Chez Atlus : “ouais nous on va pas faire comme la concurrence et leur fantaisie pourrie, là, on va faire du RPG pour l’élite, du jeu DUR”
Toujours chez atlus : “Et comment on vend ça aux fragiles hors Japon ?”
Encore chez Atlus : “Bah t’as qu’à leur mettre un mode facile, deux trois ref racistes et enlever un tiers du jeu.”
Plus tard chez Atlus : “Chef je crois que les occidentaux gueulent…”
Enfin chez Atlus : “Ils font chier… on va leur filer le jeu d’origine. Mais laisse le mode facile. Sinon ils passeront jamais le premier donjon, ces abrutis.”
Si, si, je vous jure ça s’est passé comme ça. En tout cas c’est la réputation que le jeu se trimballe… méritée ou pas ? Et surtout… Persona 1 c’est vraiment bien ?
Si critique trop longue, vous avez les + et les - à la fin, comme d’habitude.
Psychanalyse version musclée
Alors que vous et votre bande de copains vous amusiez au jeu d’invocation des “persona” - oui c’est une activité de club courante au Japon - il commence à se produire des phénomènes un peu paranormaux en ville, incluant bâtiments qui disparaissent, issues de la ville bloquées et bestioles pas chonchonnes jusque dans les couloirs de l’hôpital où vous étiez allés visiter une camarade alitée (ben oui, après les invocations, c’est le quart d’heure social). Vu qu’il n’y a apparemment pas un seul adulte capable de s’extraire les doigts du profil bas, c’est donc votre groupe de lycéens qui va faire la lumière sur cette sordide affaire, avant que tout le monde disparaisse dans ce qui ressemble à une faille de la réalité.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Persona 1 n’a pas le temps de niaiser : côté scénar, il est peu bavard, plantant comme acquis les éléments surnaturels, dont personne ne semble beaucoup s’émouvoir. En tant que joueur, acceptons que les villes nippones contiennent des démons, des talents d’invocation, des commissariats se transformant en forêt et des sanctuaires ouvrant sur des dimensions parallèles. C’est comme ça. Si cela pourrait desservir le jeu, il enquille ces éléments avec fluidité et se dote d’une atmosphère très réussie, où le fantastique imprègne tous les éléments citadins et où la “normalité” n’existe pas vraiment. Les moyens de narrer sont pourtant modestes mais passent vraiment très bien, via des dialogues qui vont au but, quelques cinématiques qui savent rester sobres et des personnages qui acceptent comme nous l’idée que pas le choix, va falloir y aller. Très simple mais habile dans l’exécution. Les thèmes de fond sont également plutôt bien utilisés , entremêlant au fantastique des éléments de psychologie et de doutes fréquents à l’adolescence : jalousie, mal-être, perte de sens, doutes identitaires, questionnement sur l’intérêt de vivre… la clé étant que ce sont ces angoisses qui “nourrissent” cet univers, via les monstres, les transformations de la ville et les fameuses persona. Certes, le jeu peut paraître survoler un peu ces thèmes mais vu son âge, il les traite avec une certaine finesse, permettant notamment au joueur quelques variations selon les personnages recrutés dans son équipe, ouvrant la voie à d’autres dialogues. Très clairement l’immense point fort de cet opus.
Côté graphismes, plutôt qu’une 3D époque maudite des débuts de la PS1, le jeu opte pour de l’isométrique, que la PSP lisse pour essayer de diminuer l’effet “bouillie de pixel”. Ça a bien sûr beaucoup vieilli, mais toujours moins qu’une 3D classique. Disons que Persona 1 a évité le plus gros écueil visuel de la période mais est clairement plus agréable sur un écran de console portable. Seuls les donjons sont en 3D et restent suffisamment simples pour que ça ne pique pas trop les yeux. Disons raisonnablement. Les musiques sont excellentes, dans la lignée de celles de la série, un peu pop, un peu rock, véhiculant toujours quelque chose de vaguement mystérieux et inquiétant pour parfaire l’ambiance (bon il y a bien quelques choix étranges comme la musique de la pharmacie…).
En somme, artistiquement et narrativement, Persona 1 gère très bien ses limitations techniques et budgétaires en se dotant d’une identité qui suivra sur toute la série, posant des bases solides et très bien maniées.
Et heureusement… Parce que côté gameplay, ça pose déjà plus de problèmes.
Vas-y au flingue, coco !
Je vais me risquer à une comparaison : Persona 1 a un gameplay, un équilibrage et une structure plus proches d’un jeu de l’époque SNES que PS1/2. Quoi qu’on pense des final fantasy, ils ne se sont pas contentés d’élargir leur public : ils ont aussi dépoussiéré la façon de concevoir un J-RPG, en s’affranchissant d’éléments qui commençaient à être vieillots.
Et dans son désir de pas faire comme les copains, Persona 1 utilise encore pas mal de ces éléments, pas franchement pour son bien.
Résumons vite fait la structure du jeu : on alterne des phases - très brèves - de scénario et des traversées de donjon en vue à la première personne, donjon où l’on combat, jusqu’à arriver au boss, on ressort, scénario, donjon, repeat… L’essentiel du jeu se passe donc dans des labyrinthes (qui vous rappelleront les plus belles heures de l’économiseur d’écran de windows, pour les vieux qui savent…). Les combats se font en tour par tour sur un damier isométrique où il faudra positionner son équipe pour couvrir la zone la plus large possible, au moyen des fameuses personas du titre.
Au rang des éléments crispants, on retrouve la nécessité de grinder pendant des heures pour ne pas se faire atomiser par le boss de fin tant la courbe de difficultés n'en a rien à foutre, les mobs brises burnes infligeant masse d'altérations d'état qui nécessitent pas tant du skill que de la chance et enfin un système d'XP absurbe qui déséquilibrera les membres faibles de l'équipe, en faisant des boulets à traîner. Et bien entendu on peut compter sur des points de sauvegarde chiches et placés de façon à maximiser les risques de perdre des heures de jeu.
Ces éléments on les retrouve bien sûr dans plusieurs J-RPG de l’époque mais ils tendaient à être améliorés, revus, re-équilibrés, pas tant pour rendre les jeux “plus faciles” que moins chiants.
Parce que c’est pas que Persona 1 soit difficile… c’est qu’il n’est pas accessible.
Nani Tutorial ?
Le cœur du système de combat, c’est donc les persona, les fameuses invocations, qu’il faudra acquérir et faire évoluer via un système de négociations pas simple à aborder de prime abord… Une partie du jeu absolument essentielle, donc, que le jeu n’expliquera pas.
Enfin si. Synthétiquement. A condition de trouver relativement vite la pièce où se font les fusions de persona, pièce absolument pas sur la route du scénario mais perdue sur une carte où la navigation est fastidieuse et où l’on se fait agresser tous les deux pas. Je vous laisse le soin d’imaginer combien c’est plaisant (spoiler : ça ne l’est vraiment pas. du. tout.).
De même pour les stratégies de position de combat, d’élément, d’altérations d’état : calme plat côté jeu. La vérité, c’est qu’on a davantage la sensation de se battre contre les menus et la carte que contre des démons, dans Persona 1, à se demander pourquoi le jeu fait à ce point de la rétention. D’autant qu’il est franchement pas dans les RPG simples, vous vous en doutez. La durée de vie - pourtant conséquente puisqu’il y a littéralement deux jeux en un, avec deux missions distinctes- ne laisse clairement pas le loisir au joueur de saisir toutes les subtilités de la gestion des personas, pourtant assez riche. Vous avez un gros menu de tutorial des différentes notions du jeu, planqué au début de la partie et absolument pas exhaustif. Le tout dans un jeu qui fait clairement assez peu de cadeaux, bien entendu. Même avec un mode facile, disponible sur ce portage.
Quand j’entends des gens pleurer que les souls n’ont pas de mode facile, je me dis que quelques heures sur Persona leur ferait comprendre leur douleur : on peut bien te taper dessus moins fort, si tu n’as aucune idée de comment te défendre, ça ne changera rien. Et c’est clairement intentionnel de la part de Persona, aux vues de la politique du studio Atlus.
Alors on s’en sort, on cherche, on tâtonne, on apprend, on triche un peu - carrément - grâce à internet, on se mange des game over bien injustes à taper dans le vide parce qu’on a merdé sa fusion de persona ou ses placements en combat. On devrait donc ressentir une certaine satisfaction à s’en être sorti “sans aide”.
Mais en vrai…
On se fait un peu chier.
J’ai vite abandonné l’idée de jouer full vanilla, sinon je n’aurais clairement pas fini le jeu. Pas parce que c’est trop dur pour le pauvre fragile que je suis mais parce que c’est incroyablement chiant pour un joueur d’aujourd’hui.
Et clairement, ça aurait été dommage de passer à côté du jeu à cause de ça.
Proto-Génie
Qu’on soit clair : Persona 1 est riche d’idées, a une identité et une atmosphère franchement très réussies, propose une certaine complexité dans sa partie RPG et on peut comprendre comment il a séduit à l’époque : en prenant le contrepied de ce que faisait la concurrence, il s’est constitué un charme, une belle intensité, une aura de mystère et une certaine maturité dans les thèmes, qui auront sans doute parlé aux gens l’ayant découvert.
Mais aujourd’hui à jouer c’est… excessivement pas passionnant. On passe des heures à tourner dans des donjons, à se taper des combats parfois longs pour rien, à se paumer et à subir des choix de game design datés et poussifs. Et c’est parfaitement normal vu son âge. Mais même en étant tolérant, même en ayant l’habitude, en 2023, c’est pas franchement ce qu’on a envie de faire. La vérité, c’est que scénario et personnages nous poussent à tenir, parce qu’on aimerait comprendre quel esprit malade, quelle souffrance irrésolue a généré autant de remous mystiques en ville. Et si la réponse n’est pas hyper surprenante, elle est malgré tout passionnante.
Persona 1 est une ébauche, une intention géniale mais clairement pas aboutie de ce que la série va devenir. Je ne regrette pas l’expérience - et si vous avez aimé la série, c’est à tenter, ça donne une idée de la direction voulue. Il m’a notamment permis de regretter que cette ambiance flirtant un peu avec l’horreur se soit érodée au fil des jeux pour quasiment disparaître. Mais il appartient au passé et son manque d’accessibilité criant suinte dans les décisions de game design et dans les détails, ce qui rend le jeu… assez antipathique, en fait. Parce que navré mais pour “deviner” qu’une série de répliques à un instant T conditionnera la fin du jeu, très en amont de ladite fin, il ne faut ni être nippon, ni être une élite mais avoir lu le guide. Donc l’argument “pas pour le grand public”, hein…
Au final, pas étonnant qu’Atlus n’ait pas ressorti Persona 1 chez nous : le jeu est destiné à un public de niche, devenue vraiment minuscule avec les années qui passent. Si vous voulez vous lancer, je ne peux que vous conseiller de caler un guide dans votre navigateur web, sans aucune pitié. De toute façon le jeu n’en aura pas pour vous, ce qui est quelque part un peu meta avec son propos de fond sur la nature humaine.
Points forts
+Une ambiance clairement unique, très éloignée de ce que faisaient les J-RPG à l’époque
+La musique, incroyable (bon faut aimer la J-Pop/le J-Rock par contre)
+La variété de monstres, toujours très recherchés
+La petite touche flirtant avec l’horreur psychologique
+Les aspects psychologiques, distillés à travers les éléments du jeu
+La richesse du système de fusion et de combat
+Le scénario dans son ensemble
+La possibilité de faire de légères variations grâces aux recrutements de personnages
+La durée de vie : deux missions distinctes, qui sont quasiment deux jeux différents
Points faibles
-Game design poussif et lent
-Système de sauvegarde favorisant les heures de grind perdues
-Grind obligatoire et chiant
-Équilibrage pas généreux, game over trop facile contre des mobs (j’ose pas imaginer en difficile)
-Système d’XP complètement con et déséquilibré
-Anglais uniquement
-Tutorial caché et pas exhaustif
-Jeu pas accessible qui fait systématiquement de la rétention : on peut littéralement rater la vraie fin si on a pas de guide
-Donjons conçus par des sadiques, cauchemardesque si vous faites partie des gens qui ont du mal à voir dans l’espace
-La maniabilité sur l’isométrique, extrêmement chiante, au pad comme à la croix directionnelle