Rayman Revolution
7.3
Rayman Revolution

Jeu de Ubisoft Paris et Ubisoft (2000PlayStation 3)

A "révolution" dans le dictionnaire, on peut trouver la définition suivante : "changement brusque et profond". Mettons de côté les acceptions complémentaires proposées par mon toujours très serviable ami le CNRTL pour en venir au fait : un portage, ça n'est pas exactement ce que l'on peut appeler un "changement brusque" (et je ne parle même pas de la profondeur). L'Histoire de Rayman faisant foi cette version PS2 devait pourtant se contenter de transposer The Great Escape tel quel sur la toute jeune console de Sony, car après tout quel moyen plus sûr et économe que le portage sans prise de tête d'un des meilleurs jeux d'aventure de l'époque (et de la nôtre accessoirement) pour ratisser large sur un terrain quasiment vierge de toute concurrence ? C'était sans compter sur l'équipe d'Annecy en charge du projet, une équipe inexpérimentée mais tellement enthousiaste qu'elle a bousculé l'agenda d'Ubi Soft en abordant le développement du jeu avec ce mot d'ordre : "réalisons notre Rayman 2". Programmeurs et level designers s'en sont donc donné à coeur joie avant de se faire vertement réprimander par un directeur artistique qui ne leur avait pas du tout donné le feu vert, mais la machine était lancée, et puis c'est qu'ils étaient motivés les bougres, aussi le projet a-t-il été mené à son terme pour finalement accoucher d'une Rayman Revolution. Résultat des courses, 3 nouveaux hubs et autant de boss inédits, une bande-son enrichie en conséquence, des niveaux complètement métamorphosés, quasiment tout le contenu bonus de la version Dreamcast qui répond présent et plein d'autres subtilités encore... Du coup, version ultime ou trahison du matériau d'origine ? Ni l'un ni l'autre, à mon humble avis !



On ne s'évade plus



Faire un inventaire exhaustif de tout ce qui a changé serait rigolo mais le wiki de la série s'en charge mieux que moi, aussi vais-je plutôt m'attarder sur la première chose qui frappe l’œil du puriste : la structure. Sur ce point le jeu n'a pas menti, la révolution est bien réelle ; 3 zones ouvertes et explorables remplacent la carte du monde qu'était la Voie des Portes, et comme si ça ne suffisait pas, ces nouveaux bacs à sable s'accompagnent d'un réagencement général. Si le premier tiers du jeu reste globalement fidèle au déroulé initial, les deux autres n'hésitent pas à déconstruire et à réassembler plusieurs niveaux, quitte parfois à donner l'impression de se retrouver devant un cadavre exquis capable de désorienter dans le mauvais sens du terme les gens biberonnés comme moi aux versions PC/N64/DC.


Il serait pourtant regrettable d'en rester à un constat amer puisque ce gros coup de pied dans la fourmilière permet en parallèle d'offrir une progression moins dirigiste et linéaire, un choix de game-design qui s'accorde aussi avec les enjeux narratifs de ce portage.


Le fil rouge n'ayant pas changé (Rayman doit toujours trouver les 4 masques pour ramener Polokus et vaincre les Pirates), c'est plutôt du côté des péripéties que réside le jeu des 7 différences, car la révolution qui donne son nom est à ce portage est aussi synonyme de "résistance". Sans aller jusqu'à prendre les armes contre l'envahisseur, les habitants de la Croisée se montrent en effet plus actifs dans la rébellion, et pour débloquer l'accès à d'autres niveaux il n'est pas rare de devoir libérer des camarades (avec dans le lot un super clin d’œil au premier jeu de la série !). Tout appréciable qu'elle soit cette emphase sur la solidarité s'impose néanmoins au détriment de la solitude et du sens de l'urgence qui prévalaient dans The Great Escape, car à force de rencontrer des alliés, le joueur a un peu moins le sentiment d'être le dernier rempart contre les pirates. On perd donc à peu près autant qu'on gagne, en somme, mais au moins le nom du jeu a le mérite d'être enfin raccord avec son propos : face à l'ennemi on ne s'échappe pas, on se bat. Et tant pis si le titre de base était "la grande évasion".



Des boss et des bosses



L'entrée en matière vous l'aura fait comprendre, Revolution apporte avec lui 3 boss complètement inédits, une idée qui est tout à son honneur car force est de reconnaître que c'était là un des seuls défauts de Rayman 2 : combat final et sbires-ninjas mis à part, les confrontations n'étaient pas franchement mémorables. Mauvaise nouvelle : les ninjas ont perdu tout leur intérêt en chemin (on ne peut même plus les tuer avec nos poings, remboursez !). Bonne nouvelle : les nouveaux venus peuvent se vanter d'apporter dans l'ensemble une réelle bouffée d'air frais, mention spéciale au gardien bonus (bien trop simple à battre mais à la mise en scène stylée) et au tank pirate qui mine de rien m'en a fait baver.


Côté difficulté, les développeurs ont d'ailleurs poussé quelques curseurs à droite à gauche pour rendre l'expérience un poil moins simple, le plus gros des aménagements ayant trait à la barre de vie. Dans le détail Rayman 2 comportait 8 dizaines de cages, chaque dizaine brisée faisant automatiquement grimper la jauge de santé d'un cran. Revolution demande plus d'efforts au joueur puisque chaque dizaine de cages donne désormais l'accès à une épreuve bonus dont il faut triompher pour faire monter ses HP. Ces challenges facultatifs et plutôt rigolos vont de la course en temps limité au ski nautique en passant par le shoot'em up, mais là où le système se montre vraiment intéressant c'est que les plus téméraires peuvent faire l'impasse dessus et la jouer "à la dure" en conservant leur barre de santé initiale tout au long du jeu, ce qui rend de suite la progression nettement plus pimentée.



Les revers de la médaille



La liberté de progression offerte au joueur a également poussé les développeurs à intégrer des boutiques d'upgrades qui moyennant quelques lums peuvent offrir des bonus intéressants, car après tout pourquoi pas. Certaines améliorations ne sont que des mouvements que Rayman possédait déjà dans sa panoplie de base (l'effet rebond des boules d'énergie par exemple n'est pas disponible dès le début), toutefois certaines sont inédites et bienvenues comme la possibilité de marcher plus vite lorsque l'on porte un objet - ce qui n'est pas du luxe dans les phases qui demandent de déplacer des barils de poudre ou des prunes. Je sais que cette fonctionnalité n'a pas fait l'unanimité et j'admets que c'est toujours perturbant de commencer le jeu sans pouvoir lancer son poing, mais dans l'absolu ça reste un bon moyen de mettre à contribution les 1000 lums jaunes.


D'autres ajouts se révèlent moins pertinents, à commencer par les ennemis qui doivent bien être 2 à 3 fois plus nombreux que dans toutes les précédentes moutures. Cette overdose culmine dans un passage où l'on affronte véritablement une horde de robots-pirates à la chaîne, une idée assez dingue sur le papier qui fait hélas chou blanc puisqu'on se contente finalement de marteler les mêmes boutons contre une intelligence artificielle assez bancale. Les développeurs ont voulu trop bien faire et dans un sens ça se comprend, placer le héros seul face à tout un régiment était un moyen idéal de donner de l'épaisseur à l'invasion de la Croisée, mais malheureusement l'exécution n'est pas à la hauteur de l'intention.


Et puis il y a le backtracking, ma grosse bête noire. C'est personnel, vous savez, mais j'aime les plaisirs immédiats, comme par exemple celui de dévaliser un niveau du premier coup. Me forcer à revenir plus tard sous prétexte qu'il me manque telle ou telle capacité, j'aime pas, à moins bien sûr que le level-design ait été pensé pour (vous avez dit metroidvania ?) ou que la mécanique soit utilisée correctement comme dans un Ratchet & Clank ou dans un Banjo-Kazooie. Pas de chance, Revolution est de l'école qui force artificiellement la main du joueur, du genre à lui dire : "il te manque deux ou trois bricoles cachées derrière une porte que tu ne peux pas encore casser, reviens quand tu pourras". Alors bof, hein. L'original m'avait épargné cette peine et c'était très bien comme ça.



Silence, on lustre



Jusque-là on a beaucoup parlé d'aménagements, mais nouveau support oblige la plastique a aussi subi un petit ravalement de façade. Le moteur de The Great Escape étant resté sensiblement le même il ne faut forcément pas s'attendre à des miracles, mais il n'empêche que le doute n'est pas permis : graphiquement on est bien en face de la version la plus riche de Rayman 2. Je dis "riche" volontairement car si on organisait un concours de beauté la version Dreamcast pourrait bien lui ravir la couronne, mais la puissance de la console de Sony a permis aux développeurs de se faire plaisir dans le foisonnement de détails, ce qui compense de beaucoup le manque de variété qui a souvent été reproché à la version originale. Le traditionnel schéma "plaine/bastions/sanctuaires" est toujours là, certes, mais les décors ont été enrichis tant et si bien que certains en sont devenus méconnaissables, que ce soit par l'ajout d'une végétation dense et colorée dans les zones vierges ou par l'élargissement des forteresses pirates. La cohérence en sort renforcée et chaque level se distingue un peu plus des autres sur le plan esthétique, ce qui je trouve aide la Croisée des Rêves à gagner en identité.


Il est clair en revanche que la console n'était pas encore complètement maîtrisée, autrement il serait difficile d'expliquer la présence de ralentissements qui font tache à côté de la fluidité parfaite de la version Dreamcast ou encore la longueur notable des temps de chargement qui a de quoi surprendre quand on sait que d'autres supports moins robustes arrivaient à charger les mêmes niveaux avec plus de rapidité. "Version ultime", qu'il disait ?



Qui c'est qui a retiré la jolie musique ?



Cette relecture de The Great Escape étant plus longue que l'épopée d'origine, Eric Chevalier a été rappelé en renfort pour composer des pistes "sur mesure" (secondé dans cette tâche par Manu Bachet si j'en crois le livre cité en introduction), et force est de constater qu'elles ne jurent pas du tout avec le tableau d'ensemble. Peut-être manque-t-il un peu de mystère par rapport aux musiques originales, mais certaines de ces compos inédites comptent à l'inverse parmi mes préférées de la série, comme celle consacrée à la fameuse attaque pirate suscitée ou encore le thème de Grolem 13 qui rend à lui tout seul le duel franchement épique.


Bref, musicalement Revolution s'en tire presque avec les honneurs. Sauf que voilà, il fallait une fausse note, et là, gros bémol : les musiques ne se relancent pas quand on retourne dans un lieu qu'on a déjà visité. 80% des pistes du jeu ne peuvent donc être entendues qu'une seule fois - or comme on l'a vu plus tôt le joueur est encouragé à revenir dans les niveaux pour tout collecter. Du coup j'aimerais clarifier une chose, même si des mots ne suffisent pas à prendre la mesure du désastre : cette histoire de bande-son fantôme m'agace plus que toutes les autres maladresses que j'ai évoquées. Je peux passer l'éponge pour des broutilles aussi secondaires qu'une visée moins précise ou des chutes de framerate occasionnelles, mais une OST qui disparaît (surtout celle de Rayman 2), ça ne pardonne pas. Si je ne devenais retenir qu'un défaut de ce portage, ce serait celui-là.


Il y a d'autant plus de raisons d'en être furieux qu'à côté le portage s'est payé le luxe d'un doublage ambitieux. Tout comme la version PS1 avant lui, Revolution est en effet intégralement doublé en français (et pas seulement !), pour un résultat que je trouve tout à fait satisfaisant. Naturellement on est loin de ce que proposera Rayman 3, mais Emmanuel Garijo est déjà tellement convaincant dans la peau du héros qu'après toutes ces années je persiste à croire que le rôle était taillé pour lui. Je retiens également la bonne performance de Bernard Bouillon (aka André dans le 3ème opus) dans le rôle de Barbe-Tranchante, j'avais déjà apprécié sa prestation sur PS1 mais le comédien donne ici un timbre plus froid et moins caricatural qui à mon sens colle mieux à l'amiral. Petit instant "le saviez-tu" pour terminer : le 3 est souvent retenu pour son doublage dans l'histoire de la série, mais dans la mesure où Rayman lui-même ne dispose que de très peu de lignes de dialogue dans Hoodlum Havoc, le héros donne finalement beaucoup plus de voix dans cet épisode 2.



A quelque chose malheur est bon



Au bout du compte, tous les changements apportés par cette version PS2 sont-ils légitimes ? Non, clairement pas. Est-ce une raison suffisante pour la dénigrer au mépris des risques qui ont été pris ? Que nenni ! Pour des développeurs novices ce portage a représenté une opportunité immense, celle de se faire la main en apportant leur pierre à l'édifice Rayman 2, de s'approprier l’œuvre quitte à la malmener quelque peu, et pour ça je leur tire mon chapeau. S'il dissimule mal les traces de son élaboration mouvementée, Revolution doit malgré tout être replacé dans son contexte, celui d'un jeu conçu dans la douleur et en improvisation totale comme un titre de lancement pour une console dont on sait aujourd'hui qu'il était très difficile d'en maîtriser le hardware. Non seulement le résultat aurait pu être bien plus catastrophique, mais en plus j'ajouterai que si Ubisoft se décide à faire un remake de The Great Escape, reprendre des éléments de cette version PS2 ne serait pas du tout déconnant. Parce que oui, messieurs de chez Ubisoft, nous sommes en 2019 et la série qui a fait votre succès se meurt, alors à défaut de nous offrir le Rayman 4 tant attendu, faites au moins quelque chose d'ambitieux avec les 3 premiers opus ! Votre mascotte n'a ni bras ni jambes mais elle n'a jamais autant mérité votre respect !

TiJokentio
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le 12 avr. 2019

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