Autant prévenir tout suite le lecteur qui s'aventurera dans les lignes qui vont suivre : il m'est absolument impossible d'écrire une critique objective de Shadow of the Beast, mon passif avec la série est trop important. Et pour comprendre pourquoi ce jeu existe, il me parait nécessaire d'exposer ce passif.
Les moins de 30 ans ne l'ont pas connu, mais entre la fin des années 80 et le début des années 90, il existait un marché du jeu vidéo spécifique à l'Europe. Des jeux assez uniques, souvent bien plus maitrisés que leurs homologues américains, faits par des européens pour des européens, avec des équipes très réduites (2 ou 3 personnes) et pratiquement inconnus du reste du monde. Principalement présents sur les micro-ordinateurs 8 et 16 bits, Amiga et Atari ST en tête, la plupart des grands acteurs de cette époque (citons entre autres Ocean, Exxos, US Gold, Rainbow Arts, Core Design, ou encore Elite) n'existent plus ou ont profondément muté. Mais parmi ces studios et éditeurs, il y en avait un qui se détachait du lot : Psygnosis, studio britannique réputé pour l'excellence de ses productions, menait la danse. Sony ne s'y est pas trompé en le rachetant, quelques années plus tard, pour alimenter sa toute jeune playstation en vue du lancement européen.
Psygnosis a fait son premier coup d'éclat avec un jeu Amiga qui a mis tout le monde d'accord, au moins techniquement : Shadow of the Beast (SOTB), un jeu d'action brutal, incroyablement difficile mais qui commençait sur une prairie verdoyante avec un scrolling horizontal en parallaxe sur treize niveaux, une véritable prouesse technologique pour l'époque. Le reste du jeu était à l'amende, absolument magnifique, porté par une direction artistique inhabituellement poussée. Son gameplay médiocre, très exigeant et trop approximatif, n'était toutefois pas suffisamment exécrable pour effacer les souvenirs laissés par cet univers extraordinaire dans la mémoire de tous les gamins de mon âge. Bref, qu'on le veuille ou non, SOTB est une étape à l'empreinte esthétique indélébile, même si objectivement le jeu lui même n'était pas très bon. Les développeurs se sont bien rattrapés sur les deux suites, paradoxalement nettement moins connues alors qu'elles sont ludiquement bien meilleures que le jeu original.
Il est alors relativement aisé de comprendre ce qui a poussé Matt Birch, CEO et co-fondateur du studio Heavy Spectrum, à se décarcasser pour obtenir les droits et convaincre Sony de financer une version moderne de Shadow of the Beast. La promesse est alléchante : faire revivre cet univers fascinant, à mi-chemin entre Lovecraft et Giger, avec une technique actuelle et un gameplay recadré est clairement une bonne idée. Elle n'est toutefois pas sans risque : Altered Beast, Shinobi, ou encore Golden Axe ont tous tenté un retour, avec à l'issue un résultat était calamiteux. Mais il y a dans ce cas une différence de taille : ce remake n'est pas qu'une affaire d'argent, les gens de Heavy Spectrum sont des adorateurs fanatiques du SOTB original et ils sont déterminés à réussir. Ils sont à l'initiative du projet, y ont mis toutes leurs forces, et indépendamment de la qualité du résultat, ce bel effort mérite d'être salué.
Ne tournons pas autour du pot : en matière de remake de jeu légendaire des années 80/90, SOTB version 2016, même si il n'est pas exempts de défauts, est bien plus réussi que les titres sus-cités. Il conserve ses racines de Beat Them All brutal, mais en complexifiant le système de combat. Le jeu est clairement axé performance et scoring, mais a un peu le cul entre deux chaises : d'un coté, les combats sont féroces dès le début et il faut apprendre à maitriser et varier les combos pour s'en sortir honorablement. Le système présenté est vraiment, nerveux et réactif et c'est un véritable plaisir d'enchainer les combos et de se prendre des baffes pour progresser (point Dark Souls atteint, notez). Il est toutefois dommage qu'en mode normal les continues soient infinis, invalidant un peu le bénéfice de la progression ardue. Pas de problème, il suffit de passer en mode difficile (nommé "Beast" ici), me direz-vous. Non, car dans ce mode les continues sont purement et simplement éliminés, forçant le joueur à refaire le niveau depuis le début, loadings et cinématiques (non zappables) inclues. Et ça, c'est plus pénible que motivant. Dommage.
Mais l'aspect le plus marquant de Shadow of the Beast version 2016, c'est évidemment sa splendeur graphique. Sur ce point, ce reboot fait clairement honneur à son aïeul. Plus même, il ne manque pas une occasion de lui rendre hommage à travers son bestiaire, ses décors et les thèmes musicaux. La fidélité à l'oeuvre originale est totale sans être maladroite, poussant le vice jusqu'à reproduire in-game les illustrations cultes de Roger Dean. Idem pour les musiques, subtiles réorchestrations des thèmes originaux de David Whittaker. Du travail de fan, pour les fans.
Et c'est bien là la principale qualité et le plus gros défaut de SOTB : les fans seront ravis et passeront sous silence les quelques défauts de conception pour apprécier la réalisation superbe et les multiples références au jeu original, totalement sublimé dans ce remake. Mais les autres trouveront un beat them all intéressant mais pas toujours bien équilibré, pratiquement dénué de toute exploration (si vous attendez un "metroidvania", vous serez déçu) et doté d'une durée de vie un peu courte et d'une replay-value limitée si voir les différentes fins ne vous intéresse pas. Pour ma part, les fabuleux décors et la fluidité des combats ajoutée à l'inévitable nostalgie qui s'en dégage ont achevé de me convaincre. Si vous êtes dans le même cas que moi, vous pouvez sans crainte ajouter un ou deux points à la note.