« Soyez votre seul maître et juge car vous seul devrez répondre de vos actes »

Alors que la bêta du jeu de cartes Gwent, créé à partir des bases posées par le mini-jeu de The Witcher III, arrive à sa fin après plus d’un an d’existence, CD Projekt voir grand et propose une campagne solo rôliste de 30 heures avec pour cœur de jeu la nouvelle version du jeu de cartes adapté pour l’occasion. Disponible pour une trentaine d’euros à son lancement, l’ambition est grande pour ce qui était 3 ans plus tôt un simple mini-jeu sympathique et autant le dire d’emblée : la qualité CD Projekt est bien au rendez-vous du défi ! L’est-elle de façon incroyable ou plus simplement honorable, là il y a matière à débattre. Je vous propose l’écoute de Battle for Bridge pendant que je vous livre ma position sur la question.



GAMEPLAY / CONTENU : 7 / 10



Tout d’abord, si le jeu de Gwent a changé de règles tout au long de ses versions successives, c’est à la version la plus récente à la sortie du titre que le jeu s’illustre mais avec un rééquilibrage des cartes, nettement plus puissantes que dans le jeu multijoueur, propre à Thronebreaker. On constate également d’autres variations plus ou moins importantes comme une bien plus grande importance du chef de l’armée, ce qui n’est clairement pas pour me déplaire tant ils peuvent être insignifiants dans le multi, et un focus fait sur quelques stratégies bien distinctes mais peu nombreuses, ce qui m’est déjà plus regrettable.


Le jeu propose un deck building assez sommaire comparé au multijoueur et surtout n’invite pas tant que ça à changer de stratégie régulièrement. J’ai trouvé ma stratégie de base vers le quart de mon premier run et je n’en ai quasiment pas changé, je l’ai juste amélioré par petites touches au fur et à mesure. Il y a bien des modes de difficulté pour retrouver ce challenge ou non si on le souhaite mais ça reste un peu trop facile à mon goût. En difficulté maximale et au denier acte du jeu, supposément le plus difficile, j’arrivais à battre des adversaires (dont le boss final) avec plus de 1.000 points d’avance (en combinant les cartes se déplaçant sur les lignes et Gascon s’améliorant en conséquence + la copie du score par alchimiste et merlot lyrien), c’est un peu ridicule.


Par contre, là où le jeu a fait preuve de beaucoup de maîtrise, c’est dans ses casses-têtes qui sont des modes de jeu où nos cartes sont prédéfinies et où les règles peuvent y être très spécifiques. C’est là que se trouve le plus la réelle diversité des situations de jeu, le challenge exigeant... Et plus d’une fois, le jeu m’a grandement et agréablement surpris par la qualité d’exécution d’une idée originale qui ne sera jamais réutilisée par la suite mais propre à un casse-tête précis. C’est assez admirable de ce point de vue là, il n’y a que la courbe de difficulté en dents de scie de ces casses-têtes qui peut leur être reproché en cherchant bien, mais honnêtement c’est pas bien gênant puisque c’est facultatif.


La gestion des ressources et d’un camp est assez primaire mais sympathique et addictive. Il faut par exemple trouver un compromis entre débloquer de nouvelles cartes, améliorer les cartes existantes et accroître notre limite de recrutement afin de pouvoir construire son jeu le plus efficacement possible. Ça apporte un petit quelque-chose même si cet aspect gestion n’est vraiment pas très développé. On aurait pu imaginer bien plus de choses via ce camp que l’on peut développer de telle manière ou de telle autre selon la gestion de nos précieuses ressources, mais ce n’était pas le but des développeurs qui ont juste voulu en faire un petit bonus.


L’exploration sur la map est quant à elle vraiment peu fournie en possibilités mais est tout à fait fonctionnelle pour amener les différentes phases de gameplay. Il y a juste une petite faute d’ergonomie, c’est qu’il est impossible de marquer des événements marqués « ? » comme ne nous intéressant pas, et du coup ça reste sur la map comme si on ne l’avait pas encore fait, ce qui est un peu gênant à de très rares occasions, donc pas de soucis réel à ce niveau-là non plus. Il n’y a vraiment que le deck building trop peu développé à mon goût, par rapport aux multiples possibilités offertes par le jeu en multijoueur, que je regrette vraiment et qui m’empêche d’adorer réellement cette réitération ludique du Gwent.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 7 / 10



Thronebreaker n’est pas un nouveau The Witcher, il n’en a absolument pas l’ombre d’un dixième de son budget et il faut donc oublier les environnements ouverts tout en 3D, les cinématiques en images de synthèse ou avec le moteur du jeu... Thronebreaker est bien plus modeste que les The Witcher précédents en conservant les cinématiques façon comics, les arènes du Gwent... et en instaurant des phases de dialogue où les personnages sont assez figés, en nous faisant évoluer sur une map avec une vue de dessus légèrement inclinée sur laquelle on pourra observer quelques mouvements mais jamais une armée entière ou des monstres de 15 mètres de haut...


Le style graphique parvient tout de même à respecter une certaine cohérence visuelle entre le chara-design des cartes, sur la map et pendant les dialogues, de la même manière que pour les environnements dont on retrouve l’ambiance dans les arènes, au camp de base... Et le jeu réussira assez bien à varier ses environnement au cours de ces chapitres en faisant un contraste régulier entre des environnements assez reposant et majestueux avec des environnements beaucoup plus anxiogènes et glauques, mention spéciale au chapitre 4, mon chapitre préféré qui a vraiment réussi à me mettre mal à l’aise et à me faire ressentir les difficultés (peur, souffrance, désespoir...) vécues par les personnages, juste par son ambiance.


Et même si tout ça n’est qu’à petit budget, on a tout de même soin du détail a minima avec les petits mouvements en arrière-plan lors des dialogues, la physique qui a lieu lors de nos déplacements sur la map selon la surface sur laquelle on se déplace, les vignettes animées et un certain sens du découpage et du montage pour dynamiser le tout et offrir un semblant de mise en scène... Donc même s’il n’y a pas les moyens habituels de la saga, ça ne veut pas dire que c’est inférieur en qualité car les développeurs ont fait ce qu’ils ont pu avec ce qu’ils avaient pour que ça marche, même pour un jeu sorti en 2018, juste avant un AAA tel que Red Dead Redemption 2.


La grande force visuelle du titre à mon sens, c’est le design des cartes que l’on diviser entre celles qui existaient déjà et celles inédites, quasi-systématiquement du plus bel effet. On pourrait dire que c’est pas une si grande force que ça propre à ce jeu puisque ça reprend le travail qui avait été fait pour le multijoueur de Gwent au fur et à mesure de ses mises à jour, qui avaient même poussé les développeurs à sortir un artbook très joli composé exclusivement de ces designs. Néanmoins, ça reste de grande qualité et en plus il y a tout de même une certain nombre de designs inédits parfaitement réussis, notamment les différentes postures de Meve qui lui confèrent beaucoup de classe, ce n’est pas rien et c’est même ce que je trouve le plus réussi visuellement.


La composition musicale, signée par les mêmes compositeurs que pour pour The Witcher 2 et surtout Witcher 3 et ses extensions, n’est pas surprenante une seconde en restant très proche du style de leurs jeux précédents. Il y a même certaines reprises partielles de thèmes de ces jeux à des moments qui peuvent y faire écho, il n’y a qu’à voir la musique que je vous ai proposé au début de la critique. Mais ça donne une OST de plus d’une heure tout à fait efficace et dans le ton The Witcher bien comme il faut, c’est que j’attendais et c’est ce que j’ai eu, sans que ça ne reste dans les annales bien sûr mais ça fait le travail, à l’image de l’ensemble de la réalisation et de l’esthétisme d’un point d euve visuel comme sonore.



SCENARIO / NARRATION : 8 / 10



On incarne Meve, une protagoniste féminin belle et téméraire, reine de Riv et de Lyrie, qui lutte contre le Nilfgaard, les Scoia'taels, les monstres, les bandits... et plus ou moins tout ce qui se dresse sur son chemin. C’est un personnage assez fort issu des bouquins qui croisa brièvement la route de Geralt le temps d’une scène humoristique, que le jeu nous ressert du point de vue de Meve, un clin d’œil amusant. Ce n’est pas du tout une mauvaise idée tant le personnage était peu développé jusque là et permet d’avoir un point de vue supplémentaire sur ce moment-là de l’intrigue de la saga, sans que ça n’offre un degré de relecture incroyable, soyez prévenus.


Le point de départ de l’intrigue est très classique pour l’univers The Witcher, peut-être même un peu trop pour quelqu’un très familier de ces codes narratifs. C’est à la fin de l’acte 1, sur 5 actes donc assez tôt tout de même, que le jeu a commencé à me surprendre et finalement j’ai retrouvé ce sentiment à plusieurs reprises. On a des alliés qui se révéleront être de terribles traîtres, des ennemis d’abord diabolisés qui pourront devenir nos alliés par un concours de circonstances, des gestes en apparence héroïques finalement idiots, des choix cruels mais qui peuvent être interprétés comme étant un moindre mal... Ce sont toutes les grandes qualités habituelles qui ne sont pas si faciles que ça à répéter que l’on peut retrouver dans cette aventure qui ne s’est pas juste contenté d’un scénario prétexte.


La narration se fait essentiellement sous la forme d’un livre audio, avec un narrateur et des doubleurs et The Witcher n’aura jamais été aussi hybride à mon sens entre sa dimension littéraire et sa dimension ludique que dans ces phases, qui combinent l’importance du texte et du narrateur entre les phases de dialogue avec la possibilité de faire des choix et d’avoir un support visuel et audio en complément. Si ça peut déboussoler le joueur qui aura toujours vécu ses aventures The Witcher de façon ludique et donc grandiloquente, c’est assez bien fait et ça a très bien marché sur moi pour les scènes les plus épiques, anxiogènes ou dramatiques. C’est à mon sens la preuve que les scénaristes, habitués des dernières aventures de Geralt, ont très bien su composer avec leur moyens limités.


De plus, le jeu motive assez intelligemment à lire ses textes annexes qui peuvent renforcer une ambiance, apporter des informations supplémentaires, mais aussi de façon très pratique mettre en garde pour éviter de faire de « mauvais » choix. Par exemple, un texte va montrer que tel personnage est un menteur, et quand ce personnage plus loin nous fait une promesse, avoir lu le texte nous aide à prendre une décision en connaissance de cause. Alors bien sûr, entre les phases en livre audio et les textes à lire, Thronebreaker ne sert pas tout au joueur dans des cinématiques mises en scène comme il en a l’habitude, c’est tout à fait compréhensible mais il faut s’y attendre.


Enfin, nos choix ont un réel impact à de nombreuses reprises combiné à cette brillante idée de ne jamais pouvoir revenir en arrière dans notre sauvegarde. Si on se précipite et qu’on prend une décision à la légère, il faut en assumer les conséquences qui peuvent inclure la mort ou le départ définitif de personnages de notre équipe, donc de nos cartes à jouer qui pouvaient être le pivot de notre stratégie, puisque ce sont souvent les cartes les plus puissantes. De la même manière, notre relation avec les personnages pourra influer sur leur effets en tant que carte et le moral des troupes nous handicapera dans un sens ou dans un autre, pour une cohérence ludo-narrative très bien élaborée, surtout pour un jeu de cartes.



CONCLUSION : 7 / 10



Le jeu de cartes ne peut plus se contenter d’un tuto bâclé, d’un mode PVP basique et de quelques modes de jeu annexes, comme Gwent s’en est très longtemps contenté, Thronebreaker illustre comment il peut se mêler très efficacement à une campagne scénarisée des plus efficaces, même avec un petit budget. Alors après bien évidemment, ça a ses limites que j’ai évoqué ici et là : un deck building un peu trop en retrait, un challenge trop peu présent, un esthétisme peu surprenant par rapport à ses prédécesseurs rôlistes... mais The Witcher Tales Thronebreaker est une expérience tout à fait convaincante, aussi bien pour un joueur de cartes non familier de The Witcher, qu’un rôliste familier de The Witcher mais pas des jeux de cartes.

damon8671
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le 23 nov. 2018

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