Opération coup de poing !
Mettre une grosse baffe quand on n'a pas de bras, c'est une gageure que Rayman avait brillamment accomplie il y a deux ans avec l'épisode Origins, véritable renouveau du jeu de plateforme en 2D d'Ubisoft. Fort d'un succès critique mais obscurci par des ventes plus poussives, l'éditeur français a décidé de donner une seconde chance au héros et d'entrer dans la légende. Ce fut presque fait avant même la sortie du jeu avec un leak dont tout le monde se souvient, mais surtout avec un report de dernière minute sur Wii U alors que le développement était quasiment terminé. Ce qui ne tue pas rend plus fort, voyons voir si l'adage sied au talent montpelliérain de la division locale d'Yves Guillemot et si la génialitude est au coin du couloir.
Rayman compte ses cartes
Après avoir été très (trop) longtemps mis au ban au profit des Lapins Crétins et cantonné comme le riz à un rôle d'entremetteur sur Wii, l'emblématique personnage de Michel Ancel prend une sacrée revanche et court désormais comme un jeune premier vers la réussite qui lui est promise depuis son fameux retour aux sources. Mais il faut bien se l'avouer, il y a deux ans, pas grand monde ne s'attendait à ce que Rayman Origins propose un tel niveau de qualité. Renouer avec ses bases tout en les "revisitant" et les "restructurant", le challenge fut relevé haut la main. Du coup, on voyait difficilement comment Legends allait réussir à renouveler suffisamment la recette pour qu'elle soit, si ce n'est plus, au moins aussi efficace.
Visiblement, on dispose d'une formule magique dans un petit village de la Gaule en langue d'oc car le résultat dépasse tout simplement nos plus fols espoirs. Et pourtant, tout n'était pas gagné d'avance car on avait rarement vu un titre susciter autant d'animosité qu'un bus de footballeurs grévistes. Ce n'était pas la qualité qui était mise en cause avant même sa sortie, mais bel et bien l'impression – bien franchouillarde – que le consommateur était pris pour un pigeon à qui l'on n'aurait pas jeté à temps son morceau de pain. Certaines personnes étaient même prêtes au boycott pur et simple. Au final, en restant sur cette bouderie, ce sont elles qui se priveraient d'un indispensable au genre et capable d'établir de nouveaux standards. Mais surtout elles louperaient l'un des jeux développés avec le Wii U GamePad en ligne de mire. Déjà un argument recevable pour tout possesseur de Wii U par les temps qui courent.
Bien que La Croisée des Rêves soit toujours le terrain de nos aventures, Rayman Legends n'a probablement une trame scénaristique que pour valider le statut d'intermittent d'un scénariste. En effet, tout se résume en deux lignes : il faut sauver les gentils Ptizêtres enfermés dans des cauchemars par d'autres êtres moins joviaux. Le tableau étant posé, il est temps pour notre héros sans bras de se jeter à corps perdu dans les toiles qui représentent justement les divers mondes – 5 au total – eux-mêmes divisés en plusieurs niveaux. Bref, il y aura de quoi faire (plus de 122 niveaux tout de même) et vous le verrez par la suite, à l'heure où l'on fait payer le client pour un maigre costume, Rayman Legends fait dans l'opulence.
Lum qui murmurait à l'oreille des Ptizêtres
Mais revenons à nos différents univers car ils sont justement suffisamment variés pour que le joueur ne tombe pas dans la lassitude. C'est bien simple, on peut résumer la chose ainsi : un niveau de Rayman Legends, c'est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi l'on va tomber. Et c'est encore vrai même après plus de 15 heures de jeu ! Que ce soit dans des environnements forestiers, mexicains, sous la mer ou encore grecs, la conception des stages se renouvelle sans cesse, jamais à court d'inventivité et de plaisir au bout des doigts. On se distingue très clairement des derniers Mario 2D par exemple où l'on reste dans du convenu presque tout le long de l'aventure. Là, on est constamment surpris, et agréablement qui plus est, par ce que l'on nous propose. Quand on a la folle envie au réveil le matin de se ruer sur sa console pour continuer l'aventure, c'est généralement bon signe. Rayman Legends produit cet effet là. Si vous ajoutez à cela des références à chaque coin de plateforme, qu'elles soient cinématographiques (Terminator 2, Rocky, Ocean's 12, Critters, Cube), littéraires (Jules Verne, etc) ou bien encore musicales (on vous laisse la découverte), on sent que les développeurs ont voulu se faire et faire plaisir en concevant le soft.
Certes, on retrouve une progression par l'échec inhérente au rythme élevé de l'exploration de la plupart des niveaux, mais on découvre aussi quelques séquences de shoot them up grâce à un power-up qui permet de lancer des "fulguro-poings" à la Goldorak. Pour d'autres passages, il faudra progresser uniquement à la verticale en courant sur les murs sous peine de se faire engloutir par les sables. Ajoutez à cela les niveaux dits "envahis" qui sont en fait des "contre-la-montre" diablement efficaces et démontrant une fois de plus toute la maestria du level design. Quand on sait que l'on peut comparer ses temps à tout moment avec ses amis virtuels et le reste du monde, vous imaginez aisément qu'un joueur ayant un minimum d'ego se projettera encore et encore afin de doubler ses comparses et avoir le sentiment du devoir (bien) accompli.
Tout cela ne pouvait être agréable à jouer que grâce à une maniabilité exemplaire. Avoir un bel écrin, c'est bien, encore faut-il avoir le bijou qui permet de parader en bombant le torse devant les envieux. S'il faudra quelque temps pour se réhabituer à l'inertie un poil lunaire de notre héros, tout comme à celles des autres personnages, on peut difficilement blâmer les développeurs lorsqu'on se prendra les pieds dans le tapis. Une touche pour courir (les gâchettes), une autre pour balancer un coup de poing et enfin une dernière pour sauter et flotter dans les airs, la sainte trinité fait son retour et pas la peine de porter sa croix bien longtemps pour s'en accommoder. Petite précision : Rayman dispose de toutes ses aptitudes (coup de poing, course contre les murs, vol) dès le début de l'exploration et nul besoin de se farcir un prologue didactique inutile. Le début est ainsi édulcoré de tout contenu poussif et ce même pour ceux qui ont retourné la démo dans tous les sens. On pourra en revanche pester parfois contre le stick analogique pas assez incurvé qui fait glisser notre pouce de façon assez désagréable. Cela se produit surtout lors des passages les plus retors comme les niveaux dits envahis, mais pour peu que vous ayez de grosses paluches, vous risquez également de ressentir cette gêne à d'autres occasions.
Mais la grande nouveauté de cette version Wii U, c'est bien évidemment l'arrivée du tactile dans une édition console de salon. Au cours d'une petite trentaine de niveaux, vous basculerez le regard vers votre Wii U GamePad puisque ce sera le moment pour vous de prendre le contrôle de Murphy, une grenouille pleine de ressources, pendant que l'I.A. fera avancer votre personnage selon vos actions tactiles. Tout en regardant votre écran annexe, il vous faudra chatouiller des ennemis pour mieux les éclater, déplacer des plateformes, créer des zones de sécurité pour avancer gaiement, etc. Compte tenu des multiples bonus à récolter en cours de route, on est ravi de voir que le chemin que l'on veut faire suivre est généralement celui que prendra l'I.A. C'est déjà moins frustrant, mais attention, il ne faut évidemment pas relâcher la vigilance sous peine de passer à côté de ce que l'on veut... et donc de se taper le niveau à refaire. Sachez enfin que si le début de l'aventure donne l'impression d'abuser de ces niveaux jouables de préférence avec le stylet, il n'y en a pas tant que cela au final et que le dosage est le bon. Ni trop, ni pas assez.
Hérault des temps modernes
A l'heure où l'on vante la multitude de polygones affichables à l'écran, où l'on nous abreuve de 3D à toutes les sauces, où l'on nous promet un "rendu de la mort qui tue sans ralentissement", Rayman Legends arrive tout penaud avec sa touche artistique en 2D, dessinée à la main et s'appuyant sur le moteur maison, l'UbiArt Framework. Il avait déjà fait des merveilles sur Origins, et le voilà boosté pour nous faire jouir des rétines tellement le jeu est beau. Terriblement beau même, au point que l'on a face à nous des aquarelles vivantes aux millions de couleurs. Il n'est pas rare que l'on stoppe sa route tout simplement pour contempler l'environnement et ses multiples détails. Un vrai travail d'orfèvre a été réalisé et c'est dans ces petites choses que l'on retrouve les grands jeux. Ce polissage va jusqu'à faire disparaître les bugs que l'on pouvait parfois rencontrer dans le premier volet. Être bloqué par un élément du décor, avoir des bugs de collision ou se noyer inutilement, tout ça n'est que du passé.
Soucieux du détail, Rayman Legends l'est à coup sûr et cela se ressent jusque dans son contenu tout bonnement gargantuesque. C'est d'autant plus appréciable à une époque où l'on nous fait passer à la caisse pour du DLC à foison. Le report en a sans doute été la conséquence, toujours est il que c'est le joueur qui est ici le grand gagnant. S'il est possible de boucler l'aventure en une quinzaine d'heures, cela n'est qu'une infime partie de la chose. En effet, comme dans Origins, chaque niveau a des objectifs de complétion afin de gagner des coupes et des bonus. Tout cela dépend du nombre de Lums récoltés et de Ptizêtres trouvés au sein d'un niveau. De votre perfectionnisme pourra découler le déblocage de nouveaux costumes, de modes annexes ou encore de l'obtention des tickets Chance. Ceux-ci sont en fait des tickets à gratter via le Wii U GamePad et permettent de gagner soit des Lums, soit des Créatures dans une Galerie qui leur est dédiée, soit un Ptizêtre ou encore de débloquer un niveau Origins. Oui, pas moins de 40 niveaux de l'aîné font leur retour tout en profitant des améliorations du moteur graphique. Lorsque l'on vous dit qu'il y a 700 Ptizêtres à sauver en tout et pour tout, que généralement il y en a entre 3 et 10 par niveau, le calcul est vite fait : la durée de vie est monstrueuse rien qu'en comptant cet aspect purement solitaire de l'aventure et on peut facilement doubler, voire tripler l'estimation initiale.
Car ce n'est pas tout, Rayman Legends permet dans sa version Wii U de jouer à 5 simultanément en local, le dernier larron sur le Wii U GamePad ayant un rôle de soutien comme c'est habituellement le cas désormais. Une fois de plus, le fun est au rendez-vous puisque l'on peut parcourir tous les niveaux dans cette configuration, que les baffes pleuvent autant que les fous rires et que ce joyeux bordel atteint sa cible première en plein dans le mille : divertir tous les protagonistes sans que personne ne se sente lésé.
D'ailleurs, on vous conseille, que dis-je, on vous ordonne de prévoir des tournois de Kung Foot, ce mode annexe où le football et le kung fu se mélangent. Soyons francs, on rit plus qu'on ne joue tant l'idée est géniale et le plaisir immédiat. On peut tout de même regretter qu'on ne puisse pas y jouer en ligne afin d'en profiter lors de nos soirées plus solitaires.
Légendes d'automne
Enfin, comment ne pas évoquer la qualité de la bande sonore du jeu ? Composée par Christophe Héral, elle figure sans doute possible parmi les plus réussies de ces dernières années. Collant parfaitement à l'ambiance selon les environnements, elle sait également s'inspirer de certaines oeuvres cinématographiques, se fait plus discrète quand il le faut et balance cet élan épique quand c'est nécessaire. Résultat de tout cela : on a des mélodies qui trottent dans la tête et que l'on sifflote hors-jeu. Le compositeur réussit lui aussi le pari de nous surprendre de bout en bout d'aventure et c'est tout aussi louable.
Apprivoisés depuis plusieurs mois par les possesseurs de Wii U, les Défis du mode éponyme font évidemment leur retour. Capable de vous scotcher à votre pad pendant des sessions de jeu entières, cette section va gagner encore plus en intérêt avec la démocratisation du titre et l'ouverture à un public encore plus large. Toujours au nombre de quatre selon votre degré de "génialitude" (votre niveau calculé selon votre nombre de coupes gagnées), ces épreuves permettront de faire revenir régulièrement le joueur pour profiter des défis quotidiens et/ou hebdomadaires proposés par Ubisoft. Evidemment, tout dépend de l'envie, de l'orgueil, de la cupidité, de la gourmandise du joueur jamais avare et en colère quand il peut se payer le luxe de dépasser son voisin. Jouer n'est pas pécher mais cela reste capital.
Toute cette effusion de bons sentiments et de superlatifs autour de Rayman Legends ne peut cependant cacher un challenge bien moins relevé que dans Origins. Bien plus permissif que son aîné, le petit dernier propose en sus des vies infinies, des coeurs à gogo (on peut même en récolter via l'écran tactile par moment), et des checkpoints bien plus nombreux. Les plus jeunes sont ravis – c'est le père d'un petit de 7 ans qui parle – mais les plus grands auraient sans doute aimé ne pas attendre le dernier monde pour que certains passages donnent littéralement du fil à retordre et raniment en nous cette frustration et cette satisfaction de la réussite par l'échec. Mais rassurez-vous, collecter tous les Ptizêtres et les Lums requiert un certain skill et une prise de risque régulière, suffisante à faire monter votre pulsation cardiaque quand c'est nécessaire.
Dernier petit reproche : n'avoir qu'un seul slot de sauvegarde peut être handicapant pour une console qui se veut être une plate-forme familiale. Mais au final, tout ça n'est que broutille, non ?
Note finale 9 / 10
Il faut s'y faire, mais Rayman Legends est devenu le partenaire idéal pour assouvir sa concupiscence vidéoludique en cette rentrée chargée. Doté d'un contenu gargantuesque, couplé à un travail d'orfèvre sur la réalisation graphique et une bande son qui figure parmi les meilleures de la décennie, difficile de ne pas voir la nouvelle référence du genre dans l'oeuvre de Michel Ancel. Origins avait posé des bases, Legends les a tout simplement explosées en réussissant le pari de se renouveler suffisamment à chaque instant de jeu, malgré un challenge moins relevé dans l'ensemble. Indispensable, voilà comment résumer sobrement le bijou d'Ubisoft.
On a aimé
Plus beau jeu Wii U à l'heure actuelle
Le level design parfait
La bande son géniale
L'inventivité constante
Le Kung Foot
Le Mode Challenges
Le multi local
Terriblement chronophage
Jouer en Off TV
Comparer ses scores avec ses amis
Crâner via Miiverse
On n'a pas aimé
Être gêné par le stick analogique
La difficulté revue à la baisse
Un seul slot de sauvegarde
Des serveurs Ubisoft parfois capricieux