Prey
7.4
Prey

Jeu de Arkane Studios et Bethesda Softworks (2017PC)

Reboot d’une saga que je ne connais pas mais qui me semble finalement partager bien peu de choses avec l’opus qui va nous intéresser, Prey a tout de suite gagné mon intérêt lors de l’E3 2016 à cause du studio en charge de son développement : Arkane, qui venait de revenir sur le devant de la scène dans les années 2010 avec la très sympathique saga Dishonored. Ayant toujours adoré les immersive sim et celui-ci se présentant sous des attraits horrifiques et dans l’espace, mes attentes furent assez grandes. Je vous laisse découvrir mon avis en écoutant le thème d’intro Everything is going to be ok.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★★☆



FPS à la philosophie immersive sim, pas si éloigné de Dishonored par conséquent, Prey nous laisse explorer un vaste labyrinthe scindé en zones de jeu au level-design particulièrement savoureux. C’est un cas d’école en la matière avec la possibilité de parcourir cet environnement de long en large avec une cohérence et une fluidité irréprochables une fois que les allers-retours encouragés nous ont permis de mieux l’appréhender. J’ai d’abord eu ce sentiment d’être perdu constamment avant de progressivement m’y retrouver par mes propres moyens, d’intégrer la logique de l’agencement des zones et des raccourcis les reliant, de mémoriser les repères visuels me permettant de toujours pouvoir me situer précisément au sein de toute la map… pour que mon exploration soit récompensée et que cela s’avère très gratifiant au final.


Ces très nombreux allers-retours ne m’ont jamais posé soucis grâce à la mécanique du recyclage qui permet de trouver un intérêt ludique à tout fouiller et à tuer des ennemis en boucle sans jamais avoir l’impression que c’est une perte sèche de temps en combinaison avec l’arbre de talent immense et coûteux. J’ai toujours été motivé à jouer, même quand j’étais perdu ou que j’ai fait un détour plus long que nécessaire. En ayant quasiment tout fait à mon premier run, il m’a été impossible de débloquer toutes les compétences et pendant une large partie de l’aventure, le moindre investissement dans cet arbre était l’occasion d’un cruel dilemme et la nécessité de respecter un certain type d’approche pour que mes compétences soient en synergie.


Prey ne tombe pas dans un écueil régulier de sa génération à trop vite récompenser le joueur qui fait le contenu annexe et se retrouve très vite à ne plus avoir de marges de progression pour son personnage. Les 30 heures de jeu de mon premier run furent pour moi un plaisir constant, ou alors des moments de frustration parfaitement justifiés par la gratification qui en résultait, une preuve indéniable de son efficacité pour moi. Il est assez rare pour un immersive sim de tenir la distance sur un contenu aussi généreux, même pour les références du genre à la durée de vie souvent 2 fois plus courte.


Quant au maniement, le système de propulsion empêche les quelques phases de plates-forme d’être frustrantes et de mieux apprécier la verticalité de ce fantastique level-design mais le parti pris de base est tout de même de nous déposséder de facultés de déplacements aussi souples que celles de Dishonored. C’est un choix très cohérent avec ce jeu qui tend plus vers le survival-horror que vers l’infiltration. Nous sommes très vulnérables et disposant de peu de ressources pour nous défendre, les modes de difficultés peuvent amener différents éléments de survie pure, les possibilités de runs à contrainte sont encouragés par le système de succès… c’est une vision qui écartera forcément une partie du public mais que j’apprécie personnellement.


L’expérience de jeu n’est pourtant pas très nerveuse avec beaucoup de possibilités de ralentir l’action pour prendre le temps de décider de la stratégie à adopter, ce que j’adore tout particulièrement dans ce type de jeu. Les multiples capacités à débloquer profitent toutes d’une forme de tutoriel très subtil et efficace, ce ne sont que des capacités que l’on voit constamment en jeu avant de les débloquer et après les avoir débloqué, parce que ce sont les capacités des ennemis, les armes utilisés par des PNJ… et bien sûr elles permettent une multitude d’approches dans le plus pur état d’esprit des immersive sim.


Les quelques défauts mineurs que j’ai pu repérer n’en sont finalement pas à la réflexion, la répartition des distributeurs d’opérateurs et autres machines bien utiles peut sembler assez curieuse par exemple, parfois très rapprochées dans une petite zone et rarissimes dans de grandes zones, mais je me suis rendu compte que c’était pour en orienter la difficulté. Le seul vrai défaut c’est que sur une telle durée de vie, les ennemis ne se renouvellent pas beaucoup et il y a peu de boss ou assimilés, ce qui ne m’a pas trop dérangé. Et si on veut vraiment chipoter, le mini-jeu de piratage et l’interface ne sont pas très bien adaptés au couple clavier-souris, pas bien grave. La qualité du gameplay et la générosité du contenu constituent la plus grande force à mon sens de Prey, mais pas la seule.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★☆☆



L’introduction très énigmatique pour nous immerger dans cet univers nous posent rapidement mille et une questions qui finiront par trouver leurs réponses dans un scénario assez intelligent, aux thématiques allant puiser copieusement dans les références du genre. Tout repose sur ce bon vieux concept du personnage amnésique qui va devoir collecter les informations sur son passé pour finalement se rendre compte que c’est à lui de choisir ce qu’il doit être de la même manière que le joueur doit choisir comment il doit jouer, quand les deux ne sont pas explicitement liés. Le choix est donc la pierre angulaire de tout le jeu, le principe fondamental du genre de l’immersive sim, et le scénario l’illustre.


Le rythme est vraiment très lent et compte beaucoup sur ses éléments scénaristiques annexes à découvrir, qui sont eux-mêmes très réussis dans l’ensemble et constituent un univers très vraisemblable, pour patienter jusqu’à ce que la trame principale évolue, parfois 5 ou 10 heures de jeu plus tard. Celle-ci comprend son lot de twists plutôt bien pensés même s’ils sont peut-être un peu classiques tant le jeu s’inspire de ses références et qu’ils donnent un peu dans la surenchère vers la fin, mais ça passe très bien pour moi. Ça manquera peut-être de scènes cultes, de moments de grâce, mais je vois ça comme un parti pris, celui de laisser place à une narration plus discrète dans laquelle chacun est libre de s’investir émotionnellement ou non.


Bien entendu, si l’on ne veut lire aucun texte, si l’on ne fait l’effort d’assembler les pièces du puzzle pour associer comprendre les sous-intrigues soi-même… il y a de fortes chances qu’on passe à côté d’une grande partie du scénario du jeu et que les twists de la trame principale nous semblent sortir de nul part. Ce n’est pas un défaut de la narration à mon sens, c’est la conséquence de laisser au joueur le choix en tout temps. De la même manière qu’il peut passer à côté de plein d’éléments de gameplay, il peut passer à côté de plein d’éléments de scénario et c’est pour ça qu’ils sont aussi plaisants et intéressants, parce qu’en plus d’être réussis, c’est une petite fierté de les trouver.


Quant à la fin en elle-même, même si ce n’est pas forcément ce que j’aurais le plus espéré personnellement, elle est cohérente, pertinente et audacieuse :


Le fait que tout ce qui est arrivé depuis le début du jeu ne se soit jamais réellement passé et que notre objectif final d’épargner la Terre de la menace Typhoon était vain depuis le début frustre forcément tant ça prend à contre-pied tout notre investissement émotionnel. Je le regrette un peu mais de réels indices sont disséminés astucieusement pour que ce soit cohérent, ça correspond encore mieux au message central du jeu vis-à-vis des choix et c’est une démarche a minima audacieuse que je respecte. En plus, ça peut offrir un second degré de lecture assez intéressant avec le fait que l’on peut incarner un personnage vertueux en apparence pour finalement s’avérer être maléfique, ce que j’apprécie dans l’idée.


Les journaux audio peuvent aussi bien servir l’ambiance, la narration que le gameplay. Par exemple, on y entend une conversation entre deux femmes, la première dit qu’elle a trouvé le mot de passe de la seconde sous son bureau et en profite pour faire une petite blague au passage ouvrant la voie à un petit flirt. Pour l’ambiance, ça pose un petit moment de calme et d’insouciance bien appréciable entre deux moments oppressants. Pour le scénario, ça permet de savoir qu’elles s’apprécient et plus si affinités, ce qui servira par la suite à créer de l’émotion. Pour le gameplay, ça sert à savoir où se trouve le mot de passe d’un PC qui pourra par exemple nous débloquer l’accès à une cache de munitions. C’est donc très bien fait, il manque juste des options de tri dans le menu pour pouvoir les réécouter et les réassembler comme on le voudrait, là ça serait parfait.


J’ai en revanche un problème assez personnel avec un élément de la narration, le protagoniste est muet. Ou plus précisément il n’est pas doublé au moment de parler quand même bien il est explicite qu’il vient de dire quelque-chose laissé à notre interprétation. C’est tout bête mais si quelque-chose de tragique vient d’arriver et que ce n’est pas souligné par le doublage du protagoniste, ça tend à briser l’immersion pour moi, plutôt qu’à la renforcer. Mais encore une fois c’est un problème très personnel et nul doute que certains auront une préférence pour ce choix-là, qui n’est même pas pris pour économiser un doublage (même deux vu qu’on peut incarner un homme ou une femme), le protagoniste est doublé dans des journaux audio et autres, c’est un choix des développeurs.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆



Si l’année 2017 fut l’une des plus prolifiques de sa génération et certainement pas avare en jeux très poussés techniquement, on sent bien que Prey est un ton en dessous à ce niveau-là. Non pas qu’il se vautre lamentablement sur la technique, loin de là, mais les animations faciales ne sont pas très développées, les temps de chargement son fréquents et un peu longs, les cinématiques ne sont pas bien longues ou impressionnantes, quelques ralentissements peuvent se sentir occasionnellement cas d’effets de particules en pagaille… Plein de petits accrocs qui ne posent pas tellement problème mais qui en font une petite limite au potentiel du jeu qui reste très important, même sur le seul plan visuel.


Déjà, il y a des petites forces techniques bien pratiques, comme le fait que le jeu garde indéfiniment en mémoire nos impacts sur notre environnement, ce qui est très important pour un jeu systémique où on peut agencer des éléments pour faire un pont ou un escalier qu’on a envie de retrouver plus tard. Ensuite, le jeu ne manque pas de moments spectaculaires avec des effets visuels très bien faits, des décors riches en détails… Qui plus est, le rapport d’échelle 1 pour 1 de l’intégralité des zones de jeu depuis l’espace est très impressionnant et permet d’offrir une visualisation à la hauteur de ce level-design si bien conçu.


Le parti pris de la mise en scène à la première personne et tout en temps réel, à la manière d’Half-Life tout simplement, est plutôt bien maîtrisée avec des ambitions très clairement affichées lors des phases d’antigravité qui sont très bien gérées pour à la fois donner un sentiment de vertige et rester suffisamment lisible pour ne pas trop perturber. Mais cette maîtrise elle se voit aussi dans l’utilisation des trompes-l’œil, des miroirs… qui ne cessent de t’offrir de nouveaux regards sur les décors au fil de ta progression.


Le bestiaire designé autour de cette substance noire organique fait très bien le travail pour paraître repoussant, menaçant selon les circonstances. La violence sera d’ailleurs très forte et en accord avec l’aspect horrifique du titre même s’il n’y a pas une grande exagération dessus, comme l’animation particulièrement violente pour s’injecter un neuromod qui n’est pas constamment répétée pour le souligner. Cet aspect se traduira notamment par quelques jumpscares putassiers mais très efficaces, comme un cadavre qui tombe sur nous juste après avoir ouvert une porte lambda, le volume sonore étant multiplié par 10 évidemment.


D’autres codes traditionnels au survival-horror plus subtils peuvent être employés, comme le très grand nombre de bruits d’ambiance constants pour mettre en alerte, la pièce que tu associes à un temps d’accalmie qui deviendra un moment de stress à un moment donné, la poursuite par un némésis-like au design très intimidant et à la bande-son très anxiogène… Par contre, la petite animation qui fait s’ouvrir une poubelle quand on passe le curseur dessus, c’est rigolo mais dans un jeu où tout objet peut être un mimique qui peut être repéré par ce type de mouvements, c’est pas bien malin, mais c’est anecdotique.


L’OST composée par Mike Gordon, habitué des FPS de Bethesda de l’époque tels que Wolfenstein ou Doom, se prête très bien au registre anxiogène que veut dégager le titre à bien des égards, en revanche je trouve qu’il n’y a pas de thèmes réellement marquants ou mémorables en plus de ne s’illustrer quasiment que dans ce registre anxiogène. C’est l’un des reproches que je pourrais faire au jeu, l’absence d’au moins un thème mélancolique pour souligner les plus moments les plus supposément émouvants, l’absence d’un thème dont l’écoute me ferait penser spécifiquement à Prey et à rien d’autre… ça fait partie des limites au potentiel du jeu.



CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆



Prey est pour moi à la huitième génération de console ce que Bioshock fut pour beaucoup à la septième, une plongée dans un univers dystopique aussi violent que fascinant, un gameplay aussi riche en possibilités que généreux en contenu, un scénario aussi intelligent que sobrement et efficacement narrée… J’ai été particulièrement admiratif de la qualité sensationnelle de son level-design et très client de la place centrale qu’il accorde au concept de choix dans l’expérience de jeu, un des meilleurs immersive sim de son époque.

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le 22 mars 2020

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damon8671

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