Tetris Effect par JipéF

Il est difficile de définir Tetris Effect en quelques mots seulement car son géniteur est quelqu’un de singulier : Mizuguchi ne fait pas des jeux mais des expériences multi-sensorielles, visuelles, auditives et même tactiles. Si, rappelez-vous : la version PS2 de Rez était vendue avec un Trance Vibrator, et il est depuis allé beaucoup plus loin. Sa dernière tentative est d’appliquer ce principe à Tetris. C’est un choix logique : bien sur, Tetris, c'est carrément les fond baptismaux du genre, le Puzzle Game par excellence. Mais en l’occurence ce qui intéresse Mizuguchi ici, c’est plutôt son coté hypnotique et l’état de transe dans lequel il peut mettre les joueurs qui s’y adonnent. Et on y est : la finalité de Tetris Effect, c’est ça, un amplificateur de transe pour un Tetris finalement assez dépouillé. Et c’est finalement bien plus pertinent qu’une énième variation multijoueur avec des artifices de gameplays tout cassés.

Attention, il y a bien quelques petits ajouts ça et là. Par exemple, on peut temporairement stocker une pièce dont on ne veut pas dans l’immédiat, pour l’échanger par la suite contre la pièce courante. Une feature particulièrement astucieuse qui ouvre tout un panel de stratégies tout à fait intéressantes. Et puis il y a bien sur la « zone » : passé un certain stade, il est possible de geler la chute des pièces pour enchainer les combos et scorer un maximum. Avec un peu de skill et de chance, c’est assez jouissif.

Mais encore une fois, l’intérêt de ce Tetris Effect n’est pas là. Comme ses prédécesseurs, ce n’est pas seulement un jeu, c’est plutôt une fête pour les sens, un festival varié et coloré qui prend toute sa dimension en VR. Le jeu n’est qu’une partie de l’expérience, ce n’est qu’un composant d’un système global qui réagit aux actions du joueur et qui agit sur lui (le fameux « call and response »), qui est pensé pour le mener progressivement dans la zone, cet état de concentration intense où le reste du monde n’existe plus. Pour cela, il use et abuse d’effets visuels et sonores stupéfiants, de variations de vitesse de jeu, ou encore de vibrations. Vraiment étonnant, surtout en VR.

Mais, car il y a un mais, le succès d’une telle entreprise va grandement dépendre des affinités du joueur avec la direction artistique du titre. Si, par malheur, vous n’êtes pas sensible à l’electro, que la trance vous laisse de marbre, et que les effets pyrotechniques vous font mal aux yeux, alors tous les facteurs sont réunis pour que Tetris Effect se résume pour vous à un gros bordel multicolore incommodant. Sans être aussi extrême, c’est toutefois un peu ce qui m’est arrivé : j’ai bien apprécié l’expérience, mais sans jamais être totalement transporté, la faute principalement à une ligne éditoriale musicale trop générique et trop « feel good », tellement cheesy qu’elle en devient parfois un peu ridicule. Afin d’en être certain, j’ai relancé Rez histoire de voir si je n’étais pas devenu un vieux con. Et le verdict est sans appel : les pistes de Rez sont variées, agressives, rythmées, là où celles de Tetris Effect sonnent de manières plus uniforme et moins marquantes à mes oreilles. C’était déjà ce que je reprochais un peu à Child of Eden qui, sans être mauvais, était musicalement trop monotone à mon gout.

Mais ne boudons pas notre plaisir, Tetris Effect reste une belle démarche, bien trop rare dans le milieu frileux et formaté du jeu video. Une telle liberté de ton et d'expérimentation mérite d'être saluée, même si elle n'atteindra pas systématiquement son but. Et si vous êtes tenté, il ne faut surtout pas se fier aux screenshots ou aux let’s play qui ne pourront jamais rendre compte de la totalité de l’expérience. Vu de l’extérieur, Tetris Effect c’est juste « un Tetris avec des effets ». Mais de l’intérieur, c’est très certainement un voyage qui vaut la peine.