THE ORDER : 1886 ! Beaucoup de bruit sur ce jeu ces derniers temps. Dernière exclu de Sony sur PS4, ayant la lourde tâche de renouveler le catalogue de la machine et de montrer au monde que la console en a dans le pantalon, le titre de Ready at Dawn était attendu au tournant. Les nombreuses previews ne laissaient pas énormément de doute quand à la destinée qui attendait le titre. En première ligne, la durée de vie. Cinq heures, sept heures, trois heures de cinématique, beaucoup de rumeur ont arrosé le web et les tests n’ont fait que confirmer les craintes de chacun : oui, THE ORDER : 1886 est court. Mais cela ne peut pas vraiment être un défaut si le jeu est bon. Je préfère largement un jeu qui dure sept heures et qui m’en mette plein la vue sur l’histoire, la mise en scène et le rythme, plutôt qu’un jeu de 20 heures où je m’emmerde parce que je fais cent fois la même chose (que ce soient dans des jeux à monde ouvert – Ubisoft, si tu m’entends – ou même des jeux plus linéaires comme Alien Isolation, ). Beaucoup de jeux ont prouvé qu’un jeu court pouvait procurer suffisamment de plaisir pour être apprécié en tant que tel et même être refait à l’occasion, comme Kane and Lynch 2. La campagne solo du premier Modern Warfare est une vraie perle en terme de fun, de rythme et de variété des situations. Donc oui, si l’histoire, les idées, la richesse du jeu permettent d’avoir une campagne excellente, sept heures de jeu ne me dérangeront pas. Manque de bol, THE ORDER : 1886 n’a absolument aucune de ces qualités.

Je rappelle très vite le pitch du jeu : on est dans un Londres Victorien alternatif en – je vous le donne en mille – 1886, et vous dirigez Grayson Galahad, un chevalier chargé de faire régner l’ordre et de traquer les rebelles et les hybrides, créatures démoniaques se déguisant en humains (des sortes de loup-garous). Vous êtes accompagné de votre petite équipe : Lafayette, un français qui vous rappellera à chaque seconde qu’il est français, Ygraine, la femme du groupe bien décidée à ne pas laisser son statut de femme la faire passer pour une bonniche, et Perceval, le plus ancien et le mentor de Galahad. Ils vont devoir percer à jour une conspiration et combattre les rebelles qui foutent le boxon à Whitechapel. Tout ça dans une ambiance un peu steampunk où Jack l’Eventreur sera de la partie, et où Nikola Tesla jouera les Q en vous refilant les gadgets derniers cris. On passera très vite l’histoire qui est archi-classique: les ficelles sont aussi grosses que des cordes d’amarrage et si on a vu la majorité des blockbusters américains, on devinera à l’avance le destin de beaucoup de protagonistes. Le mentor, le traître, l’ami fidèle, les retournements de veste, tout y passe mais jamais dans la subtilité tant l’écriture est un déluge de clichés ambulants qui ferait passer un Call of Duty pour un drame shakespearien.

On est très loin de la finesse d’un Last of Us où chaque élément de la narration répondait à un autre et posait d’emblée une profondeur sur les personnages qui les rendait immédiatement attachants. Ici, on a absolument aucune empathie pour les personnages, et ça passe aussi par les dialogues, d’une pauvreté affligeante : sur la première moitié du jeu, on enchaîne les moments gênants avec des personnages qui parlent pour ne rien dire avec une maestria qui force le respect. La VF ne fait que renforcer ce sentiment, et ce n’est pas seulement la qualité du doublage qui fait pouffer de rire (le déjà très célèbre « Du calme, mec ! »). La qualité d’écriture est en cause, les dialogues n’apportent jamais rien. Les « captain obvious » sont légions lors des phases de tir, forçant votre partenaire à crier quelque chose que l’on avait déjà compris, merci bien. Les phases plus calmes sont tellement premier degré qu’on ne verra jamais ses partenaires autrement que comme des PNJs fantômes ou des cibles potentielles pour vos ennemis. Alors que les autres personnages ne bénéficieront une vraie écriture pour développer un tant soi peu un background solide. Un brin de conversation histoire de les rapprocher n’aurait pas été de refus. Je ne parlerai même pas de la fin du jeu, qui vous fait bien comprendre que ce n’est que le début d’une longue saga, mais qui laisse complètement le joueur sur le carreau en stoppant net toutes les intrigues avec le sentiment de n’avoir joué qu’à un vaste prologue.

Bon, la promesse de THE ORDER était aussi technique, celle de montrer aux joueurs la vraie nouvelle génération des consoles. Après un Killzone Shadow Fall toujours aussi éclatant, THE ORDER se pose là : c’est sublime. Ce Londres plongé dans la noirceur de cet univers steampunk possède un vrai cachet, une lumière splendide et un travail sur les textures et les matières assez incroyable. Les ambiances sont magnifiques, les panoramas proposés sont hallucinants, et passer du jeu aux cinématiques nous immerge complètement dans l’univers. Autant les modélisations sont classiques sans être incroyables, autant les jeux de lumières, le travail sur les atmosphères et tous les petits détails rendent le titre plaisant à regarder. Les FX comme les fumées ou les explosions sont tout aussi bluffants. Même si certains passages sont un peu trop sombres à mon goût et qu’au final la variété des décors pêche un peu, la petite claque visuelle est bien là, et je doute qu’on trouvera mieux jusqu’à un certain Uncharted 4. Question de goût, évidemment, mais le fanboyisme prend le dessus. Surtout, et c’est un point étonnamment oublié, qu’il n’y a, pour ainsi dire, aucun chargement. Lorsqu’on lance le jeu depuis l’écran titre, ça se lance en même pas cinq secondes et tout comme les jeux Naughty Dog récents, on n’aura plus aucun chargement dans la suite de l’aventure.

En fait, le souci sur THE ORDER, c’est que Ready at Dawn est bien conscient d’avoir crée un moteur incroyable, et veut nous en faire profiter. Que ce soient les longues phases de marche dans les niveaux où il est impossible de courir, les petits passages « d’enquête » (gros guillemets hein) ou les objets à observer, Ready at Dawn veut montrer qu’ils ont un moteur qui défonce, presque jusqu’à l’écœurement. Les cinématiques ne peuvent pas être zappées (question replay value, ça refroidit un peu) et les développeurs insistent sur les objets qu’on récupère pour bien profiter du boulot qui a été fait dessus. Même sur une pomme. Une POMME ! Le héros récupère une pomme qu’il lance sur un garde pour le distraire (chose qui arrivera une seule fois dans le titre), et le jeu vous force à regarder cette pomme dans votre main et à tourner autour pendant vingt secondes pour bien dire « Vous avez vu ? C’est une sacrée pomme, hein ? C’est pas la meilleure pomme de toute l’histoire du jeu vidéo ? Allez, dis-le ! ». J’exagère, mais pas tant que ça. C’est la grosse problématique du jeu : il tient à constamment vous montrer qu’il est beau. Sans vraiment balancer des explosions dans tous les sens ou multiplier les panoramas qui tuent la rétine (il n’y en a pas tant que ça), le fait de centrer le regard du joueur sur des objets dont on se fout un peu (un fusil, c’est un fusil, quoi) casse le rythme du jeu en forçant le joueur à poser les yeux sur le décor, et THE ORDER démontre ainsi sans cesse qu’il est une démonstration technique. Ce n’est que sur le dernier tiers du jeu qu’il se recentre enfin sur l’histoire et permet d’y accrocher un peu plus.

Et tout ça passe aussi par des erreurs évidentes de gameplay et des errements qui rendent le jeu très maladroit, à commencer par ces foutus QTE. Constamment, le jeu vous sollicitera pour n’importe quelle action, surtout dans les cinématiques. Ça peut aller du déclenchement d’un bête levier à des portes à ouvrir. Le jeu en contient énormément et ils nuisent complètement au rythme du jeu. Le prologue est assez représentatif de ceci : se déroulant en flash forward, le jeu veut mettre la pression au joueur en offrant des scènes intenses, mais casse systématiquement l’effet en ralentissant la scène pour le QTE ou en l’utilisant de manière stupide. Évidemment, on a les traditionnels QTE à faire pour déverrouiller des portes ou désactiver des systèmes, mais on commence à en avoir l’habitude. Il faut aussi ajouter les combats de « boss » qui seront tous identiques, et qui demanderont là aussi d’appuyer sur des touches bien précises pour pouvoir vaincre la bête. C’est vrai qu’au lieu de se creuser les méninges pour créer un vrai combat de boss en utilisant des patterns un peu sympas, c’est tout de suite plus impressionnant de créer un duel à QTE… Certaines séquences de gameplay sont tout simplement ratées, comme les moments où on doit affronter des « lycans » dans des endroits réduits, nous fonçant dessus avant de repartir se planquer. Navrant, et le jeu se permet de répéter la même chose trois fois, à l’identique. J’éviterai de m’étendre sur les phases d’infiltration, lamentables. L’IA aux fraises vous grille n’importe comment, et le jeu ne vous laisse même pas réagir, puisqu’une fois grillé, c’est la mort immédiate, alors que le héros avait l’armement pour s’en sortir. C’est d’ailleurs dans ces phases-là que je suis mort le plus de fois, puisque mis à part ces séquences foireuses, le reste du jeu est très très facile.

Quand aux scènes d’action, ce sont peut-être les seules séquences qui seront venues me tirer de l’ennui global, et encore. C’est assez surprenant, mais après avoir fini le jeu, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir beaucoup joué, d’avoir eu de vraies séquences d’action marquantes ou vraiment nombreuses. Sincèrement, elles doivent avoisiner la vingtaine, et la moitié d’entre elles tombent dans le syndrome « Horde ». Des vulgaires arènes où les ennemis arrivent par vague, voilà le challenge proposé par le jeu. Question stratégie et tactique, on peut raisonnablement parler de néant. On n’avait pas vu ce genre de situation depuis un moment (il y a une raison à ça). Le level design n’étant pas vraiment inspiré (des trucs pour se planquer ou à faire exploser), le jeu ne force jamais le joueur à changer de position, et on se contentera d’éliminer un par un chaque ennemi qui aura le malheur de sortir la tête de son abri. Pas de possibilité de contournement, même avec ses alliés, pas de pièges à poser, pas de vrais combats au corps à corps, pas de verticalité pour prendre les ennemis en hauteur, rien. C’est du bête Gears of War, et encore, ce dernier possédait déjà plus de variétés de situations que THE ORDER, qui fait rarement autre chose que ce qu’on a vu partout ailleurs (couverture en sniper, protection, … euh c’est tout en fait). Tout est déjà vu, re-vu, re-re-vu, et ce ne sont pas les railguns et les machins à termites inflammables qui viendront ajouter de la nouveauté dans un gameplay salement vieillot.

C’est très simple : j’ai eu l’impression que le développement du jeu a commencé il y a dix ans et que les développeurs ne sont pas sortis de leur bulle pendant toutes ces années. Tous les détails, tous les éléments de gameplay que les joueurs pointent du doigt depuis ces six dernières années sont présents dans le jeu. On a déjà dit qu’on en avait marre des QTE, THE ORDER en balance à foison. On bouffe du Gears-like depuis un moment et la mode se tourne vers le monde ouvert, THE ORDER fait dans le classique de chez classique. On a pointé du doigt le manque d’options pour désactiver des infos à l’écran pour gagner en immersion, THE ORDER fait clignoter ses objets comme un panneau de signalisation en pleine nuit et laisse les indications de tutorial durant TOUT le jeu sans qu’on puisse les désactiver. Ils ne se sont jamais remis en question, ils n’ont jamais pris du recul sur leur jeu pour se rendre compte que la structure était bancale et le rythme raté. Ils ont bossé pour créer une vitrine technologique sous couvert d’un TPS ressassé mille fois depuis. Même un Spec Ops The Line, qui tire son épingle du jeu avec un propos et une histoire efficace, réussit à surprendre le joueur par des situations de TPS plus originales malgré son image éculée. THE ORDER n’arrive jamais à surprendre le joueur autrement que par sa plastique. Une fois qu’on a compris que c’était beau, le vernis éclate et on se rend compte que tout ça est bien creux.

THE ORDER 1886 est beau, très beau même. Mais « le plus beau jeu du monde » n’est rien quand on ne parvient pas à raconter quelque chose et proposer un jeu, un vrai. L’expérience cinématographique est un bien beau défi, mais il faut savoir faire la différence entre faire du cinéma et faire du jeu. Impliquer le joueur dans une histoire n’est pas simplement lui faire appuyer une touche pour tirer un levier ou pour poser la main sur l’épaule de son partenaire, il s’agit de créer une expérience de jeu qui lui laisse le champ libre pour s’amuser. Dans THE ORDER, tout est cadré, contrôlé, et même cette fameuse expérience « cinématographique » n’est pas à la hauteur, la faute à une mise en scène paresseuse et sans inspiration, et une écriture à la subtilité inexistante. Reste une plastique, un graphisme admirable, dans des tons gris « next-gen », certes, mais qui montre que la PS4 en a sous le capot. Et Ready at Dawn nous fait d’ailleurs comprendre qu’ils ont tout misé dessus, au détriment de tous les autres pans du jeu. A croire que même les game designers et les scénaristes ont aussi bossé sur le moteur graphique. THE ORDER : 1886 n’est malheureusement qu’une coquille vide, un TPS banal avec des grosses erreurs de gameplay. On y trouve des éclairs de bon goût, quelques séquences d’action réussies qui nous rappellent ce magnifique gâchis, au sens littéral du terme, et qui prouve que le jeu aurait pu allier beauté de l’univers et richesse du gameplay, surtout qu’il avait tout pour réussir.

Messieurs de chez Sony, on a bien compris que la PS4 pouvait avoir de bons graphismes, maintenant, prouvez-nous qu’elle peut aussi avoir de bons jeux.

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