L'analogie avec la série Mario est aisée, tant la démarche semble similaire au premier abord : A Link Between Worlds, c'est le jeu d'apparence un peu paresseuse, qui veut jouer sur la fibre nostalgique de ces joueurs devenus adultes, en reproposant un gameplay 2D d'une saga depuis longtemps passée à la 3D. Et il y a clairement de ça, mais pas seulement, heureusement.

Old school juqu'aux bouts des ongles, ALBW ne s’embarrasse par exemple pas d'un scénario très poussé, d'une narration, de personnages développés ou des fonctionnalités de la console, comme avaient pu l'essayer ses récents ancêtres. Non, ici, juste une quête épique dans un monde double avec des donjons à la pelle, une liberté impressionnante et un gameplay nerveux.

En ce sens, ce nouveau Zelda est une sorte de "remake" de A Link To The Past, puisqu'il reprend exactement la même world map, les mêmes emplacements pour les temples et la même structure de jeu, avec trois donjons dans le premier monde, avant de basculer dans les ténèbres.

Et en matière de bon remake, deux politiques cohabitent : soit on propose une version mise à jour graphiquement du jeu, et des ajustements de gameplay pour que celui-ci respecte les canons actuels, soit on propose une relecture du jeu, gardant le goût, mais changeant la recette. Et c'est cette optique qu'a choisi ALBW.

Mais pour que le joueur habitué puisse percevoir ces terres d'Hyrule sous un autre jour, Nintendo a eu l'idée de proposer un étonnant (et farfelu) pouvoir au jeune héros : celui de se transformer en hiéroglyphe pour se déplacer sur les murs. Et pouvoir changer la perception du monde, et les possibilités de déplacement de Link d'une manière aussi importante, ça chamboule pas mal de codes de la série, et ça permet un renouvellement bienvenu des énigmes, et donc des palais.

Parce que tel son illustre ancêtre, les deux principales qualités du soft sont évidemment le plaisir qu'on éprouve en parcourant cette carte, si dénuée de vie, et si grisante à explorer et également ses donjons, nombreux et soignés.

Certains ont même le potentiel pour entrer au panthéon des meilleurs donjons jamais crées dans la série (rien que ça), et ce grâce à un retour à l'ancienne formule (des donjons moins linéaires, plus labyrinthiques et plus tortueux tout simplement), mais aussi au fameux pouvoir de déplacement sur les murs, et aux capacités de la console. Parce que si A Link To The Past était le dernier Zelda 2D sur consoles de salon (si l'on exclue l'opus mineur que constitue Four Swords Adventure), c'était aussi lié à la puissance grandissante des consoles qui suivirent. Et avec la 3DS, ALBW propose un jeu en 2D vu de haut, mais avec les capacités d'une console bien plus puissante qu'une GBA ou SNES; Ce qui permet par exemple plus de verticalité dans les environnements et donjons, et davantage des plates-formes surélevées à un même étage (grâce à la perspective). On obtient ainsi des donjons géniaux, tels que celui de glace, qui se base entièrement sur ce concept, et en devient totalement renversant.

D'autres vont revenir aux anciens standards, avec des grandes salles centrales débouchant sur de multiples alcôves qui permettent d'avancer, et avec forcément un peu de tâtonnements et de tournage-en-rond à l'ancienne. Le level-design ne hurle plus forcément le chemin à emprunter au joueur, et ça fait plaisir.

Le jeu pousse encore le vice plus loin, en reniant avec la linéarité-même de l'aventure : on peut librement choisir l'ordre dans lequel on fera les donjons, et c'est une idée assez sympathique. Qui a toutefois son revers : puisque le joueur peut faire le temple X en premier, ou en dernier, il ne faut pas que sa difficulté soit trop élevée, sinon ce ne sera pas adapté à ses capacités à ce moment de l'aventure (pas assez d'énergie vitale, d'objets upgradés). Et du coup, si les deux-trois premiers donjons parcourus peuvent occasionner quelques difficultés, les autres peuvent se boucler sans que le joueur fasse vraiment attention à ne pas pendre de dommages, tant Link devient de plus en plus puissant... Entre les coeurs de vie qui s'accumulent (normal), les objets qu'on peut upgrader et qui deviennent plus puissants (sympathique), ceux qu'on obtient au sein des donjons qui augmentent la résistance de Link, et l'épée de celui-ci qui peut être reforgée, le brave Hylien devient vraiment trop fort. La difficulté n'est plus progressive.

Et c'est un problème, puisque plus on progresse, moins on ressent d'opposition, et que même si les donjons restent très bons, les boss ne sont clairement pas à la hauteur. Qu'a donc d'épique une quête bouclée sans difficulté ? Ne triomphe-t-on pas sans gloire quand on vainc sans péril ? Je n'ai, personnellement, jamais fini A Link To The Past, bloqué à cause du palais des squelettes et de son boss. Ça remonte à mon enfance, et mes souvenirs en sont peut-être altérés, mais j'ai du coup gardé en mémoire de nombreux moments du jeu, et même si je ne porte pas spécialement celui-ci dans mon cœur (une rancœur enfantine sans doute), ces images resteront sans doute à jamais gravées dans ma mémoire. Et je ne suis pas sûr que A Link Between Worlds marquera autant, et ce à cause de ce problème de difficulté. Le remake a beau proposer une relecture intéressante, des nouveaux concepts qui modifient la perception de l'univers et un level-design de folie, il ne pourra pas vraiment concurrencer "l'original" sur le terrain de la longue quête tortueuse et éprouvante. Il aurait peut-être été pourtant aussi simple de proposer le mode difficile d'entrée de jeu...

J'ai d'ailleurs été choqué par certaines traces de "casualisation" très nintendo-esques. Entre les points de sauvegarde qui nous demandent sans cesse si on a pas envie de faire une pause et d'arrêter de jouer et une forme nouvelle de super guide : lors d'une séquence dans les bois perdus, si le joueur se perd une fois, le chemin devient un peu plus évident, et à chaque nouvel échec le jeu simplifie la séquence jusqu'à devenir franchement enfantine. N'avais-je pas le droit de me tromper une fois, sans qu'on me prenne pour un novice ? Dans les New Super Mario Bros, Nintendo prenait le soin de demander au joueur avant de l'aider de manière éhontée, au moins...

Tout cela n'enlève quand même pas les qualités énormes du jeu, entre ses musiques remasterisées de grande qualité et ses sympathiques productions originales, son monde fourmillant de petits secrets, son monde des ténèbres toujours aussi malsain artistiquement et dans son chara-design ou encore ses mécaniques bien huilées : on tient un soft très solide, très bon au fond et qui avait le potentiel pour être LE meilleur Zelda 2D, mais qui pêche par sa difficulté ridicule, et peut-être aussi son certain manque de risques ? Ça reste à mes yeux le meilleur opus depuis The Wind Waker, ce qui est déjà un solide exploit, mais ce jeu aurait pu être si grand...
Floax
8

Créée

le 12 janv. 2014

Critique lue 1.8K fois

32 j'aime

7 commentaires

Floax

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

32
7

D'autres avis sur The Legend of Zelda: A Link Between Worlds

The Legend of Zelda: A Link Between Worlds
villou
6

Le retour de la revanche de la suite du remake

Je pense qu'il va y avoir des avis très divergeant sur cet opus. Une histoire de génération va s'infiltrer à coup sûr dans le débat. Il y a fort à parier que les plus jeunes y trouveront leur compte...

le 28 nov. 2013

20 j'aime

16

Du même critique

Racine carrée
Floax
5

Je ne suis pas spécialement porté sur ce genre de musique, mais en tant que Belge, il m'était difficile de passer à côté de cet album, érigé par mes compatriotes en fierté nationale. Et Stromae me...

le 29 août 2013

62 j'aime

5

La Vérité sur l'affaire Harry Quebert
Floax
3

La véritable vérité sur l'affaire Harry Quebert

Je risque d'être un peu dur avec ce roman, mais il faut me comprendre, j'en attendais beaucoup. 7.3 sur SensCritique, auréolé de nombreux prix littéraires que je pensais garants d'une certaine...

le 10 août 2013

56 j'aime

11

Grand Theft Auto V
Floax
9

Jeu Vidéo Total

Je dirais qu'il y a trois manières de noter un produit culturel : au feeling pur, partir d'une note parfaite et retrancher des points en fonction des défauts ou l'inverse. Et selon le point de vue,...

le 14 oct. 2013

55 j'aime

41