2077 et Deus Ex sont peut être encore dans les mémoires mais le Cyberpunk a encore de beaux jours à vivre dans le jeu vidéo, à mesure que ses prédictions fatalistes se concrétisent de plus en plus à l'ère de l'abrutissement du numérique et de notre interconnectivité maladive et comme Observer ou Gamedec avant lui , on se dira encore une fois au terme de ce Nobody Wants to Die : c'était chouette mais le jeu Cyberpunk ultime n'est pas encore arrivé.
Nobody Wants to Die reste en effet limité par les contraintes inhérentes au Walking Simulator bien qu'il s'efforce d'en contourner les limites : le monde interactif est ici une carte postale où le joueur n'est pas libre de ses mouvements et où les interlocuteurs humains se compteront sur les doigts d'une main; au royaume du futur, les hologrammes et projections spectrales sont toujours des cache misère créatifs aussi prisés que par le passé. Malheureusement, Nobody Wants to Die n'est pas forcément aussi pertinent qu'un Everybody Gone to the Rapture ou un Tacoma en la matière : la mécanique de reconstruction des scènes de crime est excellente (et évoque fréquemment les Memory Remix de Remember Me, autre titre sympathique mais ô combien imparfait dans ce type de dystopies futuristes) mais elle n'est qu'une démonstration visuelle où le joueur s'amuse à retrouver des scènes de Matrix sans jamais que son analyse ne soit sollicitée pour le déroulement de l'enquête.
Telle est en effet la principale barrière de ce titre : l'équilibre entre gameplay et narration est toujours une question délicate dans ce type de productions (combien de joueurs pestaient autrefois d'être bloqués par une énigme dans les Point and Click des années 90?) mais Nobody a clairement choisi sa voie en privilégiant la fluidité du récit à la complexité de ses enquêtes; problème : il en découle très vite une impression de passivité dans la complétion des scènes de crimes qui donne l'impression que le jeu survole complètement le potentiel de son concept où le joueur aurait pu observer le moindre détail discordant dans ces reconstructions holographiques. Pire encore, là où le Walking Simulator est souvent affaire d'une exploration sereine et silencieuse, vous êtes ici accompagnés de la sempiternelle assistante vocale, devenue visiblement l'un des commandements sacrés des jeux vidéos des années 2020 qui craignent apparemment que le joueur pose la manette à terre si une voix ne les incite pas toutes les trois secondes à reprendre le jeu en main; Nobody s'efforce certes de réitérer une relation de confiance avec cette conseillère parfois superflue avec la présence d'un système de dialogues sympathiques mais le jeu peine à être aussi convaincant que Firewatch en la matière. Une passivité d'autant plus regrettable qu'elle contraste désagréablement avec le ton du scénario qui voudrait lui nous inciter à démêler le réel de la fiction; le gameplay nous délaisse de toute responsabilité quand l'écriture s'efforce de susciter notre réflexion, il y avait sans doute un meilleur entremêlement à concevoir à ce niveau là.
Fort heureusement, le jeu parvient néanmoins à susciter l'adhésion en dehors de ses séquences d'enquêtes par ses phases narratives où l'immersion est bien plus palpable ; Nobody ne manque pas de beaux panoramas et c'est justement par le prisme de la contemplation que le jeu trouve son plus bel état par l'intermédiaire de plusieurs séquences immobiles où le héros s'abandonne à la rêverie tandis que la ville perpétue autour de lui sa frénésie inassouvie ; les emprunts à Blade Runner sont évidemment légion mais le jeu se distingue ainsi des autres variantes du Cyberpunk dans le jeu vidéo par sa tonalité rétrofuturiste, évoquant également le travail d'Alien Isolation à ce titre, avec ces interfaces rudimentaires et ce futur plus mécanique que digital. Toute l'humanité semble d'ailleurs faire un bond dans le passé, avec cette nouvelle prohibition et l'esthétique désuète des véhicules, rappelant ainsi la mélancolie des planètes de Cowboy Bebop et ses reliquats d'une civilisation éteinte ; la Lore est d'ailleurs assez crédible, même si l'intrigue n'est pas forcément des plus brillantes : le jeu oscille sur le fil du rasoir entre une ambiance assumée de Film Noir et une dérision périlleuse des codes du genre et il s'avère vite assez lourdingue lorsqu'il essaye d'insuffler plus d'ampleur au récit avec ces références poussives à la mythologie grecque (il serait bon que les scénaristes occidentaux se rappellent qu'il y a d'autres folklores à explorer au delà de la Grèce ou des pays nordiques); à nouveau, c'est dans ces séquences intimistes et contemplatives que le récit parvient à être plus impactant, avec un héros, Cyberpunk oblige, en pleine confusion identitaire et d'une touchante vulnérabilité.
Bref, mieux vaut savoir dans quoi vous mettrez les pieds en lançant ce Nobody : des séquences contemplatives extraordinaires mais des séquences d'enquêtes poussives et dirigistes au possible; un récit imparfait où une fois encore, seules deux choix se révèleront vraiment décisifs dans la myriade de dialogues à votre disposition et toujours, une impression frustrante de se dire "Vivement qu'un jeu véritablement complet soit un jour proposé dans ce type d'ambiance Film Noir / Fiction futuriste".
Bref, à vous de voir si vous préférez voir votre verre de scotch à moitié vide ou à moitié plein.
Mais c'est beau quand même.