Ce qui définit Prey fondamentalement, c'est sa cohérence et son organisme qui sont au centre de tout ce que le jeu propose, et c'est ce que soulignaient la presse et les joueurs à sa sortie. Le jeu a cependant été un relatif échec commercial, sans doute par sa différence avec les "autres FPS" actuels, et peut-être parce que le jeu a quelques éléments qui ne plairont pas à tous.
L'action de Prey se déroule dans une station spatiale, et pour le coup, on a vraiment l'impression de visiter ce qui pourrait être un lieu crédible de bout en bout, avec une architecture globale cohérente et absolument tout ce dont devrait disposer une telle station. Tout s'imbrique logiquement et de manière organique, on finit par connaitre par coeur la station et la disposition des différents lieux, le tout en ayant une image mentale de l'ensemble, à l'inverse par exemple de BioShock où on enchaine des niveaux (très réussis) sans avoir la moindre carte mentale de la ville et de comment les gens ont pu y vivre concrètement. Sur Talos, absolument chaque pièce a son utilité et semble designée pour avoir du sens dans l'univers du jeu.
Pour compléter l'aspect "simulation", la liberté d'approche est totale, mais un brin trop permissive. C'est-à-dire que l'arbre de talents permet au final à tout le monde de s'en sortir et peu de barrières ne pourront bloquer le joueur à la fin, quel que soit le chemin qu'il ait pris. A nuancer avec le fait que certaines compétences sont beaucoup plus utiles que d'autres et sont même centrales dans l'exploration, telles que la transformation en petit objet qui permet de contourner à elle seule la moitié des obstacles, ou le piratage qui permet de ne pas s'encombrer à chercher les codes. C'est dommage, puisque arrivé à la moitié du jeu, il n'y a déjà plus grand chose qui résiste au joueur. Le jeu propose toutefois des zones cachées avec l'ingéniosité de celles d'un Doom, qui pour le coup récomperont vraiment la curiosité et le joueur qui cherche à détricoter le level design.
La plus grosse réussite du jeu tient quand même dans ses premières heures où l'on se sent plus traqué que prédateur, où chaque ennemi est une épreuve et chaque balle est précieuse. C'est vraiment dans les dix premières heures que le jeu met le plus en avant son level design en forçant le joueur à l'exploiter au mieux s'il souhaite survivre sans trop dépenser de kits de soin et de munitions diverses. La montée en puissance, logique et propre à ce type de jeux, est palpable et très réussie en tant que telle, mais rend le jeu trop permissif et les derniers niveaux, pas forcément moins réussis, marquent moins l'esprit puisqu'on peut tout à fait les traverser comme un monstre. (par exemple, sur les dernières heures, je n'utilisais plus que quelques grenades et le fusil à pompe boosté au maximum, qui gérait à peu près tout)
Je n'ai néanmoins plus jamais ressenti les frissons du début, où chaque rencontre générait des sueurs froides et où la fuite/le contournement étaient des solutions totalement envisageables et envisagées, et le jeu évolue lentement de l'infiltration/horreur très efficaces vers le shoot un peu plus conventionnel. On peut évidemment faire autrement, mais il est tellement facile d'accumuler les neuromods à partir d'un moment qu'on devient trop puissant pour se contenter de se cacher ou de compter ses munitions. Ce qui est cohérent vis-à-vis de ce que le jeu veut proposer, sauf que l'aspect purement shoot n'est pas forcément le plus intéressant puisque tout l'arsenal du héros est très efficace et pertinent pour créer des pièges et trouver des solutions alternatives pour l'exploration et les combats, mais les armes conventionnelles sont trop peu nombreuses et le fusil à pompe se démarque bien trop vite comme étant la plus efficace dans la plupart des situations de combat, ne demandant aucune préparation, disposant de munitions plutôt abondantes sur la station et étant juste beaucoup trop efficace, surtout dans les moments où l'on reparcourt rapidement les anciens niveaux, repeuplés pour l'occasion.
Le backtracking du jeu a d'ailleurs été pas mal décrié, au final je suis modérément d'accord, puisque dans la quête principale, aucun n'est requis avant la fin, et on peut toujours s'arranger pour faire les quêtes annexes quand on revient près d'une zone déjà explorée, mais le vrai défaut inhérent à ces allers/retours est la longueur des temps de chargement, qui freine un peu l'envie d'aller à l'autre bout de la station pour une petite quête. Mais ça semble du au fait que le jeu conserve absolument TOUT ce qui se passe dans un niveau donné, les ennemis ne bougent pas quand on change de zone, ni les tourelles, les objets laissés à terre ou les balles de canon à glues et les scènes de batailles restent figées pour l'éternité, ce qui procure même un peu de nostalgie quand on revient sur les lieux de ses premiers combats. Et ça apporte quelque chose au jeu mine de rien, cette impression que la station vit, qu'on soit là ou non, et que nous n'en sommes qu'un élément parmi d'autres. Les PNJ peuvent mourir dans un niveau où vous n'êtes pas, vos tourelles se faire détruire par un monstre que vous avez négligé et tout cela sert vraiment l'immersion et le propos du jeu. (rien n'est réinitialisé quand vous revenez dans une zone)
Au final, c'est plus le gameplay du jeu qui crée l'histoire du joueur plutôt que les éléments véritablement liés au scénario. Celui-ci est intéressant, mais manque un peu de panache. Le jeu évite plutôt bien le manichéisme, ce qui implique que chaque personnage a ses propres motivations et ses défauts, mais du coup aucun antagoniste charismatique ne se démarque, et au final les différentes personnes croisées sur la station ne sont pas vraiment mémorables. Mais elles ont le mérite d'être toutes uniques, d'avoir leur propre histoire et donnent l'impression que chaque PNJ a un rôle dans l'histoire de Talos. Le fait d'avoir donné un nom à absolument tous les personnages rencontrés, vivants comme morts, donne énormément de profondeur à cet univers.
Ce qui est dommage, c'est que le background du jeu semble extrêmement prometteur, on nous parle d'une guerre froide différente, d'une course à l'espace menée conjointement par les Russes et les Américains, et tout cela n'est au final qu'une toile de fond et l'aspect dystopique n'est au final pas vraiment mis en avant, on peut se contenter de se dire qu'on est dans l'espace avec des aliens sans s'intéresser une seconde aux différents ouvrages mentionnant le contexte, celui-ci n'apportera jamais rien dans l'intrigue ou la narration.
Au final, le jeu a une personnalité ludique très forte avec énormément de cohérence entre toutes ses mécaniques, son level design, sa structure, sa narration, mais la forme pêche un peu, surtout quand on pense à BioShock et ses personnages fous et charismatiques, son design tape-à-l'oeil, coloré et tellement varié et son scénario grandiloquent, à la limite du caricatural. A côté, Prey est froid, sobre et très uniforme dans l'ensemble, tout est cohérent, tout fonctionne sur le plan du jeu, mais le jeu ne distille pas d'images fortes et spectaculaires qui font de Talos 1 un endroit qui donne sans cesse envie d'en découvrir plus. Mais c'est assumé complètement et c'est d'une certaine manière brillant de voir un jeu qui ne tombe jamais dans le racolage ou dans les paillettes pour captiver le joueur, d'un autre côté, l'austérité du jeu en laissera fatalement sur le côté, c'est le contre-coup logique, mais rarement un jeu aura affiché autant de cohérence dans tout ce qui le compose.