System Shock est un dungeon crawler Cyberpunk développé par Looking Glass Studios sorti en 1994. Construit sur Ultima Underworld mais enlevant toute composante de jeu de rôle, System Shock se veut être une expérience de dungeon crawling pure et dure, sans fioritures et avec une liberté d'action quasi totale.
Éclipsé par son tout aussi bon petit frère System Shock 2, System Shock reste un jeu absolument hors du commun, très, très en avance sur son temps que ce soit sur le plan narratif dans un jeu à la première personne, sur le plan technologique, systémique et mécanique. Il s'agit tout bonnement de l'un des jeux vidéo les plus importants jamais sortis, dont l'héritage, partagé avec Ultima Underworld 1 et 2, se ressent encore aujourd'hui. Sans System Shock, il n'y aurait pas de jeux tels que Deus Ex, Arx Fatalis, BioShock ou plus récemment Dishonored ou le Prey d'Arkane Studios. L'absence quasi totale d'Histoire du jeu vidéo, contrairement au cinéma ou à la littérature, fait qu'un jeu comme System Shock est encore aujourd'hui bien trop méconnu car considéré à tort comme obsolète, trop vieux et désuet, le tout porté par un degré d'ignorance et de condescendance insupportable.
Nous sommes en 2072. Vous êtes un hackeur anonyme vivant à New Atlanta. Vous vous êtes introduit dans les serveurs sécurisés de la mégacorporation Tri-Optimum, mais celle-ci vous repère et envoie ses troupes d'élite vous intercepter. L'un des exécutifs de la mégacorporation, un certain Edward Diego, vous propose un marché : enlever les restrictions morales de l'intelligence artificielle de la station spatiale Citadel, SHODAN (Sentient Hyper-Optimized Data Access Network), en l'échange de la levée des accusations pesées contre vous ainsi que l'installation d'un implant neural de grade militaire. Vous acceptez, modifiez SHODAN et passez six mois dans un coma dans la baie médicale de Citadel le temps de l'installation de l'implant et de la période de convalescence. Vous vous réveillez dans une station déserte. Le jeu commence. Vous avez le choix, en début de partie, de configurer la partie à votre guise : rendre le combat plus difficile ou plus facile, augmenter ou baisser la difficulté du hacking ou encore imposer une limite de temps pour compléter le jeu.
L'interface utilisateur est extrêmement fournie et assez complexe, émulant à la perfection l'implant cybernétique neural que vous avez reçu. Vos niveaux de santé et d’énergie sont représentés en haut à droite tandis que votre rythme cardiaque est affiché à gauche. Votre position est indiquée en haut au centre et réagit en temps réel selon que vous êtes debout, accroupi ou penché. Il est possible de changer votre position via cette interface en cliquant sur votre avatar et en bougeant la souris. Vous pouvez accéder à votre inventaire, consulter la carte de la station, consulter des e-mails et audiologs archivés par le biais de votre interface neurale, et vous pouvez également accéder à de nouvelles fonctions que vous pourrez installer avec les modules nécessaires, telles qu'une vue dans votre dos, des boosters, un bouclier ou encore une lampe frontale. Il est également possible de customiser cette interface et de la masquer partiellement. Un petit détail vraiment extraordinaire est que votre interface se brouille et est violemment parasitée si vous subissez une explosion EMP.
Le mouvement, tout comme Ultima Underworld 1 et 2, se fait par le biais de la souris. Il y a deux modes, déplacement ainsi qu'inventaire/tir. Si vous jouez avec la version Enhanced Edition qui est sortie sur GOG et Steam ces dernières années, vous pouvez vous déplacer avec le clavier et avez également un mode freelook qui permet d'alterner entre les différents modes avec le clic droit. Vous pouvez donc sauter, vous accroupir, vous pencher et vous pencher en étant accroupi, tout ceci en 1994. Vous ne disposez au départ que d'un tuyau en plomb en guise d'arme, mais vous trouverez petit à petit d'autres armes. Les armes à distances se séparent en deux catégories : les armes kinétiques et énergétiques. Les armes kinétiques utilisent des munitions et doivent être rechargées manuellement, tandis que les armes énergétiques viennent puiser dans votre réserve d'énergie que vous devrez recharger. Il existe différents types de munitions kinétiques qui seront plus ou moins efficaces selon la cible. Les armes énergétiques quant à elle possèdent un modificateur de puissance ; la puissance de ces armes énergétiques peut être réglée pour tirer des coups peu puissants mais froids, ou progressivement plus puissants mais plus chauds, risquant de faire surchauffer votre arme et de vous empêcher de tirer jusqu'à ce qu'elle ne refroidisse. Vous avez également à votre disposition diverses grenades. La mort dans System Shock n'est pas pénalisante, du moment que vous avez trouvé une chambre de conversion Cyborg et l'avez reprogrammée.
Le jeu était assez impressionnant visuellement pour l'époque. Il s'agit d'un des premiers jeux à avoir implémenté une réelle lumière dynamique et non des modifications de luminosité par secteurs comme dans Doom 1 et 2. Chaque niveau de Citadel a sa propre ambiance, allant de la suite médicale bleutée et grise au niveau exécutif noir, orange et rouge, en passant par le réacteur noir et gris. Les formes géométriques sont simples et les surfaces sont planes, mais sont tout de même parfois penchées verticalement, chose qu'il n'était pas possible sur Doom par exemple. Il y a également quelques instances de pièces les unes sur les autres, d'échelles, de ponts, d'ascenseurs et de puits gravitationnels dont le sens d'attraction est modifiable. Les textures sont de bonne facture et transmettent très bien l'aspect science-fiction et Cyberpunk délabré. Les objets et ennemis sont des sprites bien animés et très stylisés, je pense notamment aux terrifiants Cortex Reavers. Certains objets comme les terminaux Cyberspace, les terminaux de sécurité ou les caméras de surveillance sont en 3D.
La narration du jeu se fait à base d'audiologs, ces fameux enregistrements utilisés partout après la sortie de System Shock, en particulier dans BioShock. Le voice-acting est de très bonne facture, notamment en ce qui concerne SHODAN, à la voix si caractéristique et aux modifications apportées à celle-ci. SHODAN est jouée par Terri Brosius qui reprendra son rôle pour System Shock 2. SHODAN est un personnage extrêmement bien écrit et absolument délectable. Le jeu utilise également beaucoup l'environnement pour raconter son histoire ; salles délabrées, mutées ou jonchées de cadavres, tout y est. Il n'y a qu'une poignée de cutscenes et pas d'exposition forcée dans System Shock. Le joueur est libre d'écouter ou non ce qu'on lui dit sans avoir à patienter des heures qu'une cutscene se termine.
En plus d'être une expérience de dungeon crawling excellente, System Shock propose aussi quelques puzzles que vous devrez réussir pour explorer Citadel et accomplir vos objectifs. Ces puzzles vont du basique recâblage au hacking, et celui-ci mérite un paragraphe entier. Le hacking dans System Shock se fait par le biais de terminaux d'accès au Cyberspace, et lorsque vous utilisez ceux-ci vous êtes transporté dans un environnement en wireframe coloré où vous pouvez bouger librement dans 6 directions (gauche, droite, haut, bas, avant et arrière), à la manière d'un Descent (qui, je vous le rappelle, est sorti en 1995). Vous avez un temps imparti pour déverrouiller la sécurité ou récupérer des upgrades avant que SHODAN ne détecte votre présence et ne vous éjecte, avec une pénalité sur votre santé en cas échéant. Le Cyberspace est également peuplé de programmes informatiques défensifs qui vous combattront après intrusion. Maîtriser le Cyberspace, à l'instar du Meatspace, est une tâche compliquée mais il s'agit véritablement d'un jeu dans le jeu avec ses propres règles et ses propres stratégies. Ce Cyberspace tout bonnement passionnant et complètement fou pour l'époque est uns des aspects de System Shock qui en font un jeu hors du commun et qui n'a pas été possible à répliquer pour sa suite, optant pour un mini-jeu très banal et franchement très décevant.
La musique du jeu est tout bonnement fantastique. Il s'agit d'une espèce de techno industrielle avec des percussions qui vrillent les oreilles et qui sont totalement en phase avec l'aspect et la mentalité très Cyberpunk du titre. Composée par Greg LoPiccolo et Tim Ries, cette bande son est un élément majeur du jeu, tout aussi important que l'aspect graphique et qui donne de façon cruciale le ton atmosphérique du jeu. System Shock a des passages d'horreur et de tension, mais la musique ne tombe jamais dans le piège de vous coller des nappes cinématiques pour vous faire peur, ce qui fait que ces moments arrivent sans que l'on s'y attende. La musique est également dynamique ; celle-ci change en fonction de ce qu'il se passe autour de vous. Il s'agit véritablement d'une bande-son culte, et la seule s'en rapprochant à mes yeux est celle de Crusader: No Remorse et No Regret. Celle de System Shock 2 est similaire mais tout de même assez différente (il s'agit plus de drum & bass et de techno classique sans l'aspect industriel).
Que dire d'autre à propos de System Shock ? Ce jeu avec son antagoniste mémorable et absolument diabolique, son gameplay complexe et très intelligent, son expérience de jeu formidable et sa narration unique pour l'époque est un des piliers du jeu vidéo sur PC, tout aussi important qu'Ultima Underworld, Doom, Quake ou Half-Life voire plus sur la dimension mécanique et systémique. Il est navrant de constater qu'un tel chef d'œuvre, qu'un tel accomplissement, qu'un tel classique ne soit pas reconnu à sa juste valeur au même titre qu'un grand classique du cinéma ou de la littérature. Le jeu vidéo est un art jeune et très immature, c'est pour cela qu'il se doit d'avoir une Histoire et des historiens, pour que des jeux comme System Shock ne soient pas oubliés et soient à la fois étudiés et... joués, bien entendu.
En complément de cette critique, je vous invite à lire cet article très intéressant de Felipe Pepe (en Anglais) à propos de l'Histoire du jeu vidéo et pourquoi le fait d'en avoir une est crucial.