Le genre du point and click reste un marché lucratif sur PC, encore aujourd'hui. Des grosses productions aux petits budgets de studios indépendants, chacun cherche à se faire une place. Difficile donc pour le consommateur lambda de s'y retrouver. Retour sur l'île mystérieuse, de Kheops Studio, a réussi malgré tout à sortir du lot et même à marquer le genre auquel il appartient. Des signes qui ne trompent pas.


I) Sur les traces de Jules Verne


Le phénomène des robinsonades


Retour sur l'île mystérieuse se veut une adaptation du roman de Jules Verne : L'île mystérieuse. Dans le livre de Verne, on suit les péripéties d'une expédition de cinq personnes (l'ingénieur Cyrus Smith, son domestique Nab, le journaliste Gédéon Spilett, le marin Pencroff et l'adolescent Harbert) qui cherche à fuir le siège de Richmond durant la guerre de Sécession.


Malheureusement, les bougres échouent sur une île qu'ils baptiseront par la suite l'île Lincoln. A partir de là nos compères s'organisent pour construire les infrastructures nécessaires à l'élaboration d'une micro-société. Des lois pour une vie en groupe sont établies. Seulement quelque chose semble les surveiller, tapis dans l'ombre de la jungle luxuriante. Le danger rôde.


On est ici dans la plus pure tradition littéraire des robinsonades, genre né de l'énorme succès de Daniel Defoe, l'auteur de Robinson Crusoé. L'idée est toujours la même : une personne ou un groupe échoue sur une île et tente de survivre par tous les moyens. L'ancêtre de Koh-Lonta, Lost et compagnie en somme.


Une adaptation très libre


Dans ce jeu de Kheops Studio, ce qui est intéressant c'est que le joueur découvre ou redécouvre certains éléments de cette histoire avec toutefois des différences majeures. On est loin d'une adaptation fidèle du roman d'origine, au contraire c'est une toute nouvelle histoire que l'on voit défiler sous nos yeux.


Vous n'incarnez plus un groupe mais Nina, une jeune exploratrice qui échoue sur une île alors qu'elle naviguait sur les mers pour je-ne-sais-quelle course. Seule sur l'île paradisiaque ou presque, la valeureuse demoiselle cherchera dans un premier temps à se nourrir pour retrouver des forces avant de partir explorer les lieux. Le but ultime de la charmante Nina étant bien évidemment de regagner son pays.


Une réécriture intelligente


Ce qui est accrocheur dans ce titre, en dehors de cette histoire somme toute classique (mais efficace), ce sont les découvertes de Nina. Chaque pas est l'objet de surprises bien étranges. Un moulin abandonné, une maisonnette avec un four à moitié détruit, des ponts cassés et même une grotte avec des canons et un outillage pour chimistes.


En fait, Kheops Studio nous dévoile avec subtilité, et cela petit à petit, l'histoire de Verne. On apprend donc par divers éléments trouvés de-ci de-là l'épopée de l'expédition évoquée tout au début de cet article. Ce jeu constant entre la réécriture et l'adaptation voire la retranscription fidèle de l'oeuvre originale est une des forces du soft. On veut connaître le fin mot de l'histoire, autant pour savoir ce qui arrivera à Nina que pour connaître le sort de cette expédition d'expatriés.


Le final conduit Nina à enfin découvrir le Nautilus et à y rentrer. Notre aventurière va devoir se démener pour atteindre la cabine centrale. Au fil des notes et des pages éparpillées, on comprend que le capitaine Nemo a fini ses jours sur cette île, choisissant une retraite loin des hommes et de toute société. Le témoignage du capitaine est poignant, il reprend bien des codes issus du Misanthrope (fabuleux archétype).


Continuer l'histoire


Kheops Studio clôt l'aventure avec une ultime correspondance entre la création et l'oeuvre d'emprunt puisqu'il décide de poursuivre le roman de Verne. On est même au-delà du simple roman, les lettres trouvées par Nina fournissent des informations sur le rapport Verne/Nemo alimentant un peu plus la mythologie autour de ces personnages. Verne, connaissant la position du capitaine, aurait décidé de ne rien dire et de modifier son roman pour ne rien dévoiler de la retraite du vieux loup de mer. Retour sur l'île mystérieuse cherche à nous perdre dans cet entremêlement sans fond qui en fait au final une oeuvre à part entière.
II) La BD comme média


Des cinématiques fixes et stylisées


La bande dessinée se taille un rôle important dans le jeu puisqu'elle sert à effectuer toutes les cinématiques du titre. Des cinématiques fixes agrémentées de bruitages et de monologues de Nina.


Pour chaque action marquante, chaque événement de taille, on nous gratifie d'une planche de bande dessinée illustrant tel moment de tension ou tel autre de plaisir culinaire. Le dessin est soigné, les voix et les musiques de fond collent parfaitement à chaque planche. Le tout est un ensemble cohérent et agréable à regarder et à entendre.


La bande dessinée n'est pas forcément un média couru pour le déroulement de la narration dans un jeu vidéo, Retour sur l'île mystérieuse l'impose et réussit son implantation avec finesse.
III) Liberté et libre arbitre


Un problème, plusieurs solutions


Point fort du jeu, probablement l'élément le plus marquant, le panel des possibilités qu'offre le titre au joueur. D'une certaine manière, le joueur est libre. Alors qu'un point and click propose en temps normal de réussir à surpasser des problèmes par l'utilisation d'une technique, procédure ou je-ne-sais-quoi répondant à une logique bien précise, Retour sur l'île mystérieuse permet pour certains problèmes rencontrés des résolutions multiples.


Grosse innovation du genre, un genre malheureusement trop statique et allergique aux changements. Pouvoir enfin surmonter une difficulté par un stratagème issu de sa propre logique, mon petit cerveau, et non la voie unique du programmeur. Quel plaisir ! Quelle joie ! La liberté, ou presque.


La chose devrait pourtant être généralisée, quoi de plus logique (justement !) à ce que l'on puisse surmonter des épreuves de différentes façons et non en refaisant uniquement la gestuelle prévue par l'équipe de développement. On peut très bien passer un garde en lui assenant un coup de planche sur la tête ou en l'endormant par un somnifère dilué dans un verre qu'on lui donne... j'invente. Après tout, rien de plus normal, c'est une question de tempérament et de personnalité. Nous ne réagissons pas de la même manière selon qui l'on est.


C'est pourquoi il est plaisant de vivre l'aventure de Nina. On s'amuse à réussir comme on le souhaite les épreuves que l'on nous propose. Par exemple, les singes vous barreront plus d'une fois la route dans le jeu. Il existe plusieurs méthodes pour les écarter de votre passage. Leur faire peur avec un serpent capturé, les endormir avec de l'alcool etc.


Faire ou ne pas faire


Autre élément fort appréciable du gameplay, la possibilité de faire ou non certaines choses. Il existe des énigmes, des situations problématiques, qui ne demandent pas forcément à être résolues. C'est le joueur qui décide puisque le jeu repose sur un système de points, on en gagne à chaque trouvaille. Du coup, pas besoin de cumuler tous les points possibles pour terminer l'aventure.


Cette fois-ci c'est un libre arbitre que l'on matérialise. Par exemple, à un moment du jeu, un chemin sera bloqué par des lasers issus d'un système de sécurité sophistiqué. Il existe un mécanisme activant ou non ces horreurs, il est possible, par l'intermédiaire d'un casse-tête, de détruire ce dispositif. Libre à vous de le faire ou de terminer le jeu sans mettre à bas cette protection barbare. S'enfuir, rien que s'enfuir de l'île.
Mention


Commentaire : Ne payant pas de mine au premier abord, Retour sur l'île mystérieuse laisse malgré tout une empreinte durable au sein d'un genre peu enclin à évoluer. Depuis, Kheops Studio continue son bonhomme de chemin, reprenant plus ou moins des éléments de cette aventure maritime. Un studio qui poursuit sa route depuis quelques années déjà, nous proposant avec une certaine régularité ses dernières productions. Longue vie à eux.

Al_Foux
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le 30 déc. 2015

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