Quelle idée de faire un RPG à partir d'un shoot'em up ! En tout cas c'est ce que les responsables du marketing chez Sega ont pensé lorsqu'ils ont décidé d'imprimer Panzer Dragoon Saga en nombre très limité d'exemplaires. Ce n'est que l'une des nombreuses bourdes de la firme qui ont conduit à son déclin tragique... car en 1998, quand ce jeu est sorti, le public avait essentiellement envie de trois choses : de grands RPG, de 3D et de gameplay novateur. Et PDS livre les trois en même temps.
Quand la longue séquence de cinématiques est finie (pour l'instant, car elles seront nombreuses tout au long du jeu) et on peut enfin prendre en main la manette, on est d'emblée accueillis par des musiques enchanteresses et grandiloquentes où l'usage de synthés années 80 ne fait qu'accentuer le côté orientalisant des chants et des tambours. L'atmosphère sonore est plus que jamais adéquate au monde essentiellement désert où a lieu l'aventure.
Mais de quel monde s'agit-il ? Un monde post-apocalyptique, comme on pouvait s'y attendre suivant la mode de l'époque ; un monde ravagé par les guerres où le petit nombre d'êtres humains qui restent se regroupent autant que faire se peu pour résister et pour survivre. La plus grande menace est donnée par la soif de puissance de l'Empire qui aspire à la domination sur l'ensemble de la planète, grâce notamment à la découverte de technologies remontant à une lointaine antiquité qui lui permettent de construire des vaisseaux volants très puissants.
Le jeu commence justement dans un site archéologique de l'Empire que notre héros Edge a pour tâche de surveiller. Suite à une mutinerie au sein de l'armée impériale conduite par le commandant K.F. Craymen, tous les camarades d'Edge sont tués et il est lui-même jeté dans les profondeurs des ruines, mais une force mystérieuse le sauve miraculeusement de sa fin et il se retrouve soudain à dos d'un dragon venu d'on ne sait pas où. Pendant ce temps la Black Fleet de Craymen parvient à s'enfuir avec l'objet qui a inspiré la révolte, à savoir un autre dragon conduit par une femme aux allures froides et dépassionnées de nom Azel qui semble intentionnée à suivre l'homme qui l'a déterrée des ruines.
Dans sa quête pour se venger de Craymen, Edge rencontre Gash, un membre d'une organisation secrète appelée Seekers que l'Empire essaie de faire passer pour de simples voleurs nomades pour les discréditer dans leur combat contre les technologies anciennes. Avec les Seekers il découvrira que ces technologies étaient en fait partie d'un vaste plan de régulation de l'écosystème conçu par la civilisation ancienne, ayant pour tâche d'éliminer systématiquement toute activité humaine pouvant déstabiliser l'équilibre de la planète. On comprend alors que le but de Craymen est de réactiver les Tours qui contrôlaient la population humaine afin de mettre fin aux guerres et aux destructions produites par la cupidité de l'Empire, et qu'il se sert pour ce faire d'Azel qui est en réalité un drone conçu pour contrôler la Tour d'Uru. Ce sera donc une longue course-poursuite entre Craymen, l'Empire et les Seekers pour réussir – ou empêcher – la réactivation de la Tour...
Le thème écologique n'était pas nouveau dans le jeu vidéo (ne serait-ce parce que FFVII était sorti un an plus tôt), mais PDS a su le mettre en scène avec une incroyable complexité dans une intrigue bien ficelée où aucun acteur n'est entièrement bon ou entièrement mauvais. L'écrasement des ambitions impérialistes vaut-elle vraiment la perte totale de la liberté pour l'espèce humaine ? Les Seekers répondent par la négative, mais ce faisant ils se retrouvent paradoxalement du côté de l'Empire, qu'ils combattent précisément parce qu'il a recours aux mêmes instruments conçus pour soumettre durablement les humains ; tandis que Craymen, dont les intentions sont pourtant nobles, est disposé à aller jusqu'à l'asservissement et à la décimation de l'humanité pour les réaliser. Le choix est cornélien, même si au final nos héros vont choisir la liberté en dépit des risques qu'elle comporte. Et les scénaristes se serviront aussi du quatrième mur pour faire passer leur message.
Qu'en est-il en effet du côté du joueur ? Eh bien, Panzer Dragoon Saga offre toutes proportions gardées une liberté d'exploration assez vaste. Dans les donjons, Edge vole à dos de dragon dans toutes les directions possibles pour chercher les sorties et les objets à casser avec les lasers pour ramasser des items ou à activer pour accéder à de nouvelles parties du jeu, alors que dans les villes il se déplace tout simplement à pied dans les environnements 3D – ma foi, pas spécialement jolis et pas toujours compréhensibles, mais la commande viser permet heureusement de toujours savoir s'il y a quelque chose autour de soi sur lequel on peut agir. La petite carte du monde ne permet hélas que de se sélectionner l'endroit où l'on veut se rendre à tel ou à tel moment du scénario ; c'était le prix à payer pour un full 3D à l'époque où le monde ouvert était encore relativement un rêve lointain.
Mais ce qui déchire vraiment, la raison pour laquelle tout le monde aime PDS, c'est clairement son système de combat extrêmement original. Mélange de l'active time battle de FF et des caractéristiques propres aux rail shooters, le système dote Edge et son Dragon de trois barres d'énergie qui se remplissent automatiquement avec le temps et lui permet de se positionner autour de l'adversaire dans l'une des quatre directions horizontales (devant, derrière, à gauche ou à droite). Le radar en bas indique par des couleurs le danger associé à chaque zone : verte s'il n'y a pas de risque, neutre s'il y a risque d'une attaque normale ou rouge si l'adversaire se prépare à une attaque très violente. Le but est bien sûr d'échapper aux zones rouges (dans lesquelles se trouvent souvent les points faibles de l'ennemi) tout en essayant d'infliger le plus de dégâts possible. Edge peut attaquer avec son pistolet, idéal pour sniper un monstre sur son point faible, avec les lasers du dragon qui attaquent plusieurs ennemis en même temps ou avec les techniques Berserk qui consomment des points de mana (appelés ici Berserk Points) ; il peut aussi changer d'arme et même modifier le type de son dragon en cours de combat pour lui donner davantage de force de frappe, de vitesse, de défense ou de puissance magique. Cependant il faut faire gaffe car toute action en cours de combat autre que le déplacement vide une voire plus barres d'énergie, ce qui non seulement laisse le temps à l'adversaire de préparer son attaque mais ralentit le combat et fait gagner moins d'expérience à la fin.
Comme dans Skies of Arcadia quelques années plus tard – qui reprendra énormément d'éléments à PDS –, chaque ennemi rencontré dans le jeu, que ce soit un boss ou un combat aléatoire normal, demande une stratégie bien précise pour le battre qui est différente à chaque fois, obligeant ainsi le joueur à déchiffrer ses patterns pour l'attaquer efficacement en subissant peu de dégâts. Cela contribue à l'aspect puzzle très présent dans le jeu et qui le rend si enthousiasmant : c'est toujours une grande joie de découvrir la clé des mouvements de l'ennemi pour déjouer sa stratégie et le maraver sans modération ! On ne saurait pas trop apprécier non plus la quasi absence de rencontres aléatoires quand on revient dans un donjon déjà terminé, ce qui permet de finir paisiblement son exploration en ramassant tous les items oubliés.
Le jeu est tellement excitant aussi bien pour son intrigue que pour son gameplay que ses seuls défauts sont le produit des limites techniques de la console. Les graphismes 3D sont certes relativement corrects et offrent parfois des visuels de grande beauté (pensons aux ruines d'Uru), mais les textures moches et les gros blocs de polygones ont plutôt mal vieilli, sans compter la profondeur de champ assez limitée en mode dragon. Le scénario en souffre à son tour : même en s'étalant sur pas moins de quatre disques, la partie a une durée de vie plus limitée encore que dans un FFIV, sorti pourtant sept ans plus tôt en cartouche ! En définitive, Panzer Dragoon Saga nous laisse un sentiment de vide, comme si les idées y contenues étaient empêchées de s'exprimer par l'enveloppe matérielle.
Il va de soi que PDS est le candidat idéal à un remake moderne, car avec des graphismes plus propres, une caractérisation des personnages plus poussée et une plus grande liberté de déplacement on aurait sans doute une oeuvre parfaite sous tous les angles de vue. En attendant la sortie annoncée de Panzer Dragoon Collection pour la 3DS (malgré la perte du code source de PDS par Sega), ceux qui possèdent une Saturn ou un émulateur décent ne devraient pas hésiter à s'emparer de ce titre unique en son genre.
GAMEPLAY : 10/10
SCENARIO : 9/10
PERSONNAGES : 9/10
GRAPHISMES : 7/10
MUSIQUES : 9/10