Le bruit des sabots dans l’herbe grisonnante d’une plaine vide de toute vie, un cavalier avec le regard perdu mais déterminé, une lumière éthérée nostalgique et aveuglante. Et surtout, une impression de gigantisme absolue avec des montagnes cyclopéennes, des canyons tentaculaires et des structures titanesques en ruine… Le vent souffle, et sous la chaleur du Soleil, un colosse s’éveille.
Shadow of the Colossus nous met dans la peau de Wander, un jeune homme fougueux dont l’amie s’est fait tuer. Inconsolable, il décide de braver les interdits et pénètre une terre maudite où une entité divine lui promet sa résurrection, si seulement il arrive à tuer seize colosses. Le cavalier accepte sans hésiter et part sans une once d’hésitation sur sa monture, Argo, l’épée à la main abattre le premier d’entre eux.
Une fois la mystérieuse introduction passée, le joueur est enfin libre de se balader à loisir dans l’immense monde ouvert. Vide mais gigantesque, il s’en dégage une solitude étrange. Aucune musique ne vient accompagner le guerrier dans sa quête, seule l’excellente bande sonore : le galop du cheval, les aigles qui crient, le vent qui souffle. Pour se diriger dans celui-ci, il suffit d’appuyer sur rond pour qu’un rayon de lumière indique la direction du prochain colosse au joueur, les véritables stars du jeu.
Une fois dans leur demeure, ils se révèlent pour le plus grand plaisir du joueur. Qu’ils soient quadrupèdes, aériens ou nautiques, ils ont tous en commun un goût l’extrême grandeur, un corps entre la structure et la bête, et un regard à la fois effrayé et résigné. Car derrière chacune de leur carapace se cachent un peu de vie à laquelle ils s’attachent tous férocement. Mais cela Wander n’en a que faire, car lui n’a pour seul objectif que de les trucider jusqu’au dernier.
Pour se faire, il faudra analyser attentivement leur façon de se mouvoir, leurs attaques, déceler les failles dans leur défense, et lorsque tous les éléments sont réunis, se lancer dans l’escalade du monstre pour enfoncer votre cure-dent d’épée dans le point faible de votre adversaire, sous fond de musique tonitruante !
On peut enfin ici comprendre les choix de maniabilité, et notamment de la touche R1 : après avoir servi à établir le contact entre Yorda et Ico, le bouton servira cette fois-ci à s’accrocher au pelage des monstres, ainsi qu’au bout de structures qui en dépassent. Loin d’être anodin, cette touche renforce ici encore le sentiment de proximité avec les créatures et accentue le sentiment d’y être. Une fois juché à plusieurs mètres de hauteur, en plein dans les ébats des colosses, vous allez presser la touche avec plus de pression que jamais !
Mais ce qui fait ici la magie du combat, ici sacralisé puisque seule activité du jeu si on excepte la chasse au lézard et la cueillette de fruit, c’est la relation qui va lier Wander et les colosses. Bien qu’on les enchaîne, on ne peut s’empêcher de ressentir un mélange de respect et d’humilité devant ces monstres millénaires. Pire encore, pour peu qu’on ne les attaque pas, un grand nombre d’entre eux ne feront même pas attention à nous. Et au final, alors que l’on s’acharne à coups d’épée sur leurs Talons d’Achille, c’est la pitié et la honte qui nous étreignent quand des geysers de sang noir giclent et fusent sous les assauts répétés. Jamais un combat dans un jeu vidéo n’aura jamais autant ressemblé à une mise à mort, à une exécution funèbre.
Une fois achevé, Wander absorbera l’âme du colosse pour ne laisser derrière lui qu’une simple carcasse de pierre alors que dans le temple où son amante l’attend, une statue à l’effigie du colosse s’effondre… pour que le même schéma reprenne aussitôt. Et pourtant le jeu est loin de s’enfermer dans un rythme ennuyeux puisque chacun des monstres est une épreuve aussi intense émotionnellement, avec ses accents épiques et mélancoliques, qu’un bijou de level design, avec des stratégies à adopter, des choix à faire, des échecs à essuyer, tout ça pour une demoiselle à sauver.
Bien sûr on aurait pu pester contre le framerate à la rue, mais le sacrifice en vaut la chandelle, contre la caméra digne d’un mauvais Michael Bay, mais on finit toujours par se débrouiller pour que ça passe, ou encore contre quelques approximations de gameplay, mais qui en a encore quelque chose à faire ? Shadow of the Colossus est à la hauteur de sa réputation. C’est un jeu grandiose qui émerveille comme trop peu le font, dans un trip franchement unique. Chapeau bas, monsieur Ueda.