« Quelque chose cloche. 2053, ça fait quoi, trente ans ? Oui, trente ans que nous sommes installés à Neo-Paris avec mon mari. Juste après la reconstruction de la ville à vrai dire. Ce qui est arrivé… Je ne m’en souviens plus. Guerre civile européenne, inondations, qu’importe ? Grace à mon Sensen je n’enregistre que les informations importantes et je sais pertinemment qu’à l’heure qu’il est mon mari devrait déjà être rentré. J’espère qu’il ne s’est pas trop éloigné de la conforteresse Saint-Michel avec tous ces junkies dégénérés qui traînent ! M3morize se veut rassurant à leur propos toutefois, et pour autant que je me rappelle ils ne font pas d’annonces en l’air. Bon, le repas préparé par nos valets est déjà froid et mon mari n’est toujours pas là… » Delina Sutaine, 58 ans
ENNEMIE PUBLIQUE N°1
Edge, Nilin, 2084… Je n’ai que des bribes, tout est encore si flou. C’est grâce à cette voix que j’ai pu m’échapper de la prison de la Bastille. Neo-Paris me tend les bras et moi je dois serrer les poings. Pas d’autre choix que de suivre les indications de ce Edge et traverser le quartier Slum 404. Ces bêtes, ces monstres – produits de M3morize – me barrent la route. C’est à ça que j’ai échappé : on m’a volé la mémoire mais eux n’ont même plus leurs esprits. Des parias, voilà à quoi sont condamnés les vils rejetons du Sensation Engine (Sensen, l’appareil d’interface neurale directe auquel nous sommes tous connectés).
Nilin. J’étais donc une chasseuse de mémoire – la meilleure ? Voler et remixer les souvenirs des gens pour combattre l’Etat de surveillance et le contrôle de la population, la cause Erroriste à laquelle j’aurais consacré ma vie. Pour le moment tout ce que « l’ennemie publique n°1″ désire c’est de récupérer la sienne, de mémoire. Heureusement il me reste quelques compagnons. Une fois sortie des taudis ce ne sont pas les habitants – bien trop occupés à dealer des souvenirs joyeux – qui me barreront la route. Neo-paris tu es à l’image de tes habitants : si belle et si triste.
NEO-PARIS
Le projet de réhabilitation « Phoenix » dirigé par l’architecte Kaori Sheridan a complètement remodelé la ville. De nouveaux quartiers se sont élevés sur les bâtiments haussmanniens et des gratte-ciels sont apparus dans le paysage urbain de Neo-Paris. En explorant cet univers je – Nilin ? Non je, Tétris, suis ébloui par tant d’épaisseur et toute la richesse de la ville. Si Remember Me est clairement centré sur l’histoire de Nilin, la ville n’en est pas moins un personnage à part entière tant son design est généreux, inventif et d’un goût exquis. Tout au long du jeu nous parcourons la capitale et ses bâtiments. Le parcours est linéaire : bien sûr qu’on aurait aimé se balader plus librement, mais l’expérience n’en aurait-elle pas été diluée ? La Neo-Paris de Remember Me transpire de détails, de pigeons (toujours !), de tags, d’écrits, de droïdes muets ou d’habitants s’adressant à nous de leur fenêtres. En d’autres termes, Neo-Paris est vivante.
Des deux phases de jeu qui composent le titre, la plate-forme est la plus présente. Fort heureusement notre héroïne est en pleine forme et elle n’hésitera pas à se jeter de toits en toits, escalader des gouttières ou progresser à grands renforts de sauts tout au long de la journée que dure le récit. Tout ceci est au goût du jour, c’est à dire assez assisté, et vous finirez rarement tête la première dans une ruelle. En plus d’améliorer votre connectivité à autrui, votre Sensen sert également à augmenter la réalité en analysant votre environnement. L’indication de votre prochaine prise d’accroche via réalité augmentée est initialement assez vexante et semble nous chaperonner, mais comme les environnements se renouvellent en permanence l’option est plutôt bienvenue. Pas de rebords jaunes fluos dans Remember Me et peu de réutilisation d’éléments. C’est assez rare pour être souligné !
COMBOS LAB
Combattre seule l’autorité établie ça ne se fait pas sans casser des œufs et Nilin est justement très bonne cuisinière. Les combats s’inspirent des grands et prennent les bases de Batman Arkham Asylum en étoffant un peu la formule. Pas de riposte automatisée ici, il vous faudra aller de l’avant et déclencher vos combos poings/pieds en rythme tout en évitant les coups des leapers ou des agents de la force S.A.B.R.E. Les quatre enchaînements à débloquer au fil de l’aventure sont personnalisables à l’aide de Pressens. Ces derniers sont segmentés en familles de dégâts, régénération, recharge d’énergie et chaines (duplique le dernier mouvement et en double les effets). A vous donc de savamment paramétrer vos combos en fonctions de vos adversaires.
Ajoutons à cela divers coups spéciaux, les S-Pressens, ainsi que des armes de tir a distance et nous avons de quoi varier les plaisirs lors des affrontements. Les types d’ennemis sont justement assez diversifiés pour nous obliger à régulièrement tirer parti de ces paramétrages et les rixes sont au final assez stratégiques. Pour peu que vous jouiez dans le mode de difficulté supérieure, il vous faudra alors un sens précis du timing pour réussir à compléter les plus longs combos (6 à 8 coups) tout en esquivant vos adversaires. Faute de pouvoir noter que le mode difficile porte bien son nom, celui-ci répondant à l’appellation « Chasseur de souvenirs », j’en profiterai pour saluer le dynamisme des musiques d’affrontements. Qu’importe de devoir retenter pour la troisième fois untel combat : le ressenti varie grâce à la musique qui accompagne vos actions et s’élève pendant la réussite de vos combos ou se brise pour se faire plus discrète en cas de coup reçu.
LA JUSTE NOTE
Partie intégrante de la réussite de l’univers du jeu, les compositions d’Olivier Derivière nous chantent aussi ce monde tout connecté et technologique. Les Erroristes que nous incarnons sont le bug de cette société et les musiques, elles aussi hachurées de glitches, cassent le rythme établi. Là où l’on pouvait attendre de l’électro, le choix d’enregistrer en acoustique répond à merveille au côté historique et organique de Neo-Paris.
La justesse sonore d’un film ou un jeu découle également du travail des acteurs. Les voix de la version « originale » en anglais (le jeu est français mais pensé pour l’international) sont très convaincantes mais la VF n’a pas non plus de quoi rougir avec ses doublages de qualité. Dommage cependant que la synchronisation labiale n’ait pas profitée du même soin : celle-ci étant calé sur l’anglais, jouer en français sera forcement moins immersif…
Riche en idées visuelles ou sonores, Remember Me propose également des phases de jeu plus expérimentales : les remodelages de souvenirs. Puzzles narratifs dans lesquels on visionne des scènes pour les rembobiner et modifier des éléments jusqu’à changer leurs issues, ces phases de jeu sont rafraîchissantes et bienvenues, mais ne sont qu’au nombre de quatre dans l’aventure. On les savoure d’autant plus.
Remember Me est un jeu d’action aventure intense et chaudement recommandable. Si certains joueurs peuvent s’arrêter au gameplay somme toute classique, ce serait bouder une direction artistique sans faute, un rythme de jeu bien ciselé et un titre AAA qui transpire l’amour et la générosité de ses créateurs. Trop peu de jeux ont un réel caractère et imposent une vision, alors cette fois-ci profitez-en et foncez sur la science-fiction à la française. Dites oui à DONTNOD !