Après 6 jeux en 6 ans, Capcom décide de mettre sa nouvelle poule aux œufs d’or au repos, le temps de concocter une nouvelle formule censée relancer l’intérêt des joueurs (et surtout des développeurs, qui commençaient à se lasser de la formule du survival-horror).
Pari réussi : dès sa sortie, Resident Evil 4 est acclamé par la presse et les joueurs pour le grand coup de pied dans la fourmilière qu’il a donné à la licence. Adieu les plans de caméra fixe, bonjour la vue par-dessus l’épaule. Au revoir protagonistes avec un balai dans le cul, bienvenue Leon et sa formation de gymnaste olympique. So long l’Amérique, holà l’Espagne.
Encore aujourd’hui, c’est l’un des 30 meilleurs jeux de tous les temps selon MetaCritic. Mais au nom de l’innovation, n’a-t-il pas trahi l’esprit de base de la série ?
The farce awakens
Nous sommes en 2004. Toute l’Union Européenne est passée à l’Euro.
Toute ? Non. Un petit village d’Espagne refuse encore et toujours d’abandonner ses pesetas.
Sentant un grand bouleversement dans la force monétaire, le président des Etats-Unis envoie Leon S. Kennedy enquêter sur ces rétrogrades. Et au passage, puisqu’ils ont enlevé sa fille, ce serait sympa s’il pouvait la retrouver. Voilà donc notre sarcastique agent secret préféré en route pour apporter la liberté et la démocratie dans ce village à grands coups de fusil à pompe.
Vous dites ? Umbrella ? La compagnie responsable des précédents désastres que Chris, Jill, Leon et Claire s’étaient promis de détruire ? Ah, oui. Elle a été victime d’un krach boursier quelque part entre 1998 et 2004 et n’existe plus. C’est bon, on peut revenir à notre histoire ?
C’est le point qui m’a le plus choqué d’entrée de jeu : le battage de couilles total sur la continuité scénaristique. Et ça ne concerne pas que la fin cynique d’Umbrella, Leon aussi en a été victime, passant en 6 ans du "good cop" un peu naïf à une sorte de Rambo/Néo/007 blasé qui enchaîne les punchlines nulles (bon, à la limite ça c’est une marque de fabrique de la série).
Surtout que les scénaristes adorent rajouter des éléments qui sortent de nulle part et faire comme si ça avait toujours existé. Leon n’est pas surpris de voir Ada vivante et l’accuse immédiatement d’être de mèche avec Wesker (quelqu’un qu’il n’a jamais vu), Leon rencontre son ancien camarade Krauser et tous deux tapent la discute alors que le joueur ne se pose qu’une seule question : "Mais putain, c’est qui Krauser ?", Leon est devenu le garde du corps du président uniquement parce qu’il a survécu à une apocalypse zombie…
Alors, d’autres jeux et livres détaillent ce qui s’est passé pendant ces 6 ans et comment on en est arrivé là (je pense aux RE Chronicles sur Wii), mais ils sont sortis après RE4. Un fan de la série à l’époque devait être complètement paumé vu le changement de narration radical dans cette série qui avait jusque-là toujours été à peu près cohérente.
Je ne vais pas forcément m’attarder sur les ennemis qui deviennent de plus en plus ridicules à chaque jeu (après la femme-fourmi volante et l’homme-sangsue, voici l’enfant-fleur), en revanche je trouve insupportable la tendance qu’a le jeu de recourir aux QTE. C’est une nouveauté dans la série, et les développeurs en ont complètement abusé. Quand tu as lâché la manette pour regarder une cinématique et que celle-ci te crache un QTE à la gueule, c’est la mort assurée (facilement un tiers de mes morts sont dues à ça). Certains bossfights sont même intégralement composés de QTE, c’est juste risible.
En ce qui concerne les graphismes, ils sont vraiment excellents pour de la GameCube, c’est probablement un des jeux réalistes les plus beaux de cette génération avec MGS3. Voir une vingtaine d’ennemis qui te coursent dans des décors détaillés et vastes, ça fait son petit effet, même s’il est assez dommage que l’image ait toujours des teintes marron fades (ou gris aseptisées à la fin du jeu).
Quant à la musique, je me contenterai de dire que la première chose qu’on entend dans ce jeu, héritier de la série d’horreur la plus populaire de tous les temps, c’est… un orchestre mexicain. Bon, on va dire que c’est très certainement la phobie de quelqu’un, quelque part dans le monde.
Après, le sound-design du jeu est bon, j’ai rien à dire dessus. Sans proposer de thèmes aussi marquants que ceux d’Alexia ou Birkin, il alterne très bien les moments de silence, les pistes pleines de malaise ou les mélodies calmes, mais mon Dieu cette intro…
Picadillo Circus
Du point de vue du gameplay, ce Resident Evil 4 (ou plutôt "4 resident evil" si j’en crois la jaquette) est très riche. La visée par-dessus l’épaule permettant une plus grande précision qu’auparavant, les ennemis réagissent différemment selon l’endroit où vous les touchez (tirez dans les jambes et ils s’écrouleront, dans la tête pour un headshot…) et cela permet une plus grande variété de points faibles à proposer au joueur, surtout chez les boss (j’aime beaucoup ce wanna-be Wolverine qu’on doit contourner silencieusement pour lui tirer dans le dos). Le seul moment où j’ai vraiment ragé sur le gameplay, c’est quand Ashley se faisait tuer comme une abrutie. Heureusement, les séquences où on l’escorte au-delà du chapitre 2 sont rares.
Sur Wii, le curseur réagit au doigt et à l’œil aux mouvements du joueur, ce qui permet une grande précision. J’avais un peu touché à la version GC il y a quelques années, et comme pour Metroid Prime, j’avais pas vraiment accroché à la visée au stick. Le shooter est vraiment un genre qui se marie bien à la Wiimote.
En contrepartie, c’est le premier jeu Wii que je vois qui ne se met pas automatiquement en pause quand les piles de la Wiimote tombent à plat. C’est déconcertant (et ça m’a valu une mort).
Si le gameplay est efficace et a inspiré de nombreux TPS de la génération PS360, il faut quand même avouer qu’on n’est pas en face d’un Resident Evil. La surabondance de munitions, les ennemis qui meurent (ou plutôt se dissolvent) en laissant du fric ou des balles derrière eux, les sauvegardes illimitées, les checkpoints (apparus dans Code Veronica mais utilisés sporadiquement) après chaque porte… Autant de petits détails qui vont à l’encontre des règles de la série. Le summum du ridicule est atteint dans cette séquence en fin de jeu où Leon infiltre une base pendant qu’un PUTAIN D’HELICOPTERE fait tout sauter sur son passage et se charge d’éliminer les ennemis. Qu’il est loin le temps où on pénétrait seul dans le laboratoire Spencer, la boule au ventre et 6 balles de Magnum en poche…
Ce n’est pas pour autant que le jeu renie complètement son héritage, j’aime beaucoup le système d’inventaire par exemple qui a un côté Tetris inattendu (et qui gère beaucoup mieux l’absence de coffres que ne le faisait RE0), mais qui souligne encore une fois la surabondance d’armes dont on dispose. Quand j’en viens à abandonner des grenades ou des flèches, ça ne me déchire même pas le cœur parce que je sais que j’ai de quoi affronter une armée. Ca c’est une situation qui n’existe tout simplement pas dans les 6 jeux précédents (combien de joueurs ont pleuré leur mère en se rendant compte qu’ils ne pouvaient pas récupérer le Magnum dans CV ?).
Très ponctuellement, on retrouve aussi des passages légitimement flippants. Quand tu as passé 12 heures à faire exploser des ivrognes espagnols et que soudain tu te retrouves en face d’un Regenerador, une bestiole qui n’émet que des gémissements, qui marche lentement mais qui frappe fort et soigne ses blessures, là tu flippes. Mais c’est tellement rare que je suis à peu près sûr que cet ennemi est un rescapé d’un précédent build du jeu, de l’époque où RE4 avait un gameplay dans la lignée de Code Veronica et une ambiance plus SilentHill-esque.
Dans la continuité de cette mutation, le jeu est encore plus linéaire qu’auparavant et propose des énigmes de moins en moins intelligentes. A côté de lui, Resident Evil 3 (pourtant très orienté action aussi) ressemble au concours d’entrée de l’ENA.
Et c’est pas pour autant que le titre gagne en cohérence. J’ai déjà cité le coup des Pesetas encore en circulation en 2004, mais rien que cette salle du château remplie par de la lave et où on doit éviter des statues qui crachent du feu et qui font apparaître des coffres si on les détruit… C’est pas Resident Evil ça, c’est Zelda.
Je veux dire, tout le monde chie sur Resident Evil 5 parce que Chris fait tomber des rochers à coup de poing ou sur le 6 parce que les protagonistes courent plus vite qu’un avion, et ok c’est débile, mais pourquoi personne ne dit rien quand Leon saute du haut d’un clocher et atterrit sur ses pieds sans se défoncer les jambes ? Et ça arrive dés les premières minutes de jeu !
Un four ?
Je mets une bonne note au jeu, parce que le gameplay est introllable. Précis, donnant énormément de liberté au joueur, je n’ai rien à lui reprocher et c’était cool de parcourir le jeu. Surtout qu’à l’instar de RE2, il offre pas mal de rejouabilité (il y a beaucoup d’armes et on n’a pas l’occasion de toutes les tester en une run) et de modes annexes (Mercenaries, Separate Ways…).
Mais en tant que Resident Evil, bah j’en ressors assez déçu. Scénaristiquement ça ressemble plus à un spin-off qu’autre chose, et l’action "over the top" se marie vraiment mal avec l’atmosphère de la série. On passera sur l’ambiance parodique du jeu et des personnages qui nique l’immersion, on se croirait dans les films de l’autre abruti (tiens d’ailleurs, il y a une séquence naze avec des lasers qui font des aller-retours, comme dans le premier film RE, coïncidence ?). La bonne blague étant que le méchant principal (au charisme négatif) ose dire que les clichés des blockbusters hollywoodiens n’arrivent jamais dans la vraie vie. Mais connard, ton jeu enfile tous les clichés possibles comme des perles sans aucune notion de cohérence, de quoi tu parles ?
C’est dommage, il y a quelques moments d’angoisse, mais ils se situent quasi-uniquement dans le premiers tiers du jeu (le siège de la cabane, la fuite du village…). Et puis le fait que les ennemis gueulent et disent de la merde, ça les rend tellement moins intimidants que les gémissements des zombies. C'est d'ailleurs ce qui m'avait fait abandonner le jeu lors de ma première partie, je sortais tout juste de Resident Evil DS et Revelations et je ne retrouvais pas l'ambiance qui j'avais tant appréciée.
Bref, un bon voire très bon TPS, mais un hors-sujet total au sein de sa propre série.