Transistor
7.2
Transistor

Jeu de Supergiant Games (2014PC)

J'attendais énormément de Transistor.
Ayant passé des heures et des heures à saigner Bastion, à finir les challenges, à me repasser la musique en boucle au clair de lune ("I dig my hole you build a waaaall"), j'espérais que le jeu suivant soit à la hauteur. Que dire donc de Transistor ?

Tout d'abord, le jeu est sublime. Les décors sont soignés, l'animation de l'héroïne, Red (belle gosse btw), est absolument magnifique. La musique, parlons-en des heures durant autour d'un bon feu. Cette chanson incroyable, In Circles, hantera mes nuits pendant des mois. Les musiques d'ambiance sont toutes aussi magiques les unes que les autres. Sur ce point là, rien à dire, si ce n'est que j'en attendais pas moins de Darren Korb et que mes attentes atteignent à peu près les mêmes sommets vis-à-vis d'Austin Wintory pour Abzû.

Mais voilà, malgré la beauté du jeu, je reste profondément sur ma faim.

Sans vouloir trop comparer le jeu avec Bastion (même s'il y a tout de même beaucoup de similitudes), le jeu manque d'un certain équilibre, et ma principale critique portera sur la narration.
En effet, si Bastion nous plongeait dans un monde inconnu que l'on devait "reconstruire" petit bout par petit bout (et la découverte de l'univers du jeu se faisait donc très naturellement), Transistor nous plonge ici dans un monde en décomposition, qui semble être rongé par une force inconnue, appelée le "Process". Seulement voilà, le parti pris de la narration suit l'idée d'un univers déjà formé et évolué, déjà "acquis" en somme. Le joueur doit donc faire travailler tout seul son cerveau pour récupérer les petits bouts d'informations sur où il est et ce qu'il fait. En soit, ce choix n'est pas mauvais, mais comme dans toute histoire, si mystérieuse soit-elle, il reste nécessaire de donner du grain à moudre au lecteur/joueur. Ici, les informations tombent un peu trop au compte-goutte, et au final, beaucoup de questions relativement essentielles à la compréhension de l'univers du jeu flottent encore dans mon esprit curieux sans avoir de vraie réponse (d'où sort la Camerata ? pourquoi ont-ils volé la voix de Red ? pourquoi le Process ? Quel est le but du Transistor ? etc). Pour expliquer ce manque, en comparant avec Bastion, on peut sans doute poser le problème de la voix-off qui accompagne Red, qui, à la différence de Rucks qui avait un rôle de commentateur omniscient, semble ici ne pas en savoir beaucoup plus que Red elle-même, et ne nous guide finalement que pas à pas, sans beaucoup approfondir l'intrigue.

En somme, ce choix de narration a malheureusement une incidence trop importante sur l'intégralité du jeu, et réduit considérablement l'expérience du joueur.
Exemple : j'ai mis un temps fou à comprendre ce qu'étaient les Limiteurs, ou encore qu'on pouvait utiliser les fonction en tant que MàJ ou Passives. Ce n'est qu'après une étude approfondie de l'interface de gestion des fonctions que j'ai fini par comprendre les différents agencements possibles. Mais l'exemple le plus frappant concerne sans doute les "fichiers" attachés aux fonctions. Ce n'est qu'aux trois-quarts du jeu que j'ai fini par comprendre qu'en utilisant les fonctions de différentes manières, on débloquait des informations sur les personnages et l'histoire. C'est d'ailleurs en lisant par hasard des commentaires Youtube sur l'OST que j'ai découvert qu'on en apprenait plus sur Sybil par exemple (et je me suis fait d'ailleurs copieusement spoiler, mais qu'importe). Je me suis donc retrouvée, à approximativement 20mn de la fin du jeu, avec des fiches totalement incomplètes, pas vraiment les moyens d'en savoir plus faute de place et de temps.

Et c'est donc là que Transistor atteint sa première limite : un joueur peu précautionneux peut passer totalement à côté de 70% de l'intrigue parce que l'interface manque de clarté, et parce qu'il faut avoir la curiosité de regarder au delà des actions basiques du jeu (sélectionner et organiser ses fonctions / se battre). Dans un jeu comme Assassin's Creed par exemple, où l'on est constamment guidé dans l'intrigue (un peu trop même), nul besoin de lire les centaines de fiches historiques pour capter le plot et pour apprécier le jeu à 100%. Sachez donc que ce n'est pas le cas dans Transistor. Et si l'idée est tout aussi bonne et permettrait d'apprécier d'autant plus le jeu, le manque de clarté évident des interfaces ne permet pas de comprendre rapidement ce point pourtant essentiel à la compréhension et l'appréciation de l'intrigue. C'est extrêmement dommage, et je suis définitivement frustrée, MAIS je sais au moins que lors de ma seconde session de jeu, je ferai définitivement plus attention à ça, et mon expérience en sera sans doute ravivée.

La durée du jeu extrêmement courte participe aussi à la frustration, et même si la fin (pourtant surprenante) est joliment racontée, émotions and shit, j'ai été moins touchée, moins frappé par le final que dans Bastion. Peut-être que mon implication émotionnelle s'est trouvée amoindrie par les points soulevés précédemment... Peut-être aussi ai-je trouvé que l'ascenseur émotionnel montait trop lentement, et que la narration était trop incomplète et balbutiante pour me prendre vraiment à la gorge. Ceci dit, et je compte cela comme une bonne chose, je ne suis pas en colère contre le jeu, comme j'ai pu l'être envers d'autres jeux à la narration baclée à la proche limite du foutage de gueule (dois-je vraiment citer les derniers AC, Far Cry et j'en passe ?). Je suis un peu déçue, un peu vexée de ne pas avoir réalisé plus tôt l'importance de certains aspects du jeu, mais je suis d'autant plus remotivée à l'idée d'un deuxième tour dans l'univers de Transistor. J'espère sans doute que le jeu me réservera encore quelques surprises.

Une dernière petite mention concernant les challenges, que j'ai trouvé un peu lassants à la longue (tout ça pour des chansons ? Vraiment ? :/ ), et sur l'aspect RPG (XP et niveaux) qui de toute manière me rebute dans n'importe quel jeu. Enfin, je tire mon chapeau à la fonction Turn() qui a totalement révolutionné mon expérience d'action-RPG et qui est à mon goût une manière extrêmement intelligente de renouveler et faire évoluer un style de combat surexploité.

Je suis à peu près certaine que quelques unes de mes objections s'apaiseront une fois que j'aurai rejoué au jeu une seconde fois (probablement pas une troisième, malheureusement). Mais malgré la perspective de rejouer au jeu en ayant cette fois-ci conscience de mes erreurs et des choses que j'ai pu manquer, j'ai le sentiment que rien ne pourra effacer ma première expérience de jeu. Le jeu m'a certes totalement émerveillée, mais j'en suis sortie déçue, un peu choquée par la rapidité du final. Et c'est fort dommage de sortir totalement frustrée d'un jeu qui a pourtant une intrigue intéressante, des graphismes superbes, un gameplay nouveau et maniable et une musique qui déchire.

J'espère du moins que toi, cher lecteur qui se tâte encore à investir X euros dans une expérience de jeu que je qualifie tout de même de mémorable, est maintenant parfaitement averti des risques et des erreurs à ne pas commettre, et appréciera Transistor à sa juste valeur. Ca vaut tout de même le coup.
Bex
6
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le 16 juin 2014

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Bex

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