L'aloi du sentier
Le J-RPG, c'est un peu comme la moutarde ou le hip-hop : certains le préfèreront toujours à l'ancienne. Maintenant que la rusticité des Dragon Quest n'effraie plus l'Occident, Square Enix a jugé bon...
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le 2 août 2018
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Prédéfini comme un nouveau porte-étendard de l’âge d’or des RPG japonais, Octopath traveller avait un peu ce rôle de messie sensé relancer ce genre qui s’est fait trop discret ces 10 dernières années. Cependant, c’était évidemment trop ambitieux pour ses petites épaules. N’ayant d’"old-school" que ses sprites rappelant la super NES, Octopath n’arrivera finalement pas du tout à égaler nombres de ses prédécesseurs que ce soit au niveau de la narration ou au niveau du gameplay. Mais pourquoi n’est-il pas à la hauteur de ses ambitions?
Je l’admets, certains aspects du jeu sont très bien réussis. La majorité des critiques et autres reviews saluent, à juste titre, l’aspect graphique à la fois nostalgique et novateur ainsi que la qualité des compositions musicales du jeu. L’utilisation de sprites pixellisés très marqué « ère 16-bits » est parfaitement cohérente avec cette volonté de rendre hommage aux RPG de super NES, et ces ajouts de jeux de lumière et de flous permettent de manière efficace de rappeler qu’Octopath reste un jeu récent avec un aspect technique bien maîtrisé. Les compositions musicales sont superbes, tellement que de nombreux joueurs considèrent qu’il s’agit de la meilleur OST de 2018 et que Red Dead Redemption 2 lui aurait volé le Game Award de la meilleur OST. Il faut dire que cette combinaison musiques et graphismes fonctionne plutôt bien ! Elle met le joueur dans une ambiance assez unique au jeu. Octopath a son identité qui, je l’admet volontiers, m’a emmené en voyage, un voyage onirique qui aura duré … une vingtaine d’heures et qui se sera progressivement transformé en véritable lassitude les 15 heures suivantes pour finalement être lâchement abandonné à la moitié de l’aventure.
Comment est-ce qu’on peut passer si vite d’un voyage enchanteur en pur ennui ?
Cette descente aux enfers s’est faite, je pense, à cause de multiples petits défauts qui sont inclus dans un cadre de jeu qui s’avère finalement extrêmement rigide. Ajoutons à cela le fait que le joueur est assisté de façon extrême ce qui nous prive de tout moments de réflexion et que le titre manque cruellement de cohérence globale ce qui provoque un investissement émotionnel du joueur plutôt faible.
La grande marque de fabrique d’Octopath et même son argument majeur de vente est que le récit est divisé en 8 histoires parallèles et indépendantes, narrant chacune les aventures d’un personnage. Ce découpage inhabituel en 8 parties indépendantes composée chacune de 4 chapitres promettait d’ailleurs de grandes libertés : recruter les personnages que l’on souhaite, dans l’ordre que l’on souhaite ou même enchaîner plusieurs chapitres d’une même histoire pour mieux s’imprégner d’un même personnage. Complètement emballé par ce concept qui sur le papier m’a paru très alléchant, je me suis au fur et à mesure de l’aventure, heurté à des défauts majeurs. Finalement, cette si grande spécificité qu’a Octopath Traveller est aussi, et même surtout son plus grand défaut d’Octopath.
Le premier grand défaut de ce choix de découpage est la rigidité du cadre imposé par ces 8 histoires. En effet, l’histoire principale du jeu est donc découpée en un nombre impressionnant de chapitres (au nombre de 32). Si les concepteurs voulaient conserver un temps total de jeu raisonnable pour boucler l’histoire principale, chaque chapitre ne peut etre trop développé et doit suivre un schéma simple sans fioriture. On se retrouve donc avec des chapitres plutôt pauvres en terme de narration ayant chacune la même structure. Chaque quête a un prétexte plutôt basique et donc sans grand intérêt (trouver une herbe, aller chercher un enfant perdu) et se déroulera tout le temps dans le donjon juxtaposé à la ville. Ce schéma : (1) arrivée dans une ville (2) quête primaire dans le donjon voisin (3) Boss (4) Résolution de la quête se répète inlassablement (dans tous les chapitres que j’ai fait).
Le deuxième grand défaut est la fausse liberté que ce découpage nous semble montrer. D’un côté, avoir 8 protagonistes a chacun leur histoire est très différent d’un schéma classique de RPG où généralement, on a un personnage principal dont on ne peut se défaire, et autour duquel gravite l’histoire générale ainsi que des personnages secondaires. Dans Octopath Traveler, on a donc, par définition, que des personnages principaux alors je ne comprends pas pourquoi le premier personnage qu’on sélectionne pour commencer l’aventure devient notre personnage principal et ne peut quitter notre équipe. Ça me paraît en totale contradiction avec l’esprit mis en avant.
D’un autre côté, ce découpage narratif laissait entrevoir une possibilité soit d’enchaîner les chapitres 1, 2, 3 et 4 de l’histoire d’un des 8 personnages ou bien de faire progressivement tous les chapitres 1 pour recruter directement tous les protagonistes. Cependant, cette liberté apparaît comme illusoire car on voit qu’il est indiqué un niveau « conseillé » à avoir avant de se frotter aux ennemis. Malgré cette apparente liberté, le jeu est bien conçu pour qu’on le fasse dans un ordre précis, certes il est possible de le contourner mais tout le gameplay et l’équilibrage prévu par les équipes de développement ne seront plus adaptés. Si on est « under-leveled » on risque de se faire dégommer par les ennemis et si on est « over-leveled » on va plutôt s’ennuyer (je reviendrais nuancer un peu plus loin cet aspect). Là encore, ça me paraît en contradiction avec l’esprit du jeu si ardemment mis en avant. Surtout que pour coller à l’esprit de liberté, on aurait pu imaginer un système similaire à Final Fantasy 8, où le niveau des ennemis est indexé au niveau des membres de notre groupe, et ce jeu à 20 ans...
Le troisième grand défaut de ce découpage narratif est justement la faiblesse de la structure narrative du jeu. Les protagonistes n’ont aucune interaction les uns avec les autres : chaque personnage va faire ses 4 quêtes qu’il soit seul ou accompagné. Et pour éviter toute incohérence, les accolytes du personnage en question disparaissent à chaque cinématique. On pourrait presque considérer Octopath Traveller comme une coquille contenant 32 mini histoires. De plus, la narration du récit manque cruellement d’impact car on a finalement aucune surprise dans le jeu (peut être à la fin, mais je n’y suis pas arrivé). Dés le début on connaît déjà tous les protagonistes, on sait aussi comment ils entreront en scène, on sait quelles techniques ils vont débloquer et on sait même quasiment quel type d’actions ils vont faire aux cours de leur 8 x 4 aventures. Et on s’aperçoit que ce n’est pas simplement en assemblant beaucoup d’éléments moyennement intéressants qu’on arrive à un scenario de grande envergure. On est très loin d’un grand scenario plein de rebondissements comme ceux Chrono Trigger ou Final Fantasy VI jeux auxquels Octopath essaie de rendre hommage ou du scenario de Dragon Quest XI, jeu sorti quasiment en même temps. Je dirais même qu’on est loin de la qualité des scenario des jeux Bravely (qui ne sont pourtant pas exempt de défaut) qu’Octopath est sensé surpasser haut la main.
Le découpage narratif fait finalement partie des points faibles d’Octopath Traveller en amenant une floppée de défauts, mais malheureusement les défauts du jeux ne sont pas uniquement dû à ce choix.
Le joueur est constamment assisté si bien que ses capacité cognitive sont assez peu sollicitées. L’objectif est systématiquement écrit en haut de l’écran et un point vert brille sur la mini map, ce qui fait qu’il n’est même plus nécessaire de lire les dialogues, d’aller parler aux gens pour avoir des indices sur l’endroit où aller ou que faire. On pourrait même résumer les quêtes du jeu à « suivez le points vert » avec un habillage narratif et parsemée de combats aléatoires. Ce qui est assez peu gratifiant, vous en conviendrez.
De plus il y a une absence presque totale de surprise comme je l’évoquais auparavant. Des qu’on récupère un personnage (qu’on connaît déjà), on connaît la liste des techniques qu’il va apprendre et leur effet. Notre choix va juste se porter sur l’ordre dans lequel il va apprendre ses techniques. La marge de manœuvre qu’on a se résume à la découverte des classes secondaires et à l’agencement qu’on pourra faire entre classe secondaires et classe principales. Là encore après réflexion je trouve le choix un peu décevant. Dans Chrono Trigger les personnages apprennent les techniques en gagnant des niveaux mais on débloque des attaques doubles ou triples. Dans FF6 chaque personnage a son propre style et on se retrouve à faire des combinaison de versus fighting en plein combat pour utiliser les techniques de Sabin. Dans Lost Odyssey on peut choisir quelles techniques on apprend de nos coéquipiers. Dans FF9 on a une multitudes de techniques et compétences à apprendre en trouvant des équipements. Mais dans Octopath Traveller là, on se retrouve avec 8 pauvres techniques à apprendre par classe qu’on débloque progressivement en prenant des niveau. Finalement c’est comme dans Bravely Default/Second mais en moins bien car on a que 8 classes différentes. L’idée de faire des classes secondaires est vraiment chouette, mais pourquoi ne pas intégrer 8 nouvelles classes ? Dans Bravely Second on comptabilise jusqu’à 30 classes différentes ! et ça permet vraiment des variations de gameplay, que ce soit avec la grande diversité de classes orientées tantôt soutien, tantôt magie, etc. ou que ce soit avec les compétences passives qu’on débloque progressivement.
Les combats sont une des grandes fiertés du jeu si l’on en croit la communication. Là encore le système marche vraiment bien les 15 premières heures mais on arrive vite à bout de ce système. Je me souviens avoir jubilé comme un gamin lors des premières attaques utilisant tous les points d’exaltations lorsque l’ennemi était en « faille », mais comme le schéma est toujours le même je me suis vite lassé. La stratégie est toujours la même quelque soit les ennemis : (1) on cherche les failles de l’adversaire, (2) on booste l’attaque de notre équipe, on baisse la défense de l’ennemi et on cumule les points d’exaltation avec le « frappeur », (3) on met l’ennemi en « faille » et on balance la grosse attaque. Et on répète ce cycle tout le temps.
Du coup, on comprend vite la « stratégie gagnante » et le jeu devient assez vite très facile et sans enjeu. Il est tellement facile que je pense même qu’en prenant un bot qui va choisir des attaques au hasard à notre place tant qu’on a le niveau requis, on peut s’en sortir. Voulant rajouter un peu de piquant devant cette facilité, j’ai souvent entrepris de faire des chapitres avec 10 niveaux en dessous du niveau conseillé. Alors effectivement c’est un peu plus dur, il y a plus de challenge et c’est par conséquent, un peu plus gratifiant, mais c’est surtout encore plus chiant. Les ennemis sont un peu plus dangereux mais avec une bonne stratégie de soin on s’en sort, par contre le combat est horriblement long. Les ennemis (et même les ennemis de base) sont des sacs à PV qui allongent la durée des combats mais qui n’ont pas trop d’attaques dangereuses.
Dans la dernière partie de cette critique, je vais revenir plus en profondeur sur la narration d’Octopath Traveler, et bien sûr, sur ses défauts.
Quoi qu’on en dise je trouve que les 8 personnages du jeu sont extrêmement cliché et sans profondeur et qui en plus poursuive chacune une quête simpliste. Entre Ophilia, la pretresse un peu naïve qui part faire le pèlerinage à la place de sa sœur ; Tressa, la marchande au grand cœur qui part de son village pour faire un maximum de profit en découvrant le monde : Olberic l’ancien chevalier hanté par son passé qui finalement décide de reprendre les armes pour retrouver son ennemi de toujours ; H’aanit la chasseuse de la forêt qui part à la recherche de son maître disparu ; Alfyn le gentil apothicaire qui parcourt les villages à la recherche de gens à aider et même Cyrus, l’érudit un peu beau gosse qui part à la recherche d’un ... LIVRE heureusement qu’on a aussi Primrose la danseuse qui se prostitue et est prête à tout pour venger la mort de son père et Thérion le voleur un peu trop dark qui se fait piéger et se retrouve contraint de voler des orbes, histoires un peu mieux écrites que les 6 autres mais qui restent assez simples et basiques. Et encore je trouve que l’histoire de Primrose sert beaucoup trop souvent de caution pour un « jeu mature et bien écrit » alors que ça reste qu’une histoire de vengeance aussi mieux soit elle que les 6 autres qui restent très bateau. En fait ce patchwork d’histoires simplettes mène à un scenario basique et superficiel assez loin de la grande qualité dont on parle si souvent dans les critiques. D’autres jeux ont fait le choix d’aborder des problématiques un peu plus existentielles et ça marchait plutôt bien. Dans Lost Odyssey on parle du fardeau de l’immortalité ou de la pertes répétées d’être chers que ce soit dans le scenarios principal ou à travers certains textes. Dans Final Fantasy 7 on assiste à une crise existentielle de Cloud qui en vient limite à perdre son identité. Chrono Cross parle très bien de la solitude de Serge qui se retrouve dans un monde parallèle au sien mais dans lequel il n’existe plus depuis 10 ans. Certains y voient d’ailleurs une belle illustration de l’effet papillon où une seule petite différence entre les deux monde (la mort de Serge) provoque des grandes différences entre ceux-ci. De plus, Octopath Traveller est un jeu sensé nous faire voyager en nous narrant des aventures palpitantes mais on se rend compte que Grandia, 21 ans auparavant y arrivait bien mieux en illustrant vraiment ce qu’est l’esprit d’aventurier de Justin. Et je ne pense pas que ce soit une question d’époque, on peut prendre l’exemple de Dragon Quest XI, sorti la même année qu’Octopath Traveller, qui, sans aborder de thématique très profondes, raconte très bien un sous forme de conte un peu magique le voyage d’un héro et de ses compagnon à la recherche du mal à anéantir. Mais il se permet de prendre le temps de développer chacun des personnages et même de montrer des situations d’échec. Et ça marche très bien !
Alors voilà, si certains sont satisfaits de la narration d’Octopath Traveller en trouvant le jeu bien écrit et mature, je trouve de mon côté qu’elle ne remplit pas ses promesses et fait pâle figure en rapport à nombre de ses prédécesseurs et probablement de ses successeurs.
Au final, Octopath Traveller reste ma plus grosse déception de 2018. Là où j’attendais un RPG révolutionnaire qui me redonne la sensation de vivre une épopée fantastique, je n’ai trouvé qu’un un jeu médiocre, avec une narration superficielle et un gameplay qui s’essouffle au bout de 10h de jeu. L’idée des 8 voyages parallèles était très prometteuse sur le papier, mais on se rend vite compte que ça ne marche pas du tout en jeu, la magie n’est pas là car beaucoup trop contrainte par un cadre rigide
En analysant ce qui m’a plu et déplu dans le jeu, j’ai compris que ce qui me rebutait c’est que ce jeu coupe tout rêve en moi. Tous les éléments narratifs ainsi qu’une grande partie des éléments de gameplay sont connus depuis le début. On a aucune surprise. En tant que joueur on est très peu mis à contribution, l’exploration du jeu peut se faire en pilote automatique et les combats se résument vite à une stratégie gagnante et tous les éléments nécessaires à sa mise en place sont affichés. Un peu comme si on était simplement des spectateurs et non des joueurs. Et là je sens un vrai décalage entre ma perception de ce jeu, et son grand succès général. On dirait qu’Octopath n’a rien à raconter, aucun message à faire passer à ses joueur et qu’il a été conçu uniquement pour être vendu au plus de monde possible. Je sais bien que dans cette industrie le but est de vendre le plus d’exemplaires possibles, mais au moins beaucoup d’exemplaire d’un jeu, mais là on ne s’embarrasse même pas d’un message, on fait un jeu pour faire un jeu, moi ça ne me plaît pas, mais apparemment ça marche bien.
Pour finir, Octopath Traveller est considéré par beaucoup comme un jeu « old –school » mais il n’a d’old school qu’une partie de sa patte graphique. Si vous espérez un jeu à l’ancienne, passez votre chemin et orientez vous plutôt vers un Dagon Quest XI qui même avec son vernis de jeux récent, reste fidèle a des mécaniques anciennes et possède un récit bien ficelé. Octopath Traveller quant à lui, malgré son vernis de jeu « old-school » comporte la plupart des écueils des nouveaux jeux. Au lieu de voir une énième tentative de « faire du neuf avec du vieux », le studio Acquire n’a pas réussi à « faire du vieux avec du neuf ».
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Créée
le 2 déc. 2019
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