Super Star
On en veut encore, Sabotage. Y'a bon. Véritable petite pépite indé de l'été, Sea of Stars fleure bon les embruns marins, la sueur et les tripes. Le cocktail détonne dans le paysage du jeu vidéo...
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le 9 sept. 2023
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Sea of Stars est l'un de ces jeux qui semble être né sous la plus brillante des étoiles. Une inspiration directement prise de Chrono Trigger, une musique faite en collaboration avec Yasunori Mitsuda, compositeur légendaire et très apprécié encore aujourd'hui, un visuel à s'en faire décoller la rétine... Dommage qu'il soit sans doute l'un des jeux les plus mal écrits de ces 15 dernières années.
Tel quel, je pourrais finir la critique ici même, tout serait dit. Cependant, il me semble important de pouvoir défendre ce point de vue lorsque je vois fleurir à perte de vue les notes quasi-parfaites pour un jeu qui ne l'est clairement pas. Du coup, pourquoi devrait-t-on considérer Sea of Stars, élu comme le meilleur jeu indépendant de 2023, comme un acte manqué, qui disparaitra sans doute assez vite de nos mémoires?
Tout commence avec un mystérieux narrateur nous contant l'histoire d'enfants uniques, aux pouvoirs extraordinaires nommés les "Enfants du Solstice". Ces enfants, dotés chacun du pouvoir du soleil et de la lune, naissent à des périodes précises afin de pouvoir protéger la terre d'un mal terrible, le Fleshmancer, dont le nom est si terrifiant qu'il doit impérativement apparaitre en rouge, au cas où les joueurs n'auraient pas compris qui était l'antagoniste principal.
Nous suivons alors les aventures des deux derniers guerriers du Solstice venus au monde, Valere et Zale, enfants prometteurs ayant soif d'exploration, ainsi que leur ami un peu gauche mais terriblement sympathique, Garl. Après un incident précipitant l'entrainement des deux protagonistes, le jeu commence réellement lorsque l'on nous envoie vers notre toute première mission.
Plutôt simpliste, mais explicite et intriguant n'est-ce pas? Imaginez maintenant que tout cela soit découpé de telle sorte à ce que nous commencions avec le narrateur, puis une minuscule scène prenant place juste après que les protagonistes aient obtenus le droit de sortir du village, pour enfin nous manger un flashback au coin du feu dans le but de nous expliquer leur enfance. Le jeu sera découpé à la serpe de cette manière durant 25 heures.
Si ce découpage très étrange peut être vite excusé dans les débuts du jeu, sous prétexte que nous soyons en face d'une aventure bonne enfant sans implications trop importantes, il devient beaucoup plus complexe de trouver une défense convenable à ce que devient l'histoire principale après l'élimination de l'Habitant du Malheur, dont nos protagonistes savent simplement qu'une fois la bestiole battue, le monde sera sauvé (mais que chaque seconde attendue rend la créature plus puissante, jusqu'à ce qu'elle devienne une entité imbattable, destructrice de mondes). Afin d'éviter de spoiler quoi que ce soit, je dirais simplement qu'à partir de ce moment-clé, l'histoire se prend sans arrêt les pieds dans le tapis.
Pourquoi y-a-t'il un élément perturbateur? Parce qu'il en fallait un. Pourquoi ces personnages deviennent-t'ils des antagonistes? Pour une raison que l'histoire changera deux à trois fois de suite au fil des heures de jeu, les développeurs se rendant compte eux-même de l'aspect ridicule de la raison principale. Non seulement un tel revirement de situation est d'une faiblesse d'écriture rare, mais elle tue d'un coup d'un seul l'aspect simplet mais mignon que le jeu avait réussi à obtenir jusque-là. Mais alors, comme nous le dit le jeu, cela a été fait pour permettre aux personnages d'évoluer narrativement parlant, dans le but de les rendre plus mature, non? Non. Bon dieu, non.
Zale et Valere sont la définition pure de l'avatar. Ces personnages ne sont que des coquilles vides, présentes uniquement dans le but d'être habités par les joueurs et joueuses. Seulement, ces personnages parlent, ont leurs propres choix de dialogues, vivent indépendamment des actions que nous prenons... mais paraissent tellement creux et fades qu'ils sont obligés de s'effacer face à Garl et sa bonne humeur enfantine permanente. Ce constat devient de plus en plus douloureux au fil du temps lorsque la narration nous dit à maints reprises que nos personnages principaux évoluent, prennent en maturité, sans que pourtant rien ne change. Les mêmes décisions, la même manière de parler, les mêmes émotions.
Si cela les rends complètements stupides dans de nombreux moments où la plume lyrique et poétique de l'auteur n'a pu trouver meilleure réaction que "..." ou encore, l'émouvant "!" (gâchant le rythme des dialogues au passage, les rallongeant inutilement), le problème encore plus important est que nous ne voulons simplement pas suivre les aventures de deux poupées de chiffons, n'ayant aucunes aspirations autres qu'une prophétie très dirigiste ("Tu va créer un pont fait d'eau à 18h37 sur Marnes-la-vallée"). Bref, ils sont creux, et par conséquent ratés.
Pourtant, nous ne pouvons pas non plus dire que les autres personnages soient d'une étoffe si différente que cela, Garl ayant le même souci d'évolution narrative, faisant de lui un éternel enfant; Seraï, mystérieux personnage constamment moqué par le jeu pour ses clichés narratifs, ce qui est d'une ironie terrible lorsque l'on comprends que c'est le personnage le mieux écrit du jeu (il reste médiocre, attention); Resh'an, le deus ex machina/fusil de Tchekov/Mcguffin sur pattes, disparaissant subitement de l'équipe pour une raison absurde, qui ne sera jamais totalement expliquée; et enfin B'st, une sorte de bourrin mélomane écrit simplement pour donner une explication à la "True Ending". Sacrée équipe de bras cassés, donc.
Pour ce qui est du reste de la qualité d'écriture, nous parlons ici de rythme, de world design, des personnages secondaires et de l'humour, je me donne le droit de tout mettre dans le même panier en résumant cela à un ensemble de scènes découpées avec des morceaux d'animation dessinées, avant de nous remontrer la même scène via la 2D du titre, à des conversations charcutées de petites phrases creuses ne faisant avancer ni l'intrigue, ni la discussion dans laquelle elles sont présentes, à une équipe détestable de pirates brisant sans arrêt le quatrième mur pour faire des blagues véritablement affreuses (pire encore, ils se moquent de la construction d'un jrpg, avant de tomber tête la première dans ces stéréotypes), et le monde est majoritairement expliqué au travers d'un pnj narrant des contes et légendes, choix étrange mais pas forcément abominable.
Mais du coup, avec une qualité d'écriture autant au raz du sol, comment le jeu est-t-il devenu GOTY? Bah pour le reste, pardi!
Sea of Stars est beau. On croirait que mes dires sont subjectifs, l'art étant différent dans les yeux de chacun, mais je vous prie d'aller voir un peu la tronche du jeu, de marquer vos rétines du fer rouge de cette 2D impeccable, puis de revenir me dire que vous trouvez le jeu moche. Je vous traiterais de menteur ou d'aveugle.
C'est simple, nous sommes sans doute devant l'une des plus belles 2D qui ait jamais été faite, les outils modernes aidant aussi à cela. Cette animation où Seraï donne une pièce à un passeur? Sublime. Ce combat de boss? Essayez de reproduire la même. Malgré ses couleurs extrêmement prononcées, les zones étant souvent bardées de couleurs flashy, on ne peut pas dire que le visuel du jeu ait été loupé. C'est sa plus grosse réussite, et cela se voit.
Sea of Stars, c'est aussi un jeu dont la musique, faite par Eric W. Brown et Yasunori Mitsuda (même pas 10 musiques à tout péter sur une centaine) fait très souvent mouche, mais je dois tout de même avouer que je la trouve personnellement en dent-de-scie, parfois sublime, et parfois un peu potache et planplan. Contrairement à l'aspect graphique, il m'est impossible de placer mes goûts musicaux comme omnipotents, mais je pense sincèrement que certains morceaux de Brown sont tellement démentiels (Malevolent Confrontation, ou encore le très rigolo The Storm Calls for you) qu'ils en obscurcissent la qualité des autres morceaux, qui ne sont pourtant pas si mauvais, mais manquent tout de même d'un pont convaincant par-ci, d'une mélodie plus sympa par là.....je chipotte, quoi!
Là où le bat blesse par contre, c'est au niveau du gameplay. Si le système de combat nous fait immédiatement penser à celui de Chrono Trigger aux premiers abords, il en est en réalité à des années-lumières! Pensé via un système de verrous à détruire avec des types précis d'attaques, l'idée est de toujours se questionner sur le fait d'annuler l'attaque en cours, ou bien de bourrer comme un sac. Si le système de base semble fonctionner à merveilles, c'est dans son mid-late game qu'il commence très sérieusement à battre de l'aile. Au début, détruire quelques verrous sur une attaque permettait de baisser son efficacité. Seulement, à partir d'un moment dans le jeu, les verrous se complexifient assez stupidement, tout en ne réduisant plus rien du tout si ce dernier est endommagé. On se retrouve donc très souvent avec des débuts de combats où trois mobs décident tous de bourrer l'attaque-verrou, qu'il nous est complétement impossible de bloquer à cause de combos que nous n'avons pas, nous obligeant alors à prendre une énorme attaque dans la figure, pouvant tuer un ou deux personnages. Pareil pour de nombreux boss, où le verrous à 12 images devant être réalisé en 2 tours cache une attaque mettant tout le monde à 1pv. Le jeu étant très facile, cela n'amène pas toujours à un massacre, mais cela aurait pu, et dû, être évité.
L'idée autour de l'attaque ultime n'est pas non plus maitrisée, surtout lorsque les choix pour les coups suprêmes de chaque personnages tourne principalement autour des affinités élémentaires, mais il est franchement bizarre de passer à côté de celui de Resh'an, faisant de très bons dégâts tout en soignant l'intégralité de l'équipe et en retardant les ennemis. Pourquoi vouloir faire 600 dommages de plus quand on peut juste bourrer un ennemi pendant trois tours tout en améliorant la survavibilité de l'équipe? Pareil, il est possible de faire des attaques en duo, mais la barre pour les lancer est tellement lente à se remplir que vous ne le ferez finalement qu'assez peu, et principalement sur les boss. You-pi.
Pourquoi Sea of Stars est vu comme un jeu génial, alors? Parce qu'il est beau à se damner, que le système de jeu est amusant pendant les 10 premières heures, et que les gens ont souhaité croire à la victoire du petit indé contre la grosse et méchante industrie. Qu'on se le dise, le jeu n'est pas horriblement mauvais, mais il est terriblement décevant car il est clairement fait avec amour, par des gens ayant tenté non-ironiquement d'atteindre le niveau de Chrono Trigger, mais sans avoir compris ce qui avait fait du jeu de Square Enix sa réussite.
Il en résulte donc un jeu terriblement mal écrit, divertissant mais pas sur la totalité de son aventure, bref, incomplet.
Le pire dans cette histoire, c'est que le scénariste de Sabotage Studio était déjà connu pour ses lacunes d'écriture, notamment sur The Messengers, le premier jeu du studio, mais lorsque les critiques de Sea of Stars ont remonté le même souci, le gars leur a rit au nez en disant que c'était de "l'écriture moderne" et que nous ne comprenions pas parce que nous étions de gros boomers. C'est d'un navrant...
Pour finir cette critique, je dirais que Sea of Stars est un superbe premier Jrpg pour quiconque n'a jamais touché un jeu vidéo de sa vie. Il est beau, rigolo, et pour quelqu'un qui n'en a rien à faire de l'écriture d'un jeu, l'on passe un bon moment.
Pour les autres, c'est une expérience douloureuse où des personnages creux s'allient avec un scénariste lunaire pour proposer un jeu toujours maladroit, mais jamais assez mauvais pour nous donner envie de le désinstaller avant la fin.
Respectez-vous, préférez-lui Baten Kaitos, Nier, Chrono Trigger, FF Tactics (et les FF en général), les Dragon Quest, les Romancing SaGa, LiveAlive, Mother 3, la saga Yakuza, et bien d'autres encore.
Créée
le 2 avr. 2024
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