The Witcher 3: Wild Hunt a montré quelque chose d’important : il est possible de réaliser un grand jeu AAA sans le soutien d’un gros éditeur tout en respectant le joueur un tant soit peu passionné par leur travail. CD Projekt a toujours eu pour règle de ne jamais se moquer de ses joueurs. Ce sont eux qui sont à l’origine de GOG.com qui proposent des jeux sans DRM (sans limitations comme Steam) et qui ont offert bon nombre de petits bonus gratuits après la sortie de Witcher 3. Pour clôturer l’aventure en beauté, nos polonais préférés nous achèvent avec un DLC d’envergure, qui sent bon la lavande et la vinasse : Blood and Wine. Attention, ça spoile un peu.
CD Projekt avait déjà prévu le coup pour les plus aigris d’entre nous : la seconde extension, Blood and Wine, assurerait aux joueurs de découvrir une toute nouvelle région aux relents de Provence, celle de Toussaint. Embarqué dans un contrat de monstre a priori classique (une créature tueuse en série sévit dans la ville de Beauclair), la quête principale vous fera croiser la route de Régis, vampire de son état et ami de Geralt, ainsi qu’Anna Henrietta, la duchesse de ces lieux et la commanditaire de ce contrat (et aussi une nouvelle victime de ce bon vieux Jaskier). Si elle n’est pas aussi prenante et originale que celle de Hearts of Stone, excepté lors de ses dernières heures, l’histoire principale de Blood and Wine reste captivante de bout en bout, superbement écrite et habitée par des personnages soignés et crédibles. Un moindre mal pour un titre qui avait déjà prouvé que les auteurs avaient du talent. Alors que cette nouvelle région apparaît comme un cadre idyllique et jovial, où le vin coule à flot et où les chevaliers profitent de la notoriété de leur titre, le joueur va vite découvrir que les préceptes qui régissent cette communauté ne sont pas aussi solides qu’on pouvait l’espérer et vont même voler en éclat lorsque le passé resurgira. Plusieurs fins sont accessibles et on ne peut pas dire qu’elles soient toutes très heureuses. L’univers de The Witcher a toujours marqué les esprits par cette capacité à gérer la moralité de chacun dans des zones très grises. Blood and Wine va encore plus loin puisqu’il est encore plus compliqué de juger les actions de certains protagonistes tant ils sont régis par des justifications crédibles, morales et humaines.
Plus fort encore, c’est la capacité de CD Projekt à comprendre parfaitement l’univers de The Witcher. Si on le ressent particulièrement dans ce troisième épisode, la saga a toujours tranché avec les titres du même acabit en s’éloignant des registres vus et revus. The Witcher 3 n’est pas un jeu d’heroic fantasy parmi tant d’autres, mais un jeu sur les mythes et légendes. Un univers régi par des rumeurs légendaires, des batailles moyenâgeuses et des histoires de civilisations anciennes. La magie est définie par son sens le plus pur, à savoir le surnaturel et l’occulte, et non par de la magie de feu ou de foudre. Les créatures ne sont pas des elfes ou des monstres génériques, ce sont des espèces précises, des bêtes maudites ou sauvages ou des êtres nés d’expériences malheureuses, qui cachent souvent une réalité bien sordide. The Witcher 3, plus qu’un monde fantasmé, est un univers crédible qui contient tous les mythes et légendes de notre temps. La quête dans le jeu original « À travers le temps et l’espace« , qui voit Geralt propulsé avec Erredin dans plusieurs univers alternatifs, confirme cette théorie. Ce n’est pas simplement un monde de fantasy, mais bien un monde voisin du nôtre, comme si tout notre folklore et notre mythologie venait de là.
Blood and Wine suit cette logique, et arrive même à briser certains codes. L’un des embranchements de l’histoire vous propulsera dans un univers de contes bien connus où tout a dégénéré : Raiponce s’est pendue avec ses cheveux, lasse d’attendre son prince charmant. La petite fille aux allumettes, faute de ne rien vendre, s’est reconvertie dealeuse, et le grand méchant loup se bourre la gueule suite au décès du chaperon rouge et du chasseur. Un humour noir ravageur, qui montre l’envers de ces contes soi-disant féeriques et qui prouve que personne, même des personnages fictifs de contes, n’est à l’abri. Un des meilleurs moments de l’extension, qui rappellera sans aucun doute le comics Fables aux lecteurs aguerris. On notera aussi les liens avec la mythologie arthurienne, dont un Merlin qui ne dit pas son nom et une dame du lac qui nous rejoue la scène de Kaamelott, Excalibur à la main. Et quand bien même la chevalerie du coin sera mise à mal par un Geralt qui se délecte de rabaisser certains chevaliers un peu trop hautains, CD Projekt ne surligne pas les manières de ses habitants juste pour le plaisir de s’en moquer. Les auteurs utilisent cette façade pour montrer qu’en dehors des apparences, les habitants de Toussaint sont tout aussi blindés de défauts que n’importe qui, quel que soit le nombre de vertus que ces damoiseaux auront réussi à réunir. On s’attache tout de suite à ces personnages (jouez en VO pour profiter de magnifiques accents français), qui font d’ailleurs preuve de bien plus d’ouverture d’esprit que dans les autres régions (Geralt est enfin perçu comme un guerrier et non comme un monstre, c’est agréable).
Blood and Wine vous occupera facilement pendant une trentaine d’heures. La quête principale possède quelques twists bien sentis, et des fins radicalement différentes, surtout si vous faites le choix d’aller au fond des choses et de découvrir le fin mot de l’histoire. Les quêtes secondaires sont nombreuses, les références le sont tout autant, et on constatera que les polonais de CD Projekt sont des aficionados des Douze travaux d’Astérix, grâce à une mission secondaire qui rappellera des souvenirs aux vieux bambins que nous sommes. Les développeurs ont même eu la bonne idée de rajouter un nouveau bestiaire inédit pour compléter le programme, ainsi qu’une toute nouvelle faction pour le Gwynt et ses amateurs. Le jeu promet son lot d’ennemis revanchards et de boss un poil corsés, ce qui ravira ceux qui trouvaient le jeu original trop facile. Ajoutez à ça des quêtes secondaires nombreuses, un système de mutation supplémentaire qui garantit des effets ravageurs lors des combats et des contrats de monstres supplémentaires, et on peut dire sans nul doute que vous en aurez pour votre argent. Je ne parle même pas de la beauté de cette nouvelle région, des musiques fantastiques et des combats toujours aussi prenants et tactiques. CD Projekt a toujours mis un point d’honneur à respecter le joueur et lui faire confiance, et ce n’est pas maintenant qu’il en sera autrement.
Geralt de Riv, au milieu de tout ça, reste toujours autant spectateur qu’acteur. Pour son ultime épopée, CD Projekt offre à notre sorceleur préféré une aventure aussi superbe que le reste du jeu. C’est une lettre d’amour que les développeurs nous font, qui m’a rappelé l’extension Citadelle sur Mass Effect 3 et sa capacité à nous rappeler pourquoi on aime les grandes sagas et surtout ses personnages auxquels on s’attache. Blood and Wine rappelle tout ce qu’on a parcouru, en faisant intervenir quelques têtes connues, et profite des souvenirs du joueur pour imposer juste ce qu’il faut de pincement au cœur. Contrairement à beaucoup de jeux du genre, The Witcher 3 ne propose pas d’avatar à créer ou de choix moraux douteux (jamais on ne tue d’innocents). Geralt est Geralt, un homme aux plaisirs simples (oui, le vin et les femmes), un guerrier au sang froid implacable, un sorceleur à l’humour pince-sans-rire d’un charisme sans égal. Le titre ne forcera jamais le joueur à faire ce que Geralt ne ferait pas : il reste un personnage à part, que l’on a accompagné bien plus que dirigé. Le jeu se terminera autour d’un feu de camp, Geralt sirotant de l’extrait de mandragore avec son vieil ami Régis. Et quand celui-ci lui rétorquera que des hommes comme eux ont aussi droit à un repos mérité, le jeu ne laissera pas de choix au joueur. C’est Geralt qui répondra par l’affirmative, lancera un dernier regard vers nous suivi d’un fringuant sourire, comme pour nous dire : « C’était extra, mais j’irais bien pioncer un coup. » Repose-toi bien, Geralt, et peut-être à la prochaine.