The Medium m’intriguait avec sa promesse de dualité des mondes et ses ambitions artistiques séduisantes. Heureusement, grâce au Game Pass, j’ai pu m’y plonger sans trop investir. Contrairement à cette critique, l’intro du jeu sait maintenir le suspense et capter notre curiosité. Le contexte est original, une Pologne grise, marquée par une histoire tragique, qui évoque avec justesse les tourments psychologiques et nostalgiques des grands romanciers d’Europe de l’Est. Ce monde élégant est sublimé par une bande-son étrange et envoûtante, signée notamment par le génial Yamaoka, emprunté à la saga Silent Hill pour une balade horrifique dans des hôtels délabrés. La musique, intégrant des sons diégétiques – cris, chuchotements, bruits organiques troublants – brise nos attentes mélodiques rassurantes, créant une ambiance atonale angoissante, ponctuée d'envolées mélodiques plus classiques, de véritables récompenses après de longs passages en enfer. Ainsi, la musique soutient brillamment l’ambiance narrative et ludique du jeu, bien qu’elle en expose aussi les limites.
En effet, elle nous rappelle sans cesse les mondes ténébreux de la série des Silent Hill, et si le début de l’aventure propose une lente montée vers l'horreur macabre digne de la série japonaise, le chemin ne nous mène malheureusement pas à la mythique ville de la Team Silent.
Après un parcours lent mais bien rythmé dans une forêt inquiétante, nous voilà dans un hôtel abandonné, aux accents brutalistes fascinants. L’intro exploite un gameplay minimaliste et une caméra imposée pour se concentrer sur l’atmosphère et le réalisme – une expérience cinématographique que les Game designers voulaient nous faire vivre à leur manière. Malheureusement, cette vision ne se complètera jamais. Le minimalisme de la réalisation et du gameplay cède rapidement la place à des énigmes dignes des meilleures campagnes d'Adibou.
Dans cet hôtel, on passe la majorité de son temps à chercher de petits éléments et autres radiophones, la tête dans le guidon, suivant le sempiternel radar de l’enquêteur des jeux modernes. Les interactions et animations, quant à elles, semblent tout droit sorties d’une autre époque. On aurait espéré un hommage plus abouti aux grands survival horrors de la fin des années 90/début 2000, ou au moins quelque chose de plus engageant que cette collecte insipide et assistée. Le gameplay ne décolle jamais, nous plongeant dans une lassitude qui annihile toute peur. Les puzzles, accablants de banalité, n'atteignent même pas la faible inventivité d’un Uncharted 4. Et pourtant, il s'agit de la meilleure partie du gameplay, car la suite de l’hôtel tente de nous effrayer, sans succès. Le jeu trébuche sur ses propres ambitions avec des phases d’infiltration consternantes, dans des arènes minuscules, face à une créature qui rappelle plus les Knaren de Rayman 3 que Pyramid Head. Ce monstre, bien qu’intriguant dans son design, sombre dans le ridicule à cause de ses répliques grotesques : « Je vais te manger ! », « Laisse-moi t'essayer ! », « Je vais prendre ta peau », qui évoquent davantage les tirades humoristiques des ennemis de Rayman que la terreur psychologique. Le doublage de Troy Baker, avec son surjeu excessif, n’aide pas à rendre la créature plus menaçante, évoquant davantage un acteur en quête d’Oscars qu’un véritable cauchemar. Après sa performance discutable dans Death Stranding, on pourrait se demander si Baker n’est finalement capable d’incarner qu’un seul rôle : celui de l’homme bourru et barbu.
Le choix de faire parler le monstre et de neutraliser toute possibilité d’effroi par un gameplay bancal se retrouve également dans l’écriture du jeu. L’atmosphère mystérieuse, laissant présager le pire de l’humanité, s’effondre sous des punchlines faciles et des pouvoirs surnaturels plus proches de Heroes que de Silent Hill. The Medium tente de traiter des thèmes chocs, comme la pédophilie, la dépression et le deuil, mais le fait avec une légèreté et une absence d’assurance artistique qui trahissent une profonde maladresse. Louable dans l’intention, le jeu échoue à offrir une expérience à la hauteur de ces sujets graves, s’adressant finalement à un public adolescent, comme en témoigne la caractérisation du personnage principal. Marianne, miroir tendu au joueur, reste superficielle, exprimant ses troubles par des plaintes adolescentes et des blagues fades, sans jamais explorer en profondeur les thèmes abordés. Elle dégage une fausse fragilité rebelle, digne des séries Netflix, un mélange entre les personnages de Life is Strange et ceux qu'incarnait Eliot Page, téléporté dans ce décor (réussi) pour mieux nous obstruer la vue.
Les personnages cachent pourtant le travail rigoureux d’artistes qui se sont engagés corps et âme dans ce projet, bien plus que les scénaristes. Les décors, faits d’amalgames de chairs architecturales et de décompositions structurales, rappellent les œuvres désespérées et grandioses de Zdzisław Beksiński. On aimerait presque quitter Marianne pour se perdre dans ces fresques infernales, même si la grossièreté générale du titre nous ramène à la réalité avec des pouvoirs inappropriés qui cassent le mystère, et des créatures grotesques, dépourvues de toute physicalité. Ce manque de présence se révèle désastreux lors des phases de course-poursuite, où la mort, au lieu de choquer et d’effrayer comme dans Dead Space ou The Last of Us, devient un simple écran de game over, sans impact, sans violence. Comme si la fragilité d’esprit de l’héroïne s’était transmise aux développeurs, refusant de confronter le joueur à une véritable horreur. Cette constante fragilité rend l’ensemble parfois insupportable, car elle empêche le jeu d’explorer en profondeur les sujets qu’il effleure.
Finalement, ce n’est pas le manque d’inspiration du game design ou la superficialité du scénario qui constitue le plus grand défaut de The Medium, mais bien l’échec de sa promesse principale. La dualité des mondes, au lieu d’enrichir l’expérience, devient un obstacle à la lisibilité. Les objets existent dans les deux mondes, mais leur importance se perd dans un va-et-vient confus. L’idée de passer de l’un à l’autre aurait pu être intéressante, mais le défi technique, véritable publicité mensongère du jeu, est trahi par un split-screen disgracieux. L’action devient illisible, les indices minuscules, et l’expérience hors-corps, censée remédier à cette confusion, se révèle frustrante à cause d’un timer oppressant. En cinématique, l’idée est encore plus ridiculisée par de mauvais choix de caméra et des animations douteuses. On ne sait plus où regarder, et chaque retour dans le monde réel devient une bouffée d’air frais. Les promesses d’une dualité des mondes laissaient entrevoir de belles idées de gameplay, mais il n’en est rien, car le jeu est désespérément linéaire et frustrant. Un Legacy of Kain, datant de 1999, propose plus de richesse et d’originalité dans chaque os que The Medium dans son ensemble. Le résultat est superficiel, juste assez tape-à-l’œil pour faire illusion dans des trailers trompeurs.
The Medium est un jeu plus triste que son histoire. On y perçoit les cris désespérés de quelques véritables artistes perdus dans le néant de sa direction ludique. Il vaut mieux en retenir quelques captures d’écran et écouter son OST, plutôt que de se laisser entraîner dans ses promesses ludo-narratives sacrifiées sur l’autel/l’hôtel de la lâcheté.