Ma madeleine de Proust

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La conférence Nintendo de juillet 2020 avait surpris plus d’une personne, dont moi la première, lorsque que Atlus se fendit de deux annonces : un nouveau Shin Megami Tensei (le dernier date de 2013) et une version HD remaster du troisième volet de la licence. Premier opus paru en Europe, il a été, pour de nombreux joueurs, l’épisode qui leur a permis de faire leurs premiers pas au sein de la saga. Sa difficulté en a refroidit plus d’un et empêché bon nombre de conclure l’histoire malgré les attraits inhérents au jeu. Encore toute jeune novice dans le jeu vidéo à l’époque, j’avais dû faire profil bas. Pour autant j’ai conservé de mes heures passées sur le jeu de très bons souvenirs. Cette nouvelle version était donc l’occasion pour moi, et tant d’autres, de renouer avec la nostalgie de mes débuts et de reprendre ma petite revanche pour conclure, une bonne fois pour toutes, le périple proposé par Shin Megami Tensei III : Nocturne.

Tout comme Nier : Replicant a proposé des différences entre sa version nippone et occidentale, il en est de même pour Shin Megami Tensei III : Nocturne. Edité en 2005 sous le titre de Shin Megami Tensei : Lucifer’s Call, celui-ci proposait en personnage invité non pas Raidou de Devil Summoner mais Dante de Devil May Cry. Tout comme Nier, la version remasterisée se base sur celle éditée au Japon. Pour autant, un DLC sera disponible à la sortie du jeu pour pouvoir vous confronter à Dante comme à l’époque.

La fin du monde est déjà advenue

Les conditions étant établies, il est temps de présenter les bases de l’intrigue. Dans la continuité des Shin Megami Tensei, licence connue pour proposer des opus à l’ambiance ésotérique, Shin Megami Tensei III : Nocturne vous fait littéralement vivre la fin du monde.

Nommée Conception, celle-ci se manifeste en poussant Tokyo à se replier sur elle-même. Au centre brille le Kagutsuchi, une lune étrange et dont l’influence aura son importance tout au long de l’intrigue. Venu avec des amis pour rendre visite à votre enseignante, vous vous retrouvez dans un hôpital désert et simple spectateur de la Conception.

Comme si un tel évènement n’était déjà pas assez traumatisant, un jeune garçon vous fait avaler un curieux insecte : le Magatama. Lorsque vous vous réveillez, vous constatez que vous avez perdu une bonne part de votre humanité. Devenu un Mi-Démon, vous vous confrontez à un Tokyo empli de créatures de légendes. Vous partez alors en quête de vos amis disparus ainsi que de votre enseignante qui joue un rôle central dans la Conception.

L’intrigue de Shin Megami Tensei III : Nocturne se veut volontairement nébuleuse. Chaque petit élément permettant de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la Conception nous est amené à travers les dialogues émaillant le jeu. Si Tokyo est ravagé, devenant un vaste désert où subsistent quelques quartiers, il demeure assez d’humains et de démons avec lesquels converser. Les règles du quotidien ne sont plus, complètement chamboulées par ce changement drastique. On fait face à des changements de comportements dont ceux de nos amis. Il est possible de rebâtir le monde en invoquant une nouvelle raison à Kagutsuchi, ce qui est l’occasion pour tout à chacun de construire son propre idéal.

Un idéal sur lequel, nous joueurs, avons un impact. Notre propre raison se forge selon les réponses données face aux questionnements des autres protagonistes. Embrassons-nous leur cause ? La loi du plus fort prime-t-elle sur tout autre ? Mieux vaut-il rester immobile pour que rien ne change ou se détacher du monde ? Shin Megami Tensei III : Nocturne aborde nombre de questionnements en nous confrontant à des personnages tentant de régir un monde où tout reste à décider. Il existe six fins pour l’opus, dépendant donc de votre alignement. Deux d’entre elles sont liées à des combats de boss optionnels à réaliser pour découvrir la vérité sur le garçon vous ayant inoculé le Magatama.

Une esthétique remaniée

Si on est loin d’un remaster aussi brillant que l’ont été certaines productions comme Demon’s Souls, Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster propose un sacré lissage d’un jeu qui accuse, tout de même, dix-huit ans d’existence. Non seulement l’ensemble de l’opus est beaucoup moins flou qu’à l’époque de la PS2, mais les textures, couleurs et même les jeux d’éclairage ont été remaniés.

Certes, cela n’efface nullement l’austérité du jeu. Les décors sont bien vides. Il est très courant d’ouvrir une pièce, à l’ameublement pauvre, ne contenant qu’un coffre ou un PNJ. Les donjons consistent en des successions de pièces avec des combats pouvant surgir à tout moment et quelques énigmes comme bouger des plateformes, activer des interrupteurs…

La sensation de décors vides se ressent surtout dans la carte du monde. On y déplace un pion représentant notre personnage. Les bâtiments où l’on peut entrer se repèrent grâce à un léger surlignement rouge. La structure même du “jeu à l’ancienne” demeure profondément ancrée, Atlus recherchant plus un confort visuel qu’à mettre son jeu au même niveau esthétique que les jeux actuels. Pour ma part, cela ne m’a pas gêné outre mesure. Peut-être le fait d’avoir connu le jeu à l’époque ou que la force du titre tient ailleurs que dans ses graphismes purs.

Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster a eu droit à un doublage complet que ce soit en anglais ou en japonais. Un ajout fort appréciable car je pense que si le jeu était resté, comme à l’époque, entièrement muet (hormis les quelques cris de douleurs des ennemis et alliés en combat) l’attrait aurait pu être réduit. J’ai opté pour le doublage nippon qui est d’excellente qualité. Tout y est : l’intonation, le timbre de voix correspondant au personnage… Et comme en 2005, l’opus profite d’un sous-titrage français complet d’excellente facture.

D’ailleurs, l’OST semble avoir subi lui aussi une petite mise à jour rendant le son plus net que sur la version PS2. Les compositions de Shoji Meguro demeurent toujours d’excellente facture, accompagnant ce monde post-apocalyptique de sons oniriques et mélancoliques.

Dommage tout de même que les cinématiques demeurent en 4:3. Le reste de l’écran est comblé par une version floutée et étirée de l’image centrale, ce qui donne l’impression d’être sur un émulateur.

Les démons sont nos amis

Comme dit plus haut, la force de Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster ne réside pas dans son esthétique. Elle tient surtout, en plus de l’intrigue, dans son système de jeu.

L’opus est un RPG vous amenant à traverser de multiples donjons mais pas seulement. En plus de votre personnage principal, vous pouvez vous constituer une équipe de démons pour vous seconder. Puisant dans toutes les références possibles (mythologie, folklore, histoire), ces créatures peuvent être recrutées de plusieurs manières. Après avoir évincé les autres adversaires, votre personnage peut discuter avec le démon visé ce qui entraîne, bien souvent, d’âpres négociations. Le démon pourra réclamer de l’argent, des objets, voire des points de vie. Certains démons de votre équipe peuvent aussi aider au recrutement que ce soit en menaçant, calmant les tensions ou même en séduisant. Tous les moyens sont bons !

Les négociations peuvent s’avérer fructueuses, comme ne déboucher sur rien. Certains démons ne se laisseront pas approcher si vous n’êtes pas assez fort ou sont trop orgueilleux pour ouvrir le dialogue. Parfois, ce seront eux qui tenteront d’eux-mêmes de venir discuter ! Il est impossible de préméditer sur la réussite ou non de vos actions. C’est au petit bonheur la chance. Au temps dire que l’on se sent satisfait lorsqu’après avoir vidé nos poches, le démon accepte enfin de nous rejoindre.

Les démons les plus puissants ne peuvent pas être recrutés. Il vous faudra les concevoir via le concept de fusion. En fusionnant deux démons à la Cathédrale des ombres, cela vous accordera un tout nouveau allié. Il vous est possible de voir le résultat avant validation et même de modifier certaines attaques pour le nouveau venu en choisissant parmi ceux de ses “parents”. Si la Lune est pleine, vous pourrez alors sacrifier un troisième démon pour que la progéniture soit encore plus puissante. Mais attention : cela peut aussi créer une entité totalement différente de ce que vous escomptiez.

Si vous pensez que dès que vous avez conçu de parfaits démons, vous allez conserver l’équipe tout du long : détrompez-vous. La cathédrale des ombres est une des pierres angulaires de l’épisode. Vous allez passer du temps à recruter des démons aussi bien comme nouveaux membres que comme matière à tester de nouvelles fusions. Votre équipe va souvent connaître des modifications ne serait-ce que pour vous confronter aux multiples boss du jeu et exploiter leurs points faibles quand ce ne sera pas pour vous protéger de leurs coups dévastateurs.

Si Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster a vu sa difficulté ajustée, reste que certains combats de boss peuvent se révéler retors sans une bonne préparation. Matador conserve sa réputation. Il vous faudra concevoir l’équipe idéale pour pouvoir le vaincre sans trop de dommages collatéraux.

Chaque démon possède ses propres faiblesses mais aussi des atouts comme annuler certaines attaques élémentaires, voire les absorber. Quel plaisir de voir une Valkyrie regagner des points de vie en recevant une attaque de type feu de la part de l’ennemi !

Le système des démons ne s’arrête pas là. En montant de niveau, non seulement vos coéquipiers apprennent de nouvelles attaques mais peuvent eux-mêmes décider de modifier une déjà existante. Surprise totale puisque le démon demande simplement votre accord mais ne précise nullement quelle compétence est concernée. A force de rester dans votre équipe, il peut aussi vous offrir des objets.

J’ai parlé fusion, recrutement mais un démon peut aussi évoluer (oui, comme les Pokémons). Lorsqu’une évolution est proche, le jeu vous notifie que le corps du démon connaît des changements. Cette évolution apporte aussi bien des changements physiques qu’au niveau des compétences et statistiques du démon. Vous vous en doutez : le bestiaire des démons est gigantesque et les possibilités de conception de votre équipe sont ahurissantes. Des pouvoirs phénoménaux réduits car vous ne pouvez pas avoir plus de huit démons en réserve (du moins au début) ce qui oblige à avoir recours à la fusion ne serait-ce que pour laisser la place à des démons plus forts. Heureusement la Cathédrale permet, contre de l’argent, d’invoquer des démons que vous avez possédés par le passé.

Quant à votre personnage, ses capacités et statistiques dépendent du Magatama qu’il a ingéré. Ces insectes peuvent être achetés en boutique mais aussi acquis contre des adversaires, comme les Maudits. Transformés en démons comme vous, ces êtres représentant des boss secondaires qu’il ne faut pas négliger. En montant de niveau, le Magatama vous offre de nouvelles capacités et booste vos statistiques. Chacun d’eux est orienté vers un élément particulier que ce soit l’attaque physique pure, la glace, le feu, etc.

Un système à l’ancienne

En RPG à l’ancienne, Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster propose un système au tour par tour. Loin d’être figé, ce dernier apporte quelques nuances. Chaque équipe possède un nombre de tours délimités par le nombre de membres de son équipe.

Mais des éléments extérieurs peuvent influencer le nombre de tours mis à disposition. Une attaque annulée ou ratée fait perdre un tour, alors que réussir un coup critique en fait gagner un. De même, passer son tour ne coûte qu’un demi-tour. Exploiter les faiblesses de l’ennemi ou absorber/annuler les attaques adverses sont des composantes à ne pas ignorer pour prendre de court vos adversaires.

Ingérer le bon Magatama est aussi primordial car certains annulent des éléments en particulier ou vous offrent des capacités qui peuvent s’avérer très utiles. N’oubliez pas de fouiller les boutiques pour dénicher de nouveaux Magatama ni d’aller voir la soigneuse pour réhabiliter entièrement vos démons et ressusciter ceux tombés au combat.

Si jamais vous avez besoin d’expérience pour améliorer votre équipe, le jeu permet de passer les combats en automatique. Il vous suffit d’appuyer sur triangle et votre équipe attaquera d’elle-même. Par contre elle n’utilisera que les attaques physiques et cette option est à utiliser si vous êtes certain que votre équipe puisse faire face sans accuser trop de dommages. L’option se désactive à tout moment via triangle.

Restant daté dans sa conception, Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster ne propose aucun tutoriel et vous lance dans l’action sans réelle préparation. N’hésitez donc pas à farfouiller les menus, et lire les conseils délivrés par les PNJ. Voire aidez-vous d’une soluce trouvée sur le net comme celle de RPG Soluce si vous êtes perdu dans les méandres de Tokyo.

Un platine qui requiert de l’investissement

Je ne vous oublie pas, les chasseurs de trophées. Le platine de Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster va requérir du temps et de l’investissement, vous demandant d’écumer le jeu à 100%. Une aubaine pour les complétionistes. Non seulement vous allez devoir trouver tous les Magatama, compléter entièrement le Compendium et obtenir toutes les fins pour ne citer que les plus grands objectifs de la liste de trophées.

Les fins peuvent être exécutées sur une même partie en effectuant des sauvegardes à des moments-clés et en menant les choix les plus judicieux. Quant au Compendium, il vous faudra aussi bien réaliser de nombreuses fusions que partir en quête de démons rares pour obtenir certains démons bien précis. Au nombre de vingt-cinq, les Magatama vont exiger que vous vous confrontiez à des boss cachés à la difficulté rehaussée.

Malgré que nombre de trophées peuvent être manqués, le jeu dispose d’une New Game + vous permettant de conserver l’avancée de votre personnage. Quant aux démons, ils seront tous enregistrés dans le Compendium ce qui vous permet de les ravoir en les achetant. Le traditionnel trophée exigeant que votre personnage ait ses statistiques à fond est toujours de mise et concerne aussi un démon. La possibilité de passer les combats en automatique (simplement en appuyant sur triangle) rendra les sessions de farm moins indigestes pour décrocher ces trophées.

Le reste des trophées se divise en actions que vous allez accomplir de vous-même durant votre avancée que ce soit d’utiliser une cinquantaine fois le réseau pour vous téléporter ou sauvegarder, compléter entièrement la carte d’un donjon, exploiter cent fois les faiblesses de l’ennemi, recruter une trentaine de démons en discutant… Il vous faudra aussi conclure le jeu en difficulté Normal et Difficile. Si vous avez accepté de pouvoir modifier la difficulté à tout moment, vous n’aurez qu’à sauvegarder avant le combat final pour passer en Difficile et décrocher les trophées en une seule session.

Un mini-jeu pourra se révéler retors à exécuter surtout sans aucune solution à côté. Dissimulé au sein du village des Mannequins, il se compose en vingt énigmes à réaliser en une seule fois. Avec une solution, il vous faudra moins d’une heure pour tout réussir. Néanmoins, j’aurais aimé pouvoir quitter le mini-jeu et reprendre ma progression plutôt que m’échiner sur vingt énigmes retorses en une seule session.

Un opus nostalgique, une porte ouverte aux nouveaux

Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster sera une parfaite madeleine de Proust pour ceux qui, comme moi, se sont essayés à la version de 2005. Les améliorations apportées que ce soit sur le plan visuel ou technique permettent d’apprécier le jeu, et ce même à l’heure actuelle. La construction à l’ancienne demeure prégnante avec cet univers majoritairement vide. Toutefois l’intrigue et tout le gameplay tournant autour du recrutement et de la fusion des démons arrivent à stimuler l’intérêt. On veut connaître la conséquence de notre alignement et découvrir de nouveaux démons.

Quant aux joueurs voulant s’y frotter pour la première fois, il faudra probablement passer la barrière de l’âge et se dire que Shin Megami Tensei III : Nocturne HD Remaster est un jeu sorti il y a dix-huit ans. Si la difficulté vous effraie, le DLC permettant d’accéder à une difficulté Facile pourra vous aider à sauter le pas. En plus des sauvegardes manuelles aux salles dédiées, l’opus remasterisé propose des sauvegardes rapides depuis le menu des options. Un bon moyen de sauvegarder si on doit quitter le jeu promptement ! Le prochain Shin Megami Tensei allant, entre autres, puiser dans le système des démons de Shin Megami Tensei III : Nocturne, c’est là aussi l’occasion de s’initier à la licence.