Nethack
8.3
Nethack

Jeu (1987PC)

La maîtrise du comportement du joueur, la manipulation de ses réactions, de son humeur, est tout l'art du game design.
NetHack nous dresse l'essentiel vidéoludique : pas besoin de graphismes travaillés, voire même d'interface, les ténèbres de l'ASCII et les initiales des actions, sur le clavier, suffiront. Pas besoin non plus de son, de musique, ça nous distrairait du principal. Montrons que l'interactif se suffit à lui-même.


Double clic sur l'exécutable, on tape quelques touches dont celles de notre nom, et le jeu débute.
Tout devient noir, on ne laisse que l'essentiel : le personnage est le célèbre @ des roguelikes d'ASCII, les ennemis sont des lettres, les portes sont des plus, il n'y a aucune animation de déplacement, d'attaque, de blessure. Il n'y a que des formes rectangulaires qui se déplaceront sans changer d'apparence. Seulement seize couleurs et contrastes, pour tout afficher (différencier par exemple une araignée, s blanc, d'un serpent, s vert).
Nombreux seront les joueurs à penser que nous y perdons, que la profondeur narrative et ludique se trouve aussi dans la bonne représentation des objets. Pourtant, je ne trouve pas avoir moins vécu un bon jeu ASCII, qu'un Elder Scroll.


Dans un jeu vidéo, ce qui importe n'est pas le visuel, mais la conscience du joueur, de ce qu'il peut faire. Si je me déplace dans un univers 3D très réaliste mais où je ne peux pas interagir avec 90% des choses (des murs de bois indestructribles, non inflammables, des zones non accessibles pour des raisons absurdes, des tonneaux que je ne peux faire tomber et rouler, de nombreux pnjs avec lesquels je ne peux rien faire ; et pire encore que les seules interactions possibles avec ce monde sont des escalades en déplaçant simplement le stick, et en appuyant sur une touche de saut sans timing ni durée de pression, requise, ni skill ni rien, encore moins avec ces tranquilles QTE espacés de 3 secondes) alors le jeu est finalement bien plus limité qu'il n'y paraît.
NetHack se contente d'afficher tout ce qui a la moindre importance, voire même de garder de côté des actions logiques mais rarement présentes dans un jeu, n'apparaissant que si le joueur apprend leur existence. Par exemple si j'ai un chiffon et que j'appuie sur les bonnes combinaisons de touches (alt + w, ou alt + d, etc) je peux essuyer mon visage (sait-on jamais), nettoyer un objet, tremper mon chiffon dans une potion, m'en servir de bandeau sur les yeux... Ces rapports au monde et à notre imaginaires sont très importants dans ces types de jeux, nous comprenons souvent immédiatement quelles vont être les utilisations d'une chose qu'on vient tout juste de découvrir, car le contexte du jeu nous était déjà familier. L'important étant que ces petites découvertes, soient innombrables, et qu'environ toutes finiront par devenir essentielles, à un moment donné.
Typiquement, dans un jeu à la physique et aux décors un peu complexe, (pour un gameplay finalement simple) on ne sait pas non plus si on va être confronté à un bug, et il est rare que celui-ci devienne exploitable, de toute façon. Ce qui limite la conscience du joueur sur ses possibilités et limites.


Parlons d'immersion. Je n'aime pas trop ce terme, il n'a plus beaucoup de signification tant il est utilisé par les joueurs pour un rien, je le définirais ici comme "la facilité de persuasion du joueur malgré lui qu'une chose existe dans le jeu, et avec lequel il sait qu'il a un rapport particulier, sans oublier la facilité de roleplay que ça engendre", par exemple de voir un @ à côté d'un + violet, donc notre personnage, un puissant sorcier, à côté d'un livre de sorts non identifié, possédant peut-être un sort puissant mais aussi qui peut être maudit, et donc nous rendre aveugle si on le lit, etc.


Cette immersion donc, passe aussi par la méconnaissance du joueur de certaines choses : le nombre de points de vie restants aux adversaires, des dégâts exact infligés, (on sait simplement qu'une arme ou un sort vont faire 1d8 ou 2d12 de dommages, par exemple) de savoir si notre action va bel et bien réussir dans un moment critique (et donc éviter de porter notre choix sur quelque chose de peu sûr).
A cette méconnaissance et par le fait que le jeu soit extrêmement dur, il faut ajouter qu'il est aléatoirement généré sur 50 étages qu'on doit descendre pour récupérer un objet, puis les remonter, c'est très long, et la mort arrive vite. Pas de sauvegardes rapides comme dans les jeux actuels, si vous êtes mort, c'est fini : le jeu incite donc, à tout instant, à la prudence extrême. Qu'y a-t-il derrière ce mur, qu'est-ce que c'est que ce truc invisible qui me suit et me tape dessus de temps à autres, ah mince j'ai marché sur une trappe sous laquelle se trouve des piques empoisonnées...


Beaucoup de jeux récompensent le joueur, de nos jours, ce qui l'incite à terminer ledit jeu qui ne lui demande pourtant pas de véritable effort, là où finir Nethack représente déjà, en soi, un exploit. C'est un ultime but, secondaire tant il est relativement inatteignable, (l'immense majorité des joueurs mettent, semble-t-il, en moyenne un an avant de réussir à le finir une première fois) l'expérience de jeu étant déjà passionnante et racontable sur des parties qui se termineront sur une mort particulièrement subite et stupide.


Pour finir, j'ai remarqué, dans mes parties de Dwarf fortress et de Nethack, où pour l'un comme l'autre, (particulièrement dans le premier toutefois) savoir faire une action, et savoir quel sera véritablement son impact, est plus difficile que dans la plupart des jeux, ce qui me donnait plus de satisfaction d'en réussir une, d'une part, mais surtout, paradoxalement, plus d'impression d'avoir vraiment fait cette chose, contrairement à beaucoup de jeux qui nous font contrôler des personnages capables parfois de trancher en deux un personnage, tout ça juste en appuyant sur peu de boutons d'une façon intuitive, pensée par les développeurs pour être très abordable.
Ces jeux n'ont beau être que de l'ASCII, je m'y sentais plus impliqué, et dans un univers dangereux, immaîtrisé, parfois incompréhensible, et ne pouvais pas toujours, voire rarement, vérifier si mes actions étaient en accord avec le jeu. Ce qui me poussait à "jouer à ma façon, malgré moi" (gameplay émergent...). Je gardais tout de même confiance en leur cohérence, et au génie de leur auteur, pour la redécouvrir à terme, comprenant que ce n'est pas le visuel qui forme l'immersion, mais la maîtrise de l'immaîtrisable, et la narration qui en émerge.

Créée

le 22 mars 2013

Modifiée

le 23 mars 2013

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muleet

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