Un jeu poussiéreux et abscons à bien des égards mais l'univers reste très atypique pour un RPG occidental (alors que c'est habituellement le domaine où les Japonais se distinguent bien plus volontiers dans leur imaginaire).
La 3D isométrique ça n'a jamais été mon truc donc j'ai dû me faire violence pour m'immerger dans ce titre; déplacements laborieux (merci la carte pour aider à repérer les points d'entrée et de sortie des niveaux), combats rébarbatifs (contrairement à sa réputation de jeu narratif, le titre n'en demeure pas moins un RPG avec donc une certaine emphase sur les affrontements), journal de quêtes vieillot, interface laborieuse, bref le titre a plus de vingt ans et cela se ressent grandement dès les premiers instants.
Mais une bonne histoire parvient un peu mieux à supporter le poids des années et il ne fait nul doute que la réputation d'excellence de Planescape Torment en la matière n'est pas imméritée; c'est véritablement l'un des meilleurs scénarios que le médium interactif est parvenu à offrir durant sa relative jeunesse et la réflexion qu'il suscite dans l'esprit du joueur est aussi vertigineuse que les dédales tortueux de son univers labyrinthique; oui, Planescape Torment est un jeu extrêmement bavard au point d'en devenir littéraire (ce n'est pas un gros mot) mais cette lecture perpétuelle n'en demeure pas moins fascinante en dépit de l'absence de doublages sur 98% des dialogues du jeu (tant mieux diront certains vu l'atrocité de l'interprétation française, même si j'ai pour ma part toujours une certaine affection pour ces doublages d'un autre temps). "Qu'est ce qui peut changer la nature d'un homme?"; cette question Planescape Torment vous la murmure à l'oreille pratiquement d'entrée de jeu et elle ne cessera de vous tourmenter jusqu'à la conclusion de cette aventure nébuleuse; rares sont les RPG à avoir aborder aussi concrètement des questionnements philosophiques et existentiels sans devenir pour autant pompeux et rébarbatifs dans leur narration; l'écriture est d'une telle qualité qu'elle parvient à concilier ses tourments identitaires avec un véritable sens de l'aventure et de l'épique propre aux grands jeux de rôle, le tout matinée de cette liberté d'exploration caractéristique des titres occidentaux, du moins dans sa première partie.
La cité inquiétante de Sigil sera votre principal théatre de jeu durant vos premières heures d'errance dans ce monde interactif; la ville oppressante offre un décor adéquat à l'hésitation du personnage (et du joueur lui même) quant à la marche à suivre pour retrouver ses souvenirs et son identité si convoitée; le titre offre ainsi un véritable choix conséquent dans l'ordre d'accomplissement des quêtes, du recrutement des compagnons ou de la découverte globale de cet univers angoissant. Néanmoins, la résolution des quêtes en elle même n'est pas toujours propice à de multiples alternatives, se définissant un peu trop souvent par aller faire des courses ou jouer au coursier pour un PNJ en échange d'un service ou la voie un tantinet plus expéditive "je vais ramasser l'objet sur ton cadavre, ça sera rapide". Et cette liberté se réduit malheureusement à peau de chagrin durant la deuxième moitié de l'aventure bien plus dirigiste, baladant le joueur littéralement aux quatre coins du multivers sans lui laisser le temps de s'immerger dans l'ambiance ou de s'approprier davantage les lieux; si le renouvellement dans l'esthétique macabre fait plaisir, l'impression de jeu de rôle, elle, s'atténue quelque peu, d'autant plus que l'emphase sur les affrontements contre des créatures démoniaques devient bien plus éloquente durant les dernières heures
(le dénouement du jeu en devient d'ailleurs une immonde purge à jouer si vous avez eu le malheur d'équiper votre héros infortuné d'une hache maudite, le contraignant à un état de Berserk au moindre ennemi qui se balade à proximité)
Enfin, je dois bien avouer avoir été quelque peu déçu du ratio choix/conséquences proposé en définitive par le titre en dépit de ces promesses initiales enthousiasmantes en la matière; les dialogues des compagnons semblent être gravés dans le marbre quelque soient les actions du joueur, de nombreux PNJ proposent les mêmes discussions jusqu'à la fin du titre alors même que la connaissance du joueur s'est grandement accrue sur les fondamentaux de cet univers et de l'intrigue personnelle de son héros malmené par des Entités malfaisantes et ses remords individuels, et même si l'intrigue est teintée d'un certain fatalisme dans sa globalité, il m'apparaît tout de même surprenant que la cinématique finale soit commune à tous les joueurs. De plus, et ce sera certainement ma plus grande dissension avec les éloges habituellement adressés à ce titre, j'ai été assez désagréablement étonné de la manière dont le système de jeu décortique la moralité du joueur au fil de ses décisions; je comprends certes qu'il s'agit d'un univers nihiliste où il est bien plus facile de sombrer du mauvais côté que de rester un parangon de justice et de vertu mais j'ai tout de même peine à comprendre comment j'ai pu basculer de Neutral Good à Chaotic Evil en l'espace de quelques heures, sans possibilité d'altérer ce changement avant la fin du jeu alors que je me suis évertué à demeurer un bon samaritain charitable jusqu'au dénouement. J'en viendrais même à suspecter un bug dans la programmation du titre tellement cette alternance m'apparaît incompréhensible et même si cet alignement moral n'a en réalité que peu d'incidence sur le déroulement de l'aventure, mon RolePlay en a quand même été sacrément malmené, ce qui est tout de même regrettable pour un titre de cette ampleur. Dommage car le système semble effectivement apporter une nuance bienvenue au traditionnel Good / Bad des RPG Occidentaux mais sa concrétisation réelle dans Planescape Torment a été bien rebutante pour ma part.
Bref, s'il ne s'agissait que d'un récit interactif, Planescape Torment serait un indéniable chef d'oeuvre; mais puisqu'il n'en demeure pas moins un RPG, en dépit de sa réputation quelque peu éronnée de jeu narratif, le temps a malheureusement oeuvré pour ternir l'éclat de son imaginaire funeste.
Un titre que chacun se doit de découvrir un jour pour sa culture personnelle; indépendamment de votre affection pour l'univers de Donjons et Dragons, la Dark Fantasy ou même le jeu de rôle.
Mais il ne sera, hélas, jamais un de mes jeux préférés pour autant.
Malgré encore une fois, son putain de scénario dantesque.