Mais où est-il donc, le temps de la chance unique ? Ce temps où on savait qu'une fois la cartouche créée, on n'y pourrait plus revenir ? C'était un one shot : ça passait, ou ça cassait. Il fallait que ce soit un bon jeu, un excellent jeu, la vie de la console en dépendait parfois.
Sur Super Ness, les jeux de Nintendo étaient tels des bonbons délicieux. Qui alors, sur le marché, avait ne serait-ce que ce sens de la finition ? Il fallait un développement réfléchi pour arriver au produit fini : Yoshi's Island fait partie de ceux-là.
En 1995, j'ai 6 ans. Ni mon frère, ni moi-même n'avons cette acuité qui nous permettrait plus tard de détecter les titres qui font la différence, marquent un parcours de joueur. Pourquoi choisissons-nous celui-ci ? Je l'ignore. Peut-être parce que nous avons adoré jouer à Super Mario World 1, et sans doute le Huba Huba sur la boîte n'y est-il pas pour rien. Il inspirera, durant de longues années, beaucoup de nos dessins.
À cette époque, même un jeu aussi innocent que Yoshi's Island était une affaire très sérieuse. Sous ses airs de rêve d'enfants, servis par un graphisme qui relève du pur géni, son gameplay pouvait se révéler aussi exigeant que jouissif. Tout était si soigné que jamais le joueur, depuis cette troublante histoire de cigogne jusqu'à ce magistral face à face final, ne pouvait avoir une seconde l'impression de s'être fait flouer. Absolument rien n'était laissé au hasard. De monde en monde, nous nous émerveillions devant des possibilités de gameplay renouvelées, des musiques entêtantes que nous fredonnions en jouant, ces dessins et ces couleurs que nous tentions de reproduire sur nos feuilles, ces bruitages si particuliers que nous n'oublirions jamais.
Aujourd'hui encore, si près de la trentaine, aucun autre jeu de plateforme pure ne l'a détrôné. Il y a certainement un biais de coeur qui pèse en sa faveur, et la voie de ma grand-mère qui nous engueulait d'avoir à nous appeler plusieurs fois pour descendre manger. Nous dévalions alors l'escalier en colimaçon, la tête pleine de stratégies pour finir ces niveaux, trouver la dernière fleur, les dernières pièces rouges, pour ne pas perdre de précieuses étoiles, pour comprendre à quoi servait les œufs jaune et rouge, et les marrons qui clignotaient bizarrement.
Aujourd'hui encore, je le trouve parfait. Son charme est sans égal, et aucun de ses prédécesseurs n'a su lui voler la vedette. C'était cette époque : aucun jeu ne pouvait être débogué, patché et modifié. Le développement se devait alors d'être à la hauteur des attentes de nos rêves d'enfants.
Mamie, cette critique est pour toi, tant elle est imprégnée de l'odeur de ton tablier, toi qui ne sais plus désormais que sourire...