J’ai donc terminé The Last Guardian pour la deuxième fois consécutivement. Et il me fallait au moins ça pour réussir à mettre des mots sur cette expérience. Pour autant l’exercice reste encore bien périlleux et je ne suis pas bien certain de pouvoir retranscrire ce que ce jeu m’a offert à travers ces quelques lignes. Quand il y a autant à développer je me dis qu’il serait peut-être préférable de ne rien dire, histoire que le message ne soit pas contreproductif. Essayons tout de même, avec humilité, en se concentrant sur les émotions. Car c’est de ça qu’il est question dans le dernier jeu de Ueda-san.
"True perfection has to be imperfect"
Avant de poser les yeux sur ce texte j’imagine que la première chose que vous avez vue est la note. 10 sur 10. Une note qui laisserait penser que The Last Guardian est un jeu parfait. Alors que non, pas du tout. The Last Guardian est un jeu avec des défauts, dont certains sont difficilement compréhensibles et acceptables pour un jeu qui a requis 10 ans de développement. C’est un fait indéniable. Alors je ne vais pas tomber dans la lourdeur de les développer, d’autres moins touchés par l’oeuvre s’en sont assez bien chargés et pour résumé ils tournent tous autour du gameplay.
Sauf que le soft s’en affranchit. J’ai même envie de penser que la souffrance ressentie lors de certains passages fait partie de l’expérience et qu’elle est nécessaire pour mesurer à quel point The Last Guardian est plus qu’un jeu. Déjà il faut savoir décerner ce qu’est un chef d’œuvre. Et ce n’est pas nécessairement lié à la perfection. Alors il n’est pas question de tout pardonner et de fermer les yeux sur ces errements, sous prétexte que. Mais il faut comprendre que la frustration et le ras-le-bol de certaines phases servent les thématiques du jeu, ce qu’il raconte et ce qu’il cherche à nous communiquer. The Last Guardian nous sert une palette d’émotions d’une largeur que ce média n’avait jamais ne serait-ce qu’effleuré.
Oui, on a parfois envie de poser la manette et éteindre la console alors que la frustration s’empare de nous à l’instant où une action semblant la plus anodine possible devienne une galère des plus irritantes. Dans ces phases d’imprécisions The Last Guardian se montrent exigent avec le joueur. Pour mieux le récompenser. Car tout s’efface d’un coup au moment où Trico communique et interagit avec nous. La frustration s’évapore et laisse alors place à la plus gratifiante des récompenses. En quelques instants on reprend à s’émerveiller, on retrouve l’envie d’avancer, d’aller chercher la prochaine énigme pour revivre d’autres moments de complicité avec notre ami.
L'autre
Le pitch de ce jeu vous le connaissez : c’est l’histoire d’amitié entre un jeune enfant et un animal, Trico. Et c’est juste ça. C’est sur la base de ce pitch et à travers ce personnage non humain peu commun que The Last Guardian s’érige comme un rempart à l’entreprise de désincarnation et de désacralisation que représente notre société.
Trico est en premier lieu un tour de force technologique titanesque et un élément de gameplay magistral. Le travail autour de la bête est colossal. Son modèle physique, son animation, sa façon de se mouvoir, ses expressions, son intelligence artificielle (oui, oui), tout, absolument tout est porté à la perfection. Mais cette chimère qui inspire autant la curiosité que la crainte de prime abord est avant tout le vecteur de toutes les émotions. Au fil du jeu Trico devient notre compagnon d’infortune, notre animal de compagnie, notre meilleur ami qui compte sur nous et réciproquement pour surmonter les épreuves.
Et à travers cette relation, Ueda a su toucher avec une humilité déconcertante ce qu’il y a de plus humain chez son public. The Last Guardian est une sorte d’aboutissement de ce qu’il a entrepris avec Ico et Shadow of the Colossus. Il y expose sa vision de la vie de la manière la plus pure et la plus organique qui soit et permet à ce média qu’est le jeu vidéo d’explorer des contrées qu’il n’avait jamais su atteindre. Dans TLG il faut accepter l'autre, le comprendre et vivre en fonction de lui. Il faut assimiler ses différences pour avancer, accepter ce dont il n'est pas capable pour qu'il soit notre complément grâce à ses capacités. Un message d'une puissance inouïe.
J’ai retrouvé dans The Last Guardian des valeurs et des émotions que seul Hayao Miyazaki avait su nous transmettre à travers ces longs métrages. Ce qui est en soi une vraie révolution. Ma révolution.
Définitivement, après avoir fini deux fois ce chef d’œuvre, je peux le dire : il y a le jeu vidéo et sa multitude de genres, et il y a The Last Guardian.