Quand Henry rencontre Sully
Quatrième opus de la série, et dernière itération connue issue de la Silent Team avant qu'elle ne cède à la sous-traitance, pour le meilleur et pour le pire, The Room tente d'amorcer un virage dans la série, en proposant un challenge différent et une histoire originale : cette fois, la ville silencieuse perdue dans sa colline brumeuse n'est plus au centre de l'intérêt et même, le récit n'y prend pas place, s'essayant à de nouvelles thématiques et à un étrange plus prononcé. Car après tout, c'est connu : une fois que l'on donne du sens à la monstruosité, on peut tenter de la faire entrer dans une logique, quand bien même retorse. Mais si cela nous est impossible ?
The Room nous place dans la peau d'Henry Townshend. Monsieur Henry a un problème pour le moins étrange : cela fait plusieurs jours qu'il est piégé dans son appartement. Pour cause : de lourdes chaînes en barrent l'entrée. Il a bien essayé de hurler et de faire tout le bruit possible pour qu'un de ses ravissants voisins finissent par appeler la police, rien n'y fait. Alors, entre deux séances où il sniffe de la colle dans ses toilettes, Henry se livre à sa petite manie. Photographe de profession, il ne l'est que pour joindre l'utile à l'agréable : notre héros est un peu voyeur. Effacé, il se trouve plutôt dans l'observation que dans l'action. Il ne s'implique pas, il survole la vie. L'œil collé au judas, il scrute les allés et venus dans le couloir, passe de longues heures à la fenêtre à observer son entourage. En particulier son entourage féminin, et si possible, Eileen, sa ravissante voisine de palier, dont il finira par observer directement la chambre à coucher, après avoir creusé un petit trou dans le mur mitoyen. Au demeurant, dans ce quotidien fait d'œillades et de contemplations, Henry est ramené à la réalité par un bruit surprenant, provenant de sa salle de bain : un trou y est apparu, bien large, de quoi y faire passer un être humain entier. S'y glissant, Henry arrive dans un univers nébuleux et cauchemardesque, dans lequel il assiste, impuissant, à la mise à mort de Cynthia, une femme qu'il avait vu par la fenêtre. Femme de caractère, plutôt impressionnante pour notre Henry qui arrive trop tard pour la sauver... mais arrive-t-il réellement trop tard ? L'a-t-il laissé mourir pour la punir de sa personnalité trop agressive ? Ou peut-être l'a-t-il tué lui-même ? Sortant de cet univers délirant, Henry se réveille dans son lit, comme si de rien n'était. Peut-être n'était-ce qu'un rêve où l'inconscient du photographe a travaillé à projeter ses désirs intérieurs...
Si le scénario va un moment dans cette direction dérangeante à plus d'un titre, en suscitant des questions toujours plus retors grâce aux personnages rencontrés (je pense au petit garçon qui ressemble étrangement à Henry et à ce type aux cheveux longs, plutôt « cool » malgré l'univers cauchemardesque) bien vite, l'histoire bifurque et abandonne là ce potentiel malsain qu'incarnait Henry pour ouvrir une nouvelle page de la storyline silenthillienne : tenter de faire cohabiter l'arc « pyschologique » à l'arc « de l'Ordre ». La psyché mise sous la loupe n'est point celle d'Henry, malgré les questions qu'éveille le récit dans ses premières heures, mais celle de Walter Sullivan, personnage ambigu, étrange mais émouvant, méchant dans toute sa splendeur. Que dire alors du scénario ? Le travail sur Walter est impeccable, les révélations et la profondeur de son histoire sont bien amenées, toujours intéressantes et jettent sur cet antagoniste aux dimensions de protagoniste un voile perturbant. Point de manichéisme ici, mais une quête de la mère, forgée dans le sang. Alors certes, cette plongée vertigineuse dans l'âme du tueur en série est intéressante, mais il est dommage qu'elle se fasse au dépend des interrogations qui étaient lancées sur Henry et qui, d'ailleurs, n'iront jamais au-delà de points d'interrogation. De fait, pour la plupart des joueurs, Henry apparaît comme un personnage creux alors qu'en réalité, c'est un personnage absent, prisme timide d'une histoire qui le confronte au charismatique Sullivan. Difficile de faire bonne figure, malgré le malaise perceptible lors de la première prise en main. Le scénario donne l'impression de ne pas avoir révélé toutes ses possibilités, peut-être faute de temps.
Mais le scénario n'est pas le seul à donner cette impression diffuse de manquer de finition : si le level design, au moins, n'ira pas bloqué inutilement le joueur et limite (au maximum, admettons-le) les allers-retours pour ouvrir telle porte avec telle clé, on remarque somme toute une certaine vacuité dans son élaboration. Nombreux sont les niveaux qui ont l'air de se résumer à des couloirs. Et que dire, alors, quand il s'agit de les refaire ? Le seul qui, à mon sens, méritait un retour étant celui des appartements, les autres relèvent plus de l'absence d'inspiration que de la réelle motivation... dommage.
Les monstres rencontrés sont tout autant la marque de cette absence de travail convainquant : la plupart sont tout simplement dispensables, et les fantômes seuls arrivent à tirer réellement leurs épingles du jeu, promettant des vrais moments de tension. Les fantômes qui, au passage, sont la réelle innovation du jeu et participent pleinement de l'histoire distillée au détour – morbide – des couloirs de ce Silent Hill. On peut saluer, toutefois, l'absence de Monsieur Pyramid Head, certifiée icône de Silent Hill par les fans. C'est là le symbole du travail effectué sur cet opus : une itération qui veut prendre le joueur à rebrousse-poil, mais ne paraît malheureusement pas suffisamment achevé pour y parvenir pleinement.
Au final, une demi-déception, au sens où l'histoire amorce un récit malsain, autant que ses ancêtres, mais ajoutant ici l'originalité de ne pas traîner le joueur à Silent Hill et de le positionner dans le regard d'un personnage portant ouvertement la marque du sordide : dans la peau d'Henry, on soutient son regard sur le monde fictionnel et nous sommes alors, dans cette effroyable mise en abîme, doublement voyeur. Voyeur comme l'est notre photographe sur son entourage, et voyeur en joueur qui espionne la destinée d'un personnage retiré de sa propre vie. L'idée était là, l'idée était saisissante, malheureusement, l'idée s'efface au profit d'une nouvelle page de l'histoire de Silent Hill, celle du messianique Walter Sullivan, icône terrifiante et subtile. Un perdu pour un bien, malgré qu'on ne peut jouer à ce Silent Hill sans se dire qu'en y travaillant un peu, il aurait été possible à coup sûr de concilier ces deux faces de cette même pièce pour en faire un jeu à la fois horrifiant et dérangeant.