque, et dans laquelle les vieux joueurs ne peuvent ou ne veulent se retrouver, de peur de briser ou d’altérer leurs souvenirs ? J’en pense que Heroes VI a beaucoup à offrir pourvu qu’on lui laisse sa chance, et qu’il mérite mieux que cette haine farouche que trop de fans s’obstinent à maintenir allumer. Car deux ans après sa sortie, avec l’arrivée de son extension, HVI est un opus qui ne fait pas honte à ses prédécesseurs.

Mais c’est hélas là son principal et réel défaut, qu’il sera manifestement condamné à traîner comme un boulet éternellement : il aura fallu attendre DEUX ANS après sa sortie pour que Heroes VI soit vraiment terminé et qualitatif. Bugs sonores, corruptions de sauvegardes, connexion obligatoire sur des serveurs instables, crashs intempestifs, freezes, écrans noirs, absolument RIEN n’aura été épargné aux joueurs de la première heure. Le jeu est sorti incomplet, c’est aberrant mais c’est un fait, et il a légitimement été renié par toute la communauté. Et pour avoir décrédibiliser le soft malgré son potentiel, pour l’avoir littéralement tué dans l’œuf…

…on peut remercier Ubisoft.

On peut remercier Ubisoft et sa politique foireuse pour avoir poussé Black Hole (les développeurs) à sortir un jeu pas fini. On peut remercier Ubisoft d’avoir jugé les écrans de ville « inutiles » au point de ne pas les inclure « faute de temps », de s’être offusqué du mécontentement des fans, de les avoir incorporés plus tard dans un patch « gratuit » pour montrer leur bonne foi (!!) et d’en avoir fait un argument marketing pour vendre l’édition gold. On peut remercier Ubisoft d’avoir vendu 2 DLC de moindre utilité/qualité à la modique somme de 10€ chacun. Pourquoi n’a-t-on eu que 5 factions (le Donjon n’étant apparu qu’avec l’extension) ? Où sont passées la Sylve et la Tour/Académie ? Si l’on en croit les propos d’un ancien développeur de Black Hole, cette dernière aurait été retirée du projet en raison des conditions imposées par Ubisoft. Et enfin, est-il nécessaire de rappeler que Black Hole, ayant été déclaré « en faillite » juste après la sortie de HVI, n’aura pas perçu un centime des bénéfices générés par le soft, la somme ayant été engrangée par Ubisoft ?

En définitive, remercions Ubisoft de prendre ses joueurs pour des jambons, car telle est sa politique : vendre un jeu incomplet et si celui-ci ne fonctionne pas, c’est bien parce que les joueurs sont lassés de la licence… Stratégie fièrement répétée et revendiquée lors de la sortie de Might & Magic X, jeu techniquement dépassé et très mal optimisé, dont l’argument même pas dissimulé était le suivant : « ce jeu est un test, si le succès est au rendez-vous, on réfléchira à une suite de qualité, dans le cas contraire, c’est que le public n’en veut pas ». À moins que le public en question, pas complètement crétin, attende de son côté un vrai bon jeu pour l’acheter, non ?

Difficile donc d’être optimiste quant à l’avenir de la licence. Et si celle-ci devait effectivement mourir avec cet épisode, ce sont plus les choix marketing d’Ubisoft qui sont à remettre en question que la qualité intrinsèque du jeu. Car, je le répète, Heroes VI est un bon jeu qui, malgré ses imperfections, est susceptible de plaire aux amateurs de la série qui sauront faire fi de leurs préjugés, ainsi qu'aux amateurs de stratégie en général, même s’il aura effectivement fallu attendre deux ans pour qu’il soit enfin terminé.

Le rêve de voir sortir un jour un Heroes VII demeure, mais l’espoir s’estompe.

EDIT : Mise à jour du 13 août 2014 :
Quelle ironie ! Un mois à peine après la publication de cette critique, voilà qu'Ubisoft annonce Heroes VII à l'occasion de la Gamescom. J'accueille la nouvelle avec un mélange d'espoir et d'appréhension étant donné le passif de la licence entre les mains de l'éditeur. J'ai du mal à croire que ce nouvel épisode puisse redresser la barre et, tout comme je pensais ne jamais voir de Heroes VII, j'espère que l'avenir me donnera une nouvelle fois tort !
Gilraen
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le 24 juil. 2014

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Gilraën

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