Portal
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Portal

Jeu de Valve (2007Xbox 360)

[NOM DU SUJET] vous devez faire la fierté de [VILLE DU SUJET] !

(Attention, je ne me suis pas restreinte dans l’écriture, cette critique est donc bourrée de spoilers)


Jouer à Portal près de 5 ans après sa sortie, quelques mois après avoir achevé Portal 2 et en s’étant au préalable spoilé tout ce qui faisait le sel de l’expérience, est-ce encore valable aujourd’hui ? Réponse : oui, indubitablement !


Portal est un jeu atypique. Sans que je n’y prenne garde, le deuxième épisode m’a marquée de son empreinte, et a suscité une curiosité légitime à l’égard de cet univers recelant encore tant de mystères. J’avais beaucoup lu au sujet de son illustre parent, mais sans me frotter au jeu, je ne pouvais pas savoir comment je le percevrais. L’ignorance devait être comblée, je plaide non coupable pour l’achat de Portal Still Alive en dématérialisé, c’était un cas d’extrême nécessité, cela ne se reproduira plus votre honneur. Dans ces conditions bien sûr, la surprise n’était pas au rendez-vous : je savais à quoi m’attendre, je savais que je ne serai pas décontenancée par cet ovni sorti de nulle part et à l’ambiance si particulière.


Effectivement, j’ai avancé dans Portal en terrain connu, privée de l’exquise indétermination du néophyte face aux intentions de GLaDOS, de ce flottement lié à la méconnaissance de notre situation (que faisons nous ici ? Pourquoi ? Où tout cela doit il nous mener ?) J’envie ceux qui ont découvert Portal lors de sa sortie ou qui encore aujourd’hui peuvent l’aborder vierges de toute information, mais le balisage ne prête pas tant à conséquence que cela. L’accumulation de données que j’avais opérée était de toute manière nécessaire pour me faire jouer à Portal, je ne l’aurais pas approché autrement, trop de réticences m’en retenaient (univers futuriste peu en phase avec mes goûts plus archéologiques, vue à la première personne…)


La tête à l’envers (soledad !)


Portal a un concept déstabilisant, c’est un jeu qui retourne l’esprit (et qui donne l’impression d’être très intelligent lorsqu’on parvient à venir à bout d’un puzzle retors, c’est une revanche à rebours sur les cours de physique) et qui est en même temps complètement euphorisant. On joue avec les dimensions, la force, la vitesse qui nous permettra de nous propulser plus loin. La première fois qu’on entre dans un mur latéral pour ressortir 20 mètres plus haut, qu’on tombe immédiatement et qu’on doit vite placer un portail au sol qui nous permettra de jaillir de l’ouverture en hauteur et de franchir un obstacle a priori insurmontable, on se rend compte à quel point ce jeu va être hyper grisant, c’est comme si nous remportions une victoire sur la logique en en détournant les règles. Logique, les solutions aux énigmes le sont, mais il faudra pour cela convoquer des cheminements peu communs. Car si notre cerveau marque tant de résistances au début, c’est aussi qu’avec Portal, on entre dans un monde paradoxal, où ce que l’on nous demande de mettre en place est irréalisable dans la vraie vie. Tout l’enjeu consistera à réussir à se projeter dans un cadre théorique et à oublier les limites que nous nous imposons pour que le champ des possibles s’en trouve considérablement augmenté.


L’impression de victoire sur la physique n’est pas qu’une image, nous l’utilisons à notre profit, en détournant allégrement ses applications. C’est aussi une revanche sur les mathématiques d’ailleurs (Portal ne nous offre t’il pas à voir l’infini de troublante manière ?) Il faut rentrer dans l’univers de Portal, cela peut sembler très hermétique, mais pourtant, comme cela en vaut la peine !


Dans cet épisode fondateur, la progression est rapide, les premières salles sont des mises en bouche qu’on effectue rapidement, elles servent avant tout à se familiariser avec les mécaniques de jeu. A mon goût, les énigmes plus retorses mettent du temps à arriver, et encore restent-elles très abordable, je n'ai pas rencontré de difficulté majeure ou séché pendant de trop longues minutes face à un puzzle. Mais à ce niveau, il est certain que les habitudes acquises dans Portal 2 m’ont bien aidées, je connaissais déjà la gymnastique particulière de l’esprit que je devais pratiquer, je n’avais pas besoin de phase de formation.


Une narration maîtrisée


Je ne suis pas une grosse joueuse, mais j’aime le jeu vidéo, je crois en son potentiel. Je suis souvent frustrée par la bêtise crasse et les occasions ratées qui en ressortent, mais c’est une autre histoire… Avoir un scénario qui ne soit pas stupide relève déjà de la gageure, alors imaginons que celui-ci soit réfléchi pour prendre en compte le processus d’interaction qui caractérise les échanges du joueur avec son environnement, ce serait trop demander. Actuellement en tous cas, le résultat est rarement satisfaisant. Je peux baisser mon degré d’exigence et apprécier un jeu malgré tout, mais reconnaissons l’existence d’incohérences grossières qui dénote d’un manque de réflexion et / ou qui insultent notre intelligence. Des incohérences qui détruisent l’immersion ou à tout le moins, font se poser des questions (dans tous les cas, c’est un échec critique de la narration). L’une des plus récurrentes est sans doute l’écart qui existe entre la façon dont le personnage principal est perçu par le joueur et la manière dont il agit à l’écran, soit le décalage entre ses actions lorsqu’il est guidé par notre manette et ses agissements en cinématique. Au hasard, le classique "je suis un mec bien / un justicier / un aventurier cool, ne tuons pas des innocents" ; statistiques de fin de partie : entre 500 à 1000 décès. Bonjour Ezio, Connor et Drake très chers ! Ayons également une pensée émue pour sa variante "je suis un ancien hors la loi qui s’est rangé, mon passé me poursuivra toujours mais je ne m’en laisse pas compter" transcris dans le jeu par un comportement, comment dire… "J’accepte de me faire mener par le bout du nez par le premier clown venu". Hello John Marston, schizo since 1898.


Ici, point de tout cela. La narration tient la route, d’un bout à l’autre, et elle est parfaitement cohérente par rapport au gameplay. L’histoire n’a pas besoin de passer par des cinématiques, elle est intégralement transmise par la voix de l’intelligence artificielle qui nous guide au cœur d’un vaste complexe aseptisé et déserté. Celle-ci se montre bavarde, elle parle littéralement pour deux, comblant le vide laissé par notre personnage mutique. Ironiquement, la trace de vie la plus prégnante qui subsiste chez Aperture Science est portée par la voix des machines tandis que nous en sommes réduits à notre plus simple expression de rat de laboratoire. Le déséquilibre n’est pas gênant, il sert la logique narrative.


La faible caractérisation du personnage, choix dont je suis assez peu adepte, est ici justifiée : elle nous met véritablement dans la même situation que notre avatar. Après tout, nous n’avons aucun élément nous permettant de penser que Chell (dont le prénom n’est pas même évoqué dans ce premier épisode) sait elle-même ce qu’elle fait ici. Cette mise en situation à la première personne nous évite d’être parasités par les pensées contradictoires d’un personnage, nous nous fondons avec lui et ressentons par conséquent le même désoeuvrement, un désoeuvrement qui est aussi visuel et sensoriel, et qui n’aurait sans doute pas eu la même force d’impact vu à la troisième personne. Son silence a pu être mal interpréter et venir renforcer une impression de coquille vide (réelle mais qui ne m’a pas dérangé), il est pourtant plus à propos que la logorrhée verbale de tout ces personnage qui ne s’expriment que pour nous faire passer une information que nous devrions connaître, mais qui nous la transmette de manière tellement peu naturelle que c’en est irritant et que cela brise la suspension consentie d’incrédibilité. Chell s’éloigne donc du modèle de ces héros qui ont besoin de se parler en permanence parce que les développeurs veulent surligner ce que nous devons ressentir au moment opportun. Rappelons que GLaDOS est une intelligence artificielle. La voix d’une machine. Parlez-vous à votre four ? Chell n’a pas plus de raison de le faire. Certes, on ne l’entendra pas même souffler, elle ne fera pas un bruit. Son mutisme accentue l’aspect froid des salles de test traversées, son accomplissement quasi mécanique abolit les frontières entre l’humain et la machine (frontières qui seront encore repoussées avec Portal 2 ou les robots seront personnifiés de manière peut-être trop poussée et plus irréaliste, un sacrifice pour accrocher le joueur, sans doute).


Jouer à Portal revient à se mettre dans la peau d’un cobaye enchaînant salle après salle les épreuves sans parvenir à cerner où cela doit nous mener. C’est particulièrement bien rendu par la conception intelligente du jeu et de ses niveaux : le joueur est placé dans une démarche empirique, pour avancer, il doit tester jusqu’à trouver l’approche qui fonctionnera. Nous apprenons ainsi progressivement à nous servir du portal gun, à entrevoir ses possibilités. Les situations ne se répétant pas, le joueur est à chaque fois confronté à un nouveau problème qu’il lui faudra résoudre en gardant à l’esprit les acquis précédents et en interprétant les nouvelles mécaniques. La complexité des solutions va crescendo, mettant à l’œuvre des fonctionnements qui deviennent classiques avec des subtilités qui nous échappent au premier abord.


Portal pousse son concept jusqu’au bout, et il demeure très "pur" dans sa transcription, il ne transige pas avec les sensations de jeu que ses créateurs ont souhaité proposer. Il va ainsi à l’essentiel, et se charge de nous faire ressentir l’expérience – dans tous les sens du terme – comme il se doit. A aucun moment il ne se trahit et c’est très important car cela participe de sa force d’impact et sa capacité à nous proposer une immersion poussée avec une admirable économie de moyens. Ne transigeons pas, Portal est une réussite conceptuelle et narrative.


Je répète ce qui a été déjà tant de fois écrit, mais ce jeu a un ton qui lui est propre, qui est drôle sans être poussif. Chacune des lignes de dialogue que nous balance GLaDOS sont susceptibles de devenir des phrases cultes. Et Portal propose des moments mémorables. Le cube de voyage n’a pas eu l’impact émotionnel escompté sur moi, en revanche, je me suis fortement attachée aux postes de radio et les amenais partout avec moi (jusqu’à être triste lorsque l’un d’eux se trouva cassé suite à une chute… qui devait tester la sûreté et le bon positionnement du portail que je venais de placer, haerm). Tout cela parce que le premier que j’ai eu l’occasion de rencontrer était sacrément rassurant dans la salle des tourelles ! Portal c’est aussi ça, une ambiance inquiétante, froide, de plus en plus glauque à mesure que l’on avance. Une ambiance dans laquelle on entre dès que le nom de l’éditeur est affiché à l’écran : l’image et les quelques notes présentant Valve me signifiaient déjà dans Portal 2 ce qu’il pourrait advenir d’inquiétant, le phénomène s’est logiquement reproduit dans cet épisode. Le menu plonge encore plus directement au cœur d’Aperture Science avec sa musique, limitée à quelques notes métalliques et qui est tellement glaçante. Et après, on est plein dans ce que j’évoquais tout à l’heure, cette sensation de n’être un rat de laboratoire, le malaise qui monte au-delà des propos de GLaDOS qui devient de plus en plus menaçante (promettre qu’on va cuire avant d’avoir un gâteau, ce n’est pas de très bon augure).


J’avais beau connaître les rebondissements, notre destruction programmée est très bien amenée. On ne s’attend pas à ce que ça advienne si rapidement dans la salle de test, et on est endormi par le fait que l’on a déjà utilisé un dispositif similaire, qu’on vient juste d’éviter de se faire griller, et au détour d’un couloir… Surprise ! Les réactions de GLaDOS qui suivent notre évasion sont à l’avenant et marquent une humanisation plus poussée de la machine qui à mon sens, ne rend pas complètement incohérente son attitude dans le 2 (exception faite de la fin).


A partir de là surtout, on rentre dans une autre phase de jeu (assez longue, j’ai mis 2h dans le labo et 1h pour la phase finale) nous faisant évoluer dans l’envers du décor, nettement moins reluisant, plus organique, plus rouillé. Ici on retrouve la trace de l’homme avec les bureaux abandonnés, une chaise vide, un graffiti sur le mur… Les objets du quotidien font écho à une absence encore plus saillante, par contraste. La solitude nous accable et j’ai avancé avec une certaine peur au ventre. Rien ne le justifiait en apparence, nous nous orientions vers la sortie… Sauf que les vestiges de ce monde disparu venaient accentuer un malaise déjà latent.


Le passage le plus marquant de Portal a été pour moi à ce moment là, lorsqu’après avoir découvert la salle de réunion vide où tournait le vidéo projecteur (je n’ai pas joué à Half Life et ça ne risque jamais d’arriver, mais j’ai apprécié le clin d’œil assurant la connexion entre les deux jeux), je suis arrivée dans des bureaux où une fenêtre donnait sur une salle de test déjà traversée. Au début mue par la curiosité (je me demandais si je parviendrais à l’identifier), j’ai été gagnée par l’effroi. Véritablement, je me suis sentie profondément impuissante, prête à craquer. Pour la première fois, j’étais face à l’effroyable réalité, celle qui donnait tout son sens au parcours accompli. Les testeurs d’Aperture sont peut-être au service de la science et de ses innovations, ce sont surtout des cobayes scrutés sous tous les angles, analysés cliniquement sous la froide lumière de la rationalité et privés de liberté. Un marche ou crève meurtrier, à l’issue fatale. (Pour le coup, j’ai probablement été encore plus marquée en ayant connaissance de l’arrière-plan de Portal 2 et des conditions dans lesquelles ont été menées les expériences commanditées par Cave Johnson). Et là on repense à toutes ces fenêtres que l’on a croisées dans les salles. Dans les espaces désormais désertés et où ne subsistent que les caméras de GLaDOS, d’autres cobayes sont autrefois passés, observés comme des rats par des scientifiques à l’abri dans leur cage de verre. Même dans un univers aussi tourné vers la science-fiction (ou plutôt un futur dystopique d’ailleurs), l’amateur d’histoire pourra retrouver des traces du passé et renouer avec lui de troublante manière.


Avancer dans les coulisses, la machinerie d’Aperture, c’est aussi quitter les salles relativement sécurisées (malgré leurs épreuves mortelles) pour sortir du chemin balisé, et c’est déroutant. Lorsqu’on doit retraverser l’une de ces salles (la même que celle vue par la fenêtre) pour se frayer un chemin, cela a quelque chose de très inquiétant et l’on se sent perdu, dans l’urgence. Ca a été un très beau moment de trouble.


Le générique de fin est extrêmement connu. Sans revenir dessus, je me contenterai de m’ajouter au concert de louanges le concernant, en ayant bien conscience que son impact émotionnel ne peut fonctionner qu’en contexte, après avoir terminé Portal. Je l’avais regardé sur Youtube un peu après avoir fini Portal 2, je trouvais l’idée sympathique mais je ne comprenais vraiment pas ce qui pouvait motiver un tel engouement. Avec cette GLaDOS là (que l’on détruit, là est la grande différence avec le 2), oui ça marche, et ça reste dans le ton de ce qui s’est fait jusqu’à là.


Quelques soient vos résistances, jouez à Portal, il y a peu de chance que vous le regrettiez.

Nocturne
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le 2 juin 2013

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