Sweet and Sick

Cette critique s’adresse principalement à ceux qui ont déjà une connaissance de la série Shin Megami Tensei, que ce soit de l’opus précédent (SMTIV) ou d’autres jeux de la branche principale. Pour les autres, je vous encourage à vous arrêter à la fin de mon introduction pour aller lire la très bonne critique d’Everred sur ce même site.

Je tiens tout de même à rassurer les néophytes et ceux qui n’ont pas eu la force de venir à bout de son grand frère : Il n’est absolument pas nécessaire d’avoir joué à Shin Megami Tensei IV pour profiter de son successeur.
Le pire qui pourrait survenir serait de passer à côté de certaines références scénaristiques mineures.
Le jeu possède même une encyclopédie interne sur les personnages, événements et lieux majeurs de l’univers qu’il est possible de consulter à tout moment au cas où vous seriez un peu confus ou simplement en proie à la curiosité.
Cet opus est certainement plus aisé que ses aînés et contrairement à ce qui est mis en avant sur l’écran de sélection, le mode de difficulté intermédiaire convient à ceux qui ne sont pas habitués à la série mais voient un minimum d’intérêt dans les combats alors que le mode difficile (War) est plus ou moins l’équivalent du mode de jeu normal de beaucoup de Shin Megami Tensei.
Je recommande donc Apocalypse comme point de départ idéal de la série et même à ceux qui ont pu abandonner Shin Megami Tensei IV à cause de son austérité ou de certains passages pouvant être évalués comme difficile.

A présent, penchons nous sur les entrailles de la bête.

L'aboutissement d'un gameplay

Le gameplay d’Apocalypse est grandement améliorée par rapport à son prédécesseur, on ressent que les développeurs ont pris en compte la grande majorité des critiques.
Un nombre incalculables de petits changements mènent à un jeu plus équilibré, plus riche et plus agréable et si il serait difficile de tous les citer ici, je vais essayer d'en détailler les principaux :
Le « Smirk » a été retravaillé et rééquilibré ! Il ne s’agit donc plus d’une mécanique de jeu complétement broken, pouvant déterminer la victoire d’un camp ou d’un autre sur un coup de chance. Désormais, il permet simplement d’obtenir un coup critique lors de sa prochaine attaque tout en protégeant des faiblesses. Un bon nombre de skills bénéficient d’effets secondaires sous Smirk. L’exemple le plus important vient des sorts d’Hama et Mudo qui traditionnellement sans faire aucun dégât avaient une chance de tuer instantanément les ennemis et qui font à présent des dégâts avec un effet de mort instantané uniquement activable en bénéficiant du Smirk.

L’utilité des partenaires en combat a été complétement revue dans Apocalypse et c’est tant mieux. Vous pouvez désormais sélectionner l’allié de votre choix en dehors des combats et consulter librement ses skills. Chaque partenaire à son domaine de prédilection : Par exemple, Asahi est spécialisée dans les sorts de soins, Navarre dans ceux d’amélioration.
Une fois dans l’arène, votre personnage de soutien utilise ses sorts en contexte de la situation (enfin !). Vous n’aurez donc plus à être traumatisé par un allié qui se décide à spammer un sort sur un ennemi immunisé. Une nouveauté associée aux partenaires est la jauge de support qui se remplit à chaque fois que votre partenaire agit. Une fois pleine, le prochain tour de votre ennemi est purement et simplement annulé pour laisser place à une attaque générale de l’ensemble de vos partenaires suivi d’un autre tour du joueur. Sur le papier, cela semble extrêmement fort mais dans les faits, la mécanique est plutôt équilibrée.

La fusion des demons et la liberté donnée par le transfert de skill de SMT IV menait à une situation où chaque démon était trop identique à un autre. Apocalypse apporte une réponse à ce problème en introduisant les affinités élémentaires. Désormais, chaque démon a des affinités propres avec les différents éléments dont la valeur oscille entre -8 et +8. Par exemple, un Jack Frost aura +4 en glace et -5 en feu, ce qui signifie que ses sorts de glace auront un côut en MP réduit et des dégâts augmentés alors que ses sorts de feu seront beaucoup plus faibles et gourmands en MP. La différence de dégâts et de MP entre un sort avec lequel l’utilisateur a une affinité de +0 et un autre de +8 est de l’ordre du double, ce qui n’est donc absolument pas négligeable.

Tout cela donne lieu a une expérience de jeu significativement plus aboutie que le jeu de base.
Apocalypse est le summum de ce que Shin Megami Tensei a pu connaitre en termes de gameplay et on peut sans mal recommander le jeu pour cet aspect et c’est tant mieux vu que le reste est quelque peu contestable.

This epic is sick

Apocalypse porte bien son nom d’un point de vue scénaristique. Il se veut plus grand, plus fort, plus épique que son grand frère et il nous le fait savoir avec la subtilité d’une frappe nucléaire. A l’instar d’un certain nombre de ses personnages, Apocalypse est en rébellion et il cherche à le montrer. Malheureusement, tout cela ne se fait pas sans dommages collatéraux.

Si Shin Megami Tensei IV avait une histoire devant être lue en filigrane, où plusieurs événements et dialogues devaient être mis en relation pour que l’on puisse saisir de manière satisfaisante l’entièreté de la trame et ses nuances, Apocalypse ne cherche pour sa part aucunement la finesse et cela se ressent non seulement dans la présentation de son scénario mais surtout de ses personnages. Il va falloir par exemple composer avec la mascotte comic-relief habituelle et l’amie d’enfance qui en pince pour le héros.

Jusqu’ici, la série principale était parvenue à ne pas trop se laisser influencer par la culture shonen ayant contaminée les mangas, séries animées et J-RPG cette dernière décennie. Nous avions échappés aux discours sur la puissance de l’amitié prononcés par des personnages adolescents caricaturaux dont le seul relief était celui du superflu.
C’est désormais terminé et SMT IV A essaye de faire un compromis entre la mentalité traditionnelle de la série et le mal dont il est atteint, tout cela laissera un petit goût d’amertume aux amateurs de longue date de la série. Il est difficile de voir une saga faire des concessions quand une part déterminante de son identité était justement de n’en faire aucune.
Il existe déjà une surabondance d’œuvres dans le media vidéoludique japonais jouant sur le thème d'une amitié permettant de venir à bout de tous les obstacles, répétant inlassablement un même schéma sans une once de perspicacité. Il est toujours aussi peu crédible de croire que le brandon du nakama-power à lui seul vous permettra à lui seul de franchir tous les obstacles et vaincre des Dieux, simplement en fonçant en ligne droite.
Le problème majeur de ces œuvres n’est pas tant l’idéalisation d’une valeur mais le fait qu’elles portent cette dernière en réponse ultime à toute logique, toute question philosophique, obstruant de ce fait toute possibilité d’une réflexion honnête et d’un développement intéressant.
C’est tristement le cas de SMTA, qui bien qu’esquissant quelques pistes alternatives ne leur accorde aucun sérieux.
Il faut malheureusement bien reconnaître que d'une point de vue marketing, il s’agit probablement d’une bonne initiative pour proposer la série à un public un peu plus large.
Les personnages ne sont pas plus mauvais que dans n’importe quel J-RPG récent (Persona 3/4 à tout hasard) donc si vous parvenez à apprécier ce genre de caractérisation, il y’a de fortes chances pour que vous n’aurez aucun problème avec celle d’Apocalypse et que vous en seriez même moins dépaysés qu’avec les opus précédents où les intervenants étaient en second plan par rapport au contexte, incarnant avant tout des positions éthiques.
Le jeu contient bien plusieurs routes mais il ne faut pas s’y tromper : Jamais un Shin Megami Tensei n’a autant mis en avant avec tant d’évidence qu’une seule d’entre elle menait à la True ending. Le portrait dressé des personnages représentatifs des « mauvaises » fins est si caricatural et peu flatteur qu’il en est même difficile de trouver des arguments cohérents en leur faveur. Les anges et les démons pour ne parler plus que d’eux ne sont plus de pâles coquilles vides d’eux même et font désormais penser à des personnages de cartoon.

Apocalypse ce n’est heureusement pas que cela, c’est aussi un épique décomplexé qui saura parler aux désirs refoulés de certains amateurs de la saga. Contrairement à SMT IV qui était tout en retenu, SMTA ose aller très loin, même plus loin que SMT II l'avait fait en son temps. Pour témoin, le slogan japonais éhonté du jeu : « This epic is not sweet ». Il est dommage que cet « épique » ne soit pas accompagné d’une trame un peu mieux enluminée et surtout d’une meilleure cohérence. Il m’a même semblé en fin de jeu que les scénaristes avaient abandonné tout lien scénaristique logique au profit d’un fan-service éhonté.

Ce Shin Megami Tensei IV Apocalypse est donc particulièrement difficile à évaluer pour n’importe quel amateur de la série, étant donné l’écart de qualité plus que significatif entre son gameplay brillant et sa narration navrante.
Cependant, je suis bien incapable de ne pas recommander un tel jeu et si vous savez faire preuve de tolérance envers les clichés scénaristiques, vous trouverez ici un des meilleurs J-RPG de la 3DS si ce n'est tout simplement le meilleur.