Vous connaissez ce sentiment terrible ? Celui d'avoir aimé un jeu sur le moment pour finalement vous rendre compte, au bout d'un certain temps, que votre enthousiasme était carrément précipité ? Voleurs à travers le Temps me laisse cette désagréable impression en bouche, et pourtant Dieu sait que j'aurais aimé n'en dire que du bien. Je ne désirais pas mieux que de voir ce Sly 4 comme le digne successeur d'une trilogie qui reste à ce jour une des découvertes les plus mémorables que la PS3 m'a offertes, mais malgré toute la bonne volonté du monde je ne peux pas m'empêcher de considérer ce quatrième épisode comme un énorme gâchis à tous les niveaux. Un gâchis parce qu'on sent que les développeurs se sont donnés à fond pour faire honneur à la licence mais que la sauce ne prend pas, tout simplement parce que les maladresses et les erreurs sont beaucoup plus visibles que les efforts.
Le pire c'est que les choses avaient bien commencé. Les wagons avaient été raccrochés d'entrée de jeu avec la fin de Sly 3, de manière un peu abrupte certes, mais n'empêche que les retrouvailles avec le gang faisaient chaud au coeur. La corde sensible était chatouillée délicatement avec un niveau d'introduction renvoyant délicieusement au Paris du deuxième opus, et ça aussi ça faisait plaisir. Bon, dès ma première run j'étais perturbé par le gameplay pour l'ensemble du trio, mais pas au point de devenir soupçonneux. Et puis flûte, qu'est-ce que c'était beau ! Et puis non, d'ailleurs : flûte, qu'est-ce que C'EST beau !
S'il y a bien une chose que je ne peux pas enlever à Voleurs à travers le Temps, c'est le charme fou qui se dégage de sa direction artistique. La patte graphique est magnifique, il n'y a pas d'autre mot. Entre les effets de lumière qui décrochent la mâchoire et la qualité des textures qui force le respect, le jeu est d'une beauté rare, le genre de beauté qui donne envie de poser le pad sur le canapé ou sur les genoux et de contempler. Il est sans doute là, le tour de force de Sly 4, ce souci du détail qui donne à chaque environnement du jeu son identité et ses panoramas à couper le souffle. Toutefois une autre réussite doit être ajoutée à son actif : le respect de l'esthétique de la série. Contrairement au trailer de ce qui devait être le film Sly à la base (et de ce que sera finalement la série, encore que je ne suis pas sûr d'avoir tout capté), les développeurs ont compris que le mot d'ordre de la licence étant cartoon. Ça ne veut pas dire que l'esprit est intact (j'y reviendrai), mais concernant la plastique, on a un juste équilibre entre fourrure soyeuse pas trop réaliste et dessin animé, pile-poil ce qui devait être fait. J'émets néanmoins quelques réserves sur le nouveau look de Murray, même si c'est personnel.
Qu'est-ce qui ne fonctionne pas alors ? Tout le reste, hélas.
Le voleur qui en faisait trop
Comme évoqué plus haut ça se gâte dès qu'on touche au gameplay. Après la folie contrôlée du 3ème épisode, je m'attendais en vérité à ce que Sanzaru reprenne les choses en douceur ; force est de constater que je n'aurais pas pu me tromper davantage... Certaines mécaniques apparues dans la trilogie deviennent au contraire inutilement complexes, à l'image de la voiturette télécommandée et surtout des piratages de Bentley qui n'en demandaient pas tant. Je veux bien croire que le concept aurait pu s'essouffler après deux épisodes au fonctionnement très similaire, mais était-ce vraiment nécessaire de faire table rase si c'est pour proposer 3 nouveaux mini-jeux ratés ? Le shoot'em up est soporifique, la gyroscopie est capricieuse et le hacking classique est devenu un vrai bordel à l'écran, rien ne marche !
Les fausses bonnes idées de cet épisode 4 ne s'arrêtent malheureusement pas là, et les ancêtres de Sly en font partie. Si les capacités de chaque Cooper sont bel et bien exploitées à fond lors des missions, les hubs en revanche n'ont pas été pensés pour qu'on puisse en tirer profit, ce qui diminue de beaucoup leur utilité et leur intérêt. Pire encore, leur gameplay n'évolue jamais, on se retrouve donc finalement avec des clones de Sly qui sont moins agréables à jouer !
Les costumes aussi n'apportent rien, ce sont juste des gimmicks dirigistes et répétitifs qu'on utilise pour le backtracking. Ouais, sauf que j'aime pas le backtracking. Enfin si, quand c'est bien fait, mais c'est pas le cas ici, j'aime pas retourner dans les mondes juste pour ramasser des trucs que j'aurais tout à fait pu prendre avant, ça me gave. Il y avait sans doute matière à faire plus, comme avec ce déguisement de Robin des Bois qui aurait été fendard si on avait pu s'en servir pour dresser des flèches absolument partout, et pas juste sur des cibles posées çà et là par les développeurs... Dommage. Je soupçonne par ailleurs Sanzaru de s'être tellement investi sur ces gameplays alternatifs qu'ils en ont négligé Bentley et Murray. Le résultat est tragique. L'hippopotame qui pouvait coller des patates à n'importe quel malabar a salement régressé, et j'ai trouvé Bentley beaucoup moins rapide et dynamique que dans le 3. Okay, sa technique de vol est nettement moins fastidieuse que la canne à pêche, mais pourquoi les propulseurs de son fauteuil sont-ils aussi mous du genou ?
Dans la liste des erreurs bêtes et méchantes, on appréciera enfin la conception chaotique des menus qui abandonnent la simplicité de jadis pour livrer un foutoir sans nom. Adieu la liste des améliorations accessible à partir du bouton Select, bonjour l'obligation de retourner au refuge pour consulter l'ensemble des upgrades obtenues, et en prime on vous offre les temps de chargement qui feraient passer ceux de Sonic 2006 pour des messages subliminaux ! Décevant et injustifiable de la part d'un studio qui a passé des mois à retravailler les jeux originaux et qui aurait dû faire un effort de réflexion pour garder les choses qui fonctionnaient.
Bigger, not better
Et puis il y a ces satanés hubs, que je n'ai toujours pas réussi à maîtriser. Au début je pensais que ça venait de moi et de mon mauvais sens de l'orientation, quand bien même que je n'avais pas rencontré ce problème avec la trilogie. Sincèrement, j'ai essayé de laisser au jeu le bénéfice du doute et de me remettre en question, j'ai persévéré et suis revenu à la charge maintes et maintes fois pour tenter de cartographier mentalement chaque lieu, m'aidant même pour cela de la boussole pourrie affichée sur le coin inférieur droit de l'écran, rien n'y a fait : j'ai été paumé. L'immensité des hubs (en moyenne deux fois plus grands que ceux des opus PS2) a certainement dû jouer, toutefois je pense qu'il s'agit également d'un problème plus profond qui touche à l'architecture même des mondes. A cet égard les environnements de Sucker Punch étaient peut-être plus minimalistes, mais sur le plan du level-design pur, ils n'étaient jamais pris en défaut : partout et en toutes circonstances, on savait où on se trouvait et où on allait, d'ailleurs je ne pense pas que ce soit un hasard si je suis capable de reconstituer dans ma tête chaque lieu de Sly 2 et Sly 3 avec les points saillants tels que les infrastructures majeures, les raccourcis, etc. Rah, d'accord, je me suis fait la trilogie au moins 5 fois depuis le temps, forcément ça aide, mais les faits sont là ; les développeurs avaient parfaitement compris que pour coller à l'esprit de la série, les mondes devaient pouvoir être apprivoisés rapidement et sans difficulté. Un bon voleur doit connaître et maîtriser son environnement, c'est aussi simple que cela. Dans Sly 4 rien n'est simple ; tout est désespérément compliqué.
Ça se ressent jusque dans la surabondance de collectibles : les bouteilles, les trésors, les masques, c'est trop, beaucoup trop. Autant j'aimais récupérer les bouteilles dans Sly 2, autant je n'éprouve aucun plaisir à chercher des aiguilles dans une (trop grande) botte de foin, surtout quand les indices sonores censés aider le joueur sont inaudibles même avec les bruitages au max. Quant aux trésors, c'était drôle d'aller les chercher... quand il n'y en avait que 3 par monde. Là il y a plus d'une dizaine par hub, vous avez pété les plombs ou quoi ? Il aurait au moins été raisonnable de virer les bouteilles des environnements ouverts et de les mettre uniquement dans les niveaux linéaires (à la manière du premier jeu de la série) pour éviter la surcharge et pousser les joueurs à explorer davantage les phases de plate-forme.
Autant en emporte le temps
Mais il me reste encore à parler du véritable drame de Voleurs à travers le Temps : son écriture. Dire que Sly 4 n'arrive pas à la cheville de la trilogie en termes de narration serait un euphémisme : c'est un naufrage pur et simple. Je tiens à être parfaitement clair à ce sujet : je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que les histoires racontées par Sucker Punch étaient complètement exemptes de défauts, il y avait des maladresses par-ci par-là et des dialogues pas foufous à droite à gauche que j'ai eu tout le loisir de repérer à force de refaire les trois jeux plusieurs années d'affilée. Cela dit je partage l'avis général des fans sur la question, l'écriture était indéniablement une des grosses forces de la licence, et les scénaristes avaient tout de même un sacré talent ainsi qu'une certaine dose d'audace pour imaginer des retournements de situation particulièrement couillus tranchant radicalement avec le ton léger dans lequel on pensait pouvoir enfermer la série de prime abord.
Sly 4 est l'exact inverse de cette formule. Les personnages enchaînent les vannes à tour de bras mais aucune n'est drôle, et le jeu tente de recréer des situations "spéciales" comme le faisaient les épisodes 2 et 3 sans avoir compris une seconde ce qui les rendait pertinentes et rafraîchissantes. Voir Bentley se livrer à un duel chanté avec Octavio, ça marchait parce que c'était amusant, tout comme faire danser Sly et Carmelita dans une scène de bal marchait parce que c'était élégant. Travestir Murray en geisha pour faire baver des sangliers, ce n'est ni amusant ni élégant : c'est juste grossier. Et faire faire la danse du ventre à une Carmelita quasiment dénudée devant des macaques, c'est le summum de l'obscène, je crois que rarement une phase de gameplay m'a paru aussi malaisante.
Pas de jaloux cela dit, tout le monde se casse la figure dans un festival d'occasions manquées. Le méchant avait du potentiel et une posture originale dans la saga (comprendre qu'il n'avait pas les dents aussi longues qu'un Clockwerk ou qu'un Dr. M), mais plutôt que de tirer parti de son charisme potentiel, les développeurs s'en moquent constamment à grands renforts de "ohlàlà c'est un putois alors il sent mauvais", c'est sincèrement affligeant. Eux-mêmes n'y croient pas, en fait, c'est terrible. Faire intervenir les ancêtres de Sly aurait pu être le moyen de leur donner une épaisseur, mais c'est tout l'inverse qui se produit puisque leurs répliques et leur comportement ne correspondent pas du tout à l'image de nobles voleurs que nous délivrait l'Opus Ratonus, et enfin l'histoire tente de délivrer quelques rebondissements en dépit du fait qu'absolument tout est prévisible depuis le début. La pire faute, que dis-je, l'outrage impardonnable, la ligne rouge franchie par le jeu reste
le traitement de Pénélope qui a été complètement massacrée alors qu'elle n'avait rien demandé, un joli doigt d'honneur au développement du personnage dans Sly 3.
Les plans de Bentley sont l'illustration de cette déchéance : dans 80% des cas, ils consistent à accéder au repaire du méchant pour le poutrer, puis advienne que pourra. Et sinon, elles sont passées où les stratégies tordues qui faisaient le sel de la série à partir du 2, celles qui consistaient à neutraliser les opérations du méchant, à l'affaiblir, à l'acculer avant de porter le coup de grâce ? Elles sont passées où, les préparations minutieusement réglées et chorégraphiées ? Ben circulez, y a rien à voir. Au passage on dit "adieu" à l'effet de surprise, puisque vu l'amateurisme de ces opérations, on n'est logiquement jamais surpris de voir que ça tourne mal à tous les coups. Du grand banditisme, on vous dit !
Pour être honnête, jusqu'à encore très récemment, je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui me gênait dans ce jeu, puis un jour, en tombant sur des vidéos d'analyse de la trilogie, j'ai lu des commentaires qui ont parfaitement résumé le problème : Voleurs à travers le Temps donne l'impression de n'être qu'une mauvaise fanfiction. Et c'est exactement ça : tout au long de l'aventure j'ai eu l'impression que l'intrigue partait dans toutes les directions, piétinant au passage l'héritage de la trilogie. C'est regrettable parce que tout n'est pas absolument à jeter non plus. Dans leurs rares moments de lucidité, les scénaristes ont eu l'éclair de génie de développer la relation Sly/Carmelita qui passait trop souvent au second plan dans les épisodes de Sucker Punch. Des applaudissements sont aussi mérités pour la bande-son signée Peter McConnell qui colle complètement au délire de l'aventure temporelle avec ses envolées jazzy et ses thèmes qui illustrent musicalement chacune des époques parcourues. Enfin, même si la galerie de méchants est globalement moins convaincante (El Jefe = sous-Rajan, voilà c'est dit), certains tirent vraiment leur épingle du jeu, et j'ai tout particulièrement apprécié Miss Decibel (magistralement interprétée par Véronique Augereau). Puisque l'on parle du doublage, la totalité des doubleurs de la trilogie est revenue pour donner de la voix à nos personnages favoris, et même si j'aurais préféré les entendre dire de bons dialogues, on sent qu'ils s'éclatent !
Se pose alors le gros dilemme : dois-je recommander le rejeton de Sanzaru ? Plus le temps passe et plus il m'est difficile d'être indulgent : tous les ingrédients étaient réunis pour un excellent jeu, mais la maîtrise fait cruellement défaut et ça se ressent. D'un autre côté, la passion est là, elle s'exprime très maladroitement certes mais elle est tout aussi palpable, et pour une reprise de flambeau (un exercice dont on ne rappellera jamais assez à quel point il est périlleux !), le plus gros du travail avait été fait. Et puis il y a la question que pose l'avenir de la série, fort incertain s'il en est : Sly 5 se fait toujours attendre depuis maintenant plus de 6 ans (un écart qui sera bientôt aussi grand que celui séparant les épisodes 3 et 4), et rien ne garantit le succès d'une série animée dont on ne sait pour le moment pas grand-chose. Du coup, je ne sais pas. Cette épopée temporelle est douce-amère, et ça m'embarrasse. Ce qui est sûr, c'est que malgré tout je veux voir la suite des aventures du raton. Peut-être ne faut-il pas la confier à Sanzaru cette fois-ci (à moins qu'ils aient vraiment appris de leurs erreurs), mais d'un autre côté je doute que les créateurs reviennent s'occuper de leur bébé. Il doit bien y avoir un studio qualifié pour résoudre le problème, non ? Alors messieurs de chez Sony, faites quelque chose. Faites qu'un cinquième épisode arrive. La licence ne peut pas mourir maintenant. Ce serait du vol !