Remontons le temps jusqu’au 15 décembre 1995, date à laquelle Konami sort une nouvelle licence sur la toute jeune Playstation: Gensō Suikoden. Le culte dont il fait l’objet de nos jours était probablement assez difficile à concevoir à une époque où le jeu de rôle (mais aussi le jeu-vidéo de manière générale) nouvelle génération emprunte deux directions différentes. D’une part, ceux qui exploitent pleinement les capacités de la PlayStation et notamment de la 3D (King’s Field, Crime Crackers); et les autres, plus traditionalistes et fidèles au modèle Super Famicom, qui se contentent de quelques jolis effets et évitent la prise de risque (Arc The Lad, Beyond the Beyond).
Suikoden, quant à lui, appartient à la seconde catégorie. Il est de ce fait tout juste acceptable en 95, et carrément désuet en 97, lorsqu’il se confronte avec Final Fantasy VII lors de sa sortie en Europe. Et pourtant, avec le recul, il faut bien avouer que ce qui était une tare à l’époque est aujourd’hui un grand avantage, car on se replongera volontiers dans l’aventure, là où relancer un jeu en 3D serait beaucoup plus laborieux. Mieux, je lui trouve un certain charme avec ses personnages tout en longueur et ses jolis effets de magies.


Dans Suikoden, vous incarnez Tir McDohl, fils du célèbre général impérial Teo McDohl, qu’une série de rebondissements conduisent à trahir l’Empire pour devenir le chef de la résistance et, donc, de se dresser contre son père. Si l’histoire peut sembler basique, elle présente un point de vue plus mature et philosophique qu’à l’accoutumée. Nous sommes ici face à une tragédie humaine qui sait s’écarter du sempiternel manichéisme habituel, en choisissant, par exemple, de recruter ou achever vos opposants. Certains alliés, et non des moindres, seront même susceptibles de perdre la vie par votre faute.
A ma connaissance, seul Tactics Ogre, paru la même année, était en mesure d’apporter un regard aussi adulte vis -à-vis de la guerre et de ses enjeux. Mais contrairement à celui-ci, nous ne trouvons pas face à une multitudes de textes interminables: les dialogues vont à l’essentiel, restent simples mais touchent au vif. Un choix judicieux qui va largement contribuer au rythme irréprochable du jeu qui, avec ses batailles extrêmement brèves et dynamiques, et sa durée de vie d’une vingtaine d’heure à peine, ne souffre d’aucun temps mort et sait rester passionnant de bout en bout.


Tout au long du jeu, vous aurez la possibilité de recruter jusqu'à 108 personnages, les fameuses Stars of Destiny, qui furent la grande spécificité de Suikoden lors de sa sortie. Chacun est unique et dispose de son propre objectif: ils peuvent être marchants, artisans ou guerriers…Etant donné le nombre, certains sauront plus vous toucher que d’autres et une partie d’entre eux n’auront qu’une fonction de support dans votre quartier général, même s’il est possible de les faire combattre. Avec 6 emplacements autorisés en combat ( en réalité 5 avec le personnage principal) faire un choix sera parfois difficile, et c’est à mon avis le défaut principal de ce système, car on ne sait qui choisir. La frustration pourra ainsi poser le bout de son nez, en particulier lorsque la trame vous impose à de multiples reprises d’amener avec vous certains personnages que vous n’avez jamais exploités et à la traine vis-à-vis du reste du groupe.
Qui dit membres temporaires dit aussi qu’il faudra les équiper en conséquence, puis leur ôter cet équipement. Or, le menu, est indiscutablement le plus gros défaut du jeu. Celui-ci se révèle d’un archaïsme absolu, au point de faire passer Dragon Quest pour un bijou de technologie (c’est dire !).


L’une de mes plus grosses déception vient, elle aussi, du nombre gargantuesque de protagonistes. En effet, pour obtenir la véritable fin, il est nécéssaire de monter un personnage bien précis afin de le préparer à une bataille en particulier. Seulement voilà, parmi 108 personnages, il y a une forte probabilité que vous ne l’aviez jamais intégré dans votre équipe, ce cas de figure étant impossible à deviner.
Fort heureusement, ne pas utiliser un personnage ne signifie pas qu’il soit inutile, loin de là, et nous en arrivons aux deux autres particularité qui ont permis au jeu de gagner ses lettres de noblesse. Comme je le disais plus haut, tout ce petit monde va vous permettre de développer votre quartier général, basé au sein d’un château que vous aurez conquis, et d’obtenir des services qui influeront directement sur le gameplay: boutiques centralisées avec les dernières nouveautés, téléportation et stockage d’objets comptent parmi les plus pratiques. On apprécie aussi de voir notre château évoluer, se développer, grandir, au fur et à mesure qu’il accueille de nouveaux membres. Seconde utilité, les combats dits « stratégiques ». Plus vous avez de recrues, plus vos rangs seront gonflés et efficaces lors des phases de wargame qui interviennent grosso-modo avant chaque fin de chapitre. Je place stratégique entre guillemets, car il ne s’agit en réalité que d’une pierre-feuille-ciseau qui ne présente aucune réflexion particulière, ou si peu.


Au final, mon opinion concernant Suikoden reste globalement la même 24 ans plus tard: c’est un incontournable de la machine et assurément un grand jeu. Néanmoins, si j’en gardais le souvenir d’une aventure irréprochable en tous points, je lui découvre à présent quelques défauts que ma mémoire avait sans doute éludés et me paraissent moins acceptables qu’autrefois.

-Wave-
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes , Les meilleures musiques de jeux vidéo, Parcours vidéoludique (2015) et J'y ai joué en 2019

Créée

le 20 nov. 2021

Critique lue 47 fois

2 j'aime

-Wave-

Écrit par

Critique lue 47 fois

2

D'autres avis sur Suikoden

Suikoden
GedeborH
10

Un compagnon

Même si son cadet le talonne de très près, dans mon cœur c'est lui le seul, l'unique, celui qui ne se fera jamais détrôner, l'oeuvre que l'on rencontre, qui marque au fer rouge à l'enfance, et qui...

le 3 juil. 2013

14 j'aime

Suikoden
Red13
6

Y jouer à l'époque m'aurait surement beaucoup plus convaincu

Je l'avoue, écrire la critique de Suikoden me pose un petit cas de conscience. Je me suis lancé dans cette aventure dans une optique un peu "patrimonial" du point de vue du jeu vidéo. Globalement...

le 8 avr. 2015

9 j'aime

13

Suikoden
Kobayashhi
8

Critique de Suikoden par Ludovic Stoecklin

Suikoden premier du nom, les prémices d'une grande saga devenue culte. J'ai adoré ce premier épisode, il a certes vieilli graphiquement, mais il a tellement de qualités à défendre, que c'est vraiment...

le 4 oct. 2011

9 j'aime

5

Du même critique

Fire Emblem Fates
-Wave-
10

Le sort fait les parents, le choix fait les amis

Celui qui a le choix a aussi le tourment Deux familles que tout oppose se livrent une guerre sans fin. D’un côté, le clan Hoshido représenté par Ryoma, un samourai respectant le code moral du...

le 31 oct. 2015

23 j'aime

10

Master of Reality
-Wave-
10

Critique de Master of Reality par -Wave-

Lorsqu'il est question d'aborder Black Sabbath, nombreuses sont les personnes à glorifier Paranoid. Ceux-là auront raison. Pour ma part, j'ai découvert le groupe britannique par l'intermédiaire de...

le 16 août 2012

18 j'aime