Quelques semaines après que Nintendo ait révolutionné la 3D avec Super Mario 64, la Sonic Team explore pour Sega ce nouveau monde tridimensionnel d’une bien autre manière, celle de Nights into Dreams. Bien loin d’essayer de transposer les codes du jeu de plates-formes auxquels ils étaient habitués, les développeurs vont parvenir à un concept assez déroutant : un gameplay en 2D dans un monde en 3D avec un maniement de vol multi-directionnel et le tout dans un univers onirique avec beaucoup d’excentricités à tous les niveaux. C’est typiquement le genre d’expérience qui peut être complètement ratée, brouillonne, insensée… et pourtant bien que la série a quasiment disparu et le concept très peu repris, l’estime demeure pour ce titre réputé comme l’un des meilleurs et des plus emblématiques de la Saturn.
Pour information, j’ai fait le jeu dans sa version remasterisée sur PC qui permet de jouer au jeu dans une version graphique proche de l’original, c’est à ces graphismes auxquels je ferais référence notamment. Voyons ce que j’en ai pensé en écoutant ce très joli thème du menu Gate of your Dreams.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Commençons par le début, Nights into Dreams est un très beau jeu pour de la 3D sur sa machine et de son époque à mes yeux. Bien sûr que ça a vieilli assez vite, comme tous les jeux de ces années-là assumant pleinement une réalisation en 3D mais ce monde de Nights est bourré d’ambitions qui forcent le respect, des effets de déformation et de distorsion très prononcés, des reflets dans des reflets… Et surtout, les nombreuses acrobaties de Nights pivotant et se déplaçant avec beaucoup de grâce sont des aminations d’une qualité remarquable pour un titre du début de l’ère 3D, nous ne sommes alors qu’en 1996.
Sonic Team oblige, on peut appuyer sur l’accélérateur et voir l’écran défiler à toute allure sans le moindre accroc, c’est très impressionnant et ça constitue une démonstration technique qui en rappelle bien sûr une autre de ces mêmes développeurs sur Mégadrive. La seule vraie limite technique à tout ça c’est un léger clipping sur l’arrière-plan mais vraiment rien de bien méchant. Et puis il y a aussi les phases à pied qui sont parfaitement hideuses visuellement, ça tombe bien ça dure 2 secondes seulement et tout le but du jeu est de ne jamais être à pied.
On saluera au passage la très belle remasterisation officielle qui corrigera ces quelques défauts et fera briller le jeu sous son plus bel éclat en haute définition sans altérer la direction artistique sur laquelle je vais maintenant m’épancher. En effet, l’ambiance joyeusement psychédélique qui se dégage de ce monde des rêves m’a beaucoup plu avec cette profusion de couleurs dans tous les sens pour rendre visuellement cet univers loufoque à souhait, à la limite du cartoon. J’aurais sans doute adoré me plonger dans un tel univers visuel enfant et encore aujourd’hui je peux en tirer beaucoup de plaisir.
Cette direction artistique singulière est très réussie et assumée mais avec aussi en parfaite cohérence avec la lisibilité du gameplay ou les propos du scénario. Ainsi, la petite histoire de chaque personnage devant affronter ses cauchemars pour croire en ses rêves jusqu’au bout est des plus sympathiques et en adéquation avec le ton enfantin de la direction artistique, les couleurs des sphères à retrouver évoquent émotions et qualités à retrouver pour reprendre confiance en soi, les environnements figurent des caractéristiques morales et sentiments de façon très pertinente...
Le chara-design de Nights en lui-même, sorte d’Arlequin fantastique, est très soigné, original et classe, tout en étant assez proche du travail de la Sonic Team, très exactement ce que l’on pouvait en attendre. Les créatures mignonnes ou délirantes que nous serons amenés à rencontrer ou à affronter s’inscriront sans soucis dans cette ambiance bon enfant et onirique. Enfin, le travail sonore est très satisfaisant à mon sens dans sa globalité, mention spéciale à l’utilisation des voix et chants dans la B.O qui est très notable pour la bonne ambiance ou la gentille folie qui se dégage du titre, dès l’écoute du thème de menu que je vous ai proposé. Malheureusement, je ne pourrais être aussi élogieux sur la partie ludique bien qu’il y ait de sacrés qualités à y faire valoir.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆
Premier jeu de la Saturn a exploité son stick analogique, le maniement de Nights est en 2D mais à 360° pour profiter de la précision du stick et quel plaisir que de virevolter dans les airs avec autant de fluidité. Ce maniement très souple fait de Nights un jeu d’adresse très agréable à prendre en main et qui profite d’une multitude de subtilités techniques. On peut ainsi prendre le temps de réaliser des acrobaties pour augmenter le score malgré le timer qui défile, circuler autour d’un ennemi pour l’éliminer plutôt que de simplement lui foncer dessus...
Comprendre ces subtilités ne sera pas toujours aisé, le jeu n’ayant pas vraiment de tutoriel bien établi, mais la profondeur du gameplay ne doit pas en être sous-estimé. On ne fait pas que passer à travers des anneaux en bougeant un peu le joystick dans un parcours d’obstacle simpliste, comme pourront le faire de très mauvais jeux de cette génération. De plus, des mécaniques de jeu très ambitieuses pourront être à l’œuvre de temps à autre à l’image de l’inversion de gravité. La caméra le plus souvent de profil pourra se placer à l’arrière ou par dessus de façon dynamique pour des passages d’adresse un peu différents de la proposition de base tout en profitant des mêmes qualités.
De la même manière, certains boss permettent des séquences de jeu très créatives en ce début de la 3D avec par exemple la possibilité de les attraper et de les propulser librement contre des éléments du décor en profitant du maniement à 360°. Malheureusement, il s’agit de concepts originaux à la qualité d’exécution parfois approximative et à la prise en main pas toujours évidente, sanctionner le joueur au point de lui faire refaire tout le niveau avant le boss au premier échec venu n’était pas très malin à mon sens. Enfin si, pour masquer la réelle durée de vie du titre assez ridicule, il faut bien le dire.
Autant le dire d’emblée, il ne m’aura pas fallu 3 heures de jeu pour voir la quasi-totalité des niveaux qu’il peut offrir mais bien évidemment ça s’explique par toute la singularité du concept, qui restera assez unique avec le temps. On peut débattre des heures durant de la pertinence et de l’articulation des critères de qualité d’exécution, de créativité respectable ou de générosité de contenu, pour moi il faut tout prendre en compte et en l’occurrence la créativité elle est folle, la qualité est irrégulière mais avec de belles fulgurances et la générosité est bien faible.
Les seules phases vraiment ratées sont celles à pied, ce qui est normal puisqu’elles n’apparaissent que pour nous sanctionner et ne sont pas prévues pour durer dans le temps. Mais je me dis que si Nights avait voulu prétendre à davantage, c’est là que ça serait joué. Imaginez le même jeu avec un vrai et bon jeu de plate-forme en 3D à la Super Mario 64 dans des phases à pied qui seraient ponctuées par les séquences aux contrôles de Nights, un level-design exploitant les possibilités à pied et les possibilités en vol… mais ce n’est pas cette direction qui fut prise par le jeu.
CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆
Issu des premières expérimentations de la 3D dans le jeu vidéo, Nights into Dreams a beau être quelques peu maladroit et assez pauvre en contenu, l’univers joyeusement psychédélique qu’il arbore en nous laissant aux commandes d’un personnage si bien animé démontre une très solide réalisation et un esthétisme aussi singulier que réussi pour ce jeu d’adresse regorgeant de créativité et tout à fait plaisant à faire et à refaire. On est bien loin de la révolution Super Mario 64 face à lui mais on est sur une proposition plus originale et sympathique à mes yeux que celle de Crash Bandicoot chez Sony.