Transistor
7.2
Transistor

Jeu de Supergiant Games (2014PC)

« We are paper boats floating on a stream »

Après le joli succès critique et commercial de Bastion pour lequel j’ai été particulièrement sensible, Supergiant Games poursuit son travail pour mon plus grand bonheur quelques années après avec un tout nouveau titre : Transistor. Ne voulant pas s’apparenter à une suite spirituelle de Bastion, c’est dans un tout autre type d’univers, plus cyberpunk, et avec une dimension tactique inédite que Transistor se présente, mais la barre étant placée si haut que le défi de renouveler ce succès étant bien grand. Je vous propose l’écoute du superbement relaxant In Circles pendant la lecture de cette critique.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆



Bien que l’angle de caméra très proche de celui de Bastion laisse à penser a priori que le gameplay ne s’en éloignera peut-être pas tant,abandonnant le dynamisme des affrontements de Bastion et s’éloignant ainsi de leur zone de confort, les développeurs ont opté cette fois-ci pour une dimension tactique très importante. Tous les affrontements se déroulent en temps réel mais on peut enclencher une pause active à tout moment pour lancer une série de mouvements et d’attaques sans que l’ennemi ne puisse réagir, jusqu’à une certaine limite et nous laissant vulnérable, seulement maître de nos mouvements sans possibilités d’attaque, quelques secondes après l’usage d’une telle capacité, proportionnellement au coût d’usage des capacités lancées.


Nous alternons donc entre des moments de toute puissance et de grande vulnérabilité pour lesquels il nous faudra trouver le juste équilibre, un parti pris que je trouve très intéressant de prime abord mais qui va bien au-delà. L’extrême ingéniosité du gameplay selon moi est que chaque capacité peut être une capacité active, un renfort pour une autre capacité active ou une capacité passive permanente, ce qui offre une diversité phénoménale de builds possibles pour jouer de bien des manières différentes. L’aspect RPG du titre va également dans ce sens en forçant à choisir si on veut pouvoir déployer plus de capacités de façon général ou si l’on veut se spécialiser dans tel ou tel type de capacités.


La proposition est originale, la progression riche en possibilités, mais en plus le jeu saura enseigner et exploiter ces possibilités. Comme pour Bastion, des défis annexes dévoileront le potentiel de ses builds et forcera à jouer de bien des manières différentes pour comprendre tout ce qu’il est possible de faire. Ainsi, la combinaison à laquelle le défi annexe vient de nous contraindre et qui nous as bien plu alors qu’on n’y aurait pas pensé peut souvent être expérimenté dans l’aventure principale immédiatement après, l’ordre de déblocage des capacités d’un autre défi va nous habituer à constamment déconstruire et reconstruire un build...


Ce système est aussi alimenté par le système de sanction en cas d’échec, rendant indisponible une capacité pendant quelques temps, forçant à revoir ses méthodes pour surmonter ses échecs. Même le scénario se prêtera à l’exercice en s’enrichissant en fonction de notre usage varié de ces capacités, ce qui est très bien vu pour nous motiver à toujours essayer de nouvelles façons de jouer même si au final les apports scénaristiques ne sont pas si significatifs, mais on aura l’occasion d’y revenir un peu plus tard. Enfin, la possibilité de s’ajouter des facteurs de difficulté supplémentaire contre plus d’expérience pourra totalement invalider un build et encourager une fois de plus à profiter pleinement de cette diversité.


Certains reprocheront des situations de jeu répétitives, mais pour moi quand tu réussis si bien ton système de jeu qui est lui-même très varié, il n’est pas utile de se diversifier en séquences de jeu et je n’y vois aucun défaut dans cette succession d’arènes que certains peuvent décrier, simplement peut-être le manque de boss. J’ai aussi lu qu’on pouvait lui reprocher un petit manque d’ergonomie dans ses menus, je ne l’ai pas trop ressenti personnellement même si on pouvait sans doute faire un peu mieux. Le plus gros reproche que je lui ferais c’est que tout comme Bastion, on voit le bout de cette aventure peut-être un peu trop vite et c’est dans la rejouabilité, les facteurs de difficulté supplémentaire et dans les défis annexes que le contenu se révélera plus généreux. C’est un défaut qui là encore témoigne de la réussite du jeu à me donner envie de m’y plonger le plus longtemps possible. Et je n’ai pas encore abordé la partie la plus réussie du jeu selon moi.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆



Autant le dire tout de suite, je suis extrêmement fan des graphismes de ce jeu, je l’avais déjà été à l’époque de Bastion mais nous sommes peut-être encore un cran au-dessus ici. Sur le strict plan technique, Transistor est doté d’un rendu isométrique parfaitement net, dépourvu de défauts apparents. L’effet de flou à l’arrière-plan, ressortant beaucoup dans Bastion me paraît ici beaucoup plus ténu. Ce n’est peut-être pas le rendu le plus spectaculaire qui soit, mais ça permet à ce studio encore jeune et sans des moyens démesurés de parfaitement faire leur travail visuel sans devoir composer avec des compromis techniques plus ou moins gênants.


C’est une démarche que j’aimerais voir plus souvent de la part des indés et petits studios qui vont parfois se lancer dans des projets techniques dont l’ambition dépasse leurs moyens là où en se contentant de ce type de réalisation, ils peuvent briller de mille feux et de distinguer efficacement des autres productions. Mais en l’occurrence, ce n’est même pas là que Transistor me plaît le plus puisque cette qualité technique on la retrouvait déjà sur Bastion. Non, ici ce qui me plaît le plus et ce sur quoi j’ai envie de mettre l’accent, c’est bien entendu cette fameuse direction artistique.


Le cyberpunk est mis magnifiquement à l’honneur par le biais d’une interface aux allures très digitales à travers la planification, aux couleurs néons fusant dans tous les sens à travers les décors, aux aspects naturels en réalité artificiels avec cette météo commandée aux terminaux… Reprenant l’utilisation fréquente des artworks pour flatter le chara-design des personnages, c’est absolument magnifique et chaque artwork du jeu m’a imposé la capture d’écran, ce que je fais pourtant très peu en général. Les ennemis robotiques et les effets visuels électriques s’inscrivent parfaitement dans cet esthétisme global.


Alors certes, il faudra attendre la toute fin de l’aventure pour que la mise en scène en temps réel devienne un peu plus audacieuse avec des changements de gravité, une utilisation approfondis de différents plans… et là pour le coup on n’est peut-être un cran en-dessous de Bastion qui faisait très fort avec ses niveaux qui semblaient se construire devant nous pierre après pierre, mais c’est bien le seul petit reproche que je pourrais adresser au visuel de Transistor. Et si le plan visuel du jeu est quasiment irréprochable, que dire du plan sonore et notamment musical ?


Darren Korb et Ashley Barret avaient déjà réalisé un travail remarquable avec l’OST de Bastion, reconnu par tous comme l’un des plus beaux travaux musicaux de l’histoire du jeu vidéo, et je pense malgré tout préférer cette OST-ci qui réussit superbement ses thèmes chantés envoûtants et hypnotiques, avec à nouveau un thème final somptueux et une utilisation pertinente pour le scénario et la narration. C’est tellement réussi que le jeu propose de lui-même un juke-box à parcourir alors qu’on peut se poser pour simplement profiter de la musique et de la DA juste pour le plaisir. La possibilité de fredonner quand on le veut en jeu pour accompagner ces sublimes musiques est la plus rouge des cerises sur le plus appétissant des gâteaux. Je n’ai pas tant envie d’en parler que de vous inviter à en écouter davantage. Mais si jusque-là les éloges affluent autant que sur Bastion, il est temps de voir ce qui m’a laissé un tout petit peu sur ma faim.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆



Comme pour Bastion, l’introduction très énigmatique mais aussi captivante est à l’image du récit. Assez difficile à comprendre et avare en dialogue, ce récit se vivra essentiellement par son ambiance mélancolique à souhait. Celui qui voudra en savoir davantage devra nécessairement lire les textes à débloquer, écouter les paroles des chansons et interpréter tout ça pour en savoir plus sur cet univers typique du cyberpunk où les technologies ont transformé les modes de vie et où une sorte de super IA devient incontrôlable. Mais même avec beaucoup de recherches, l’univers restera très cryptique et ce n’est pas sur cela que le récit trouve son intérêt.


Beaucoup d’éléments centraux de l’intrigue ne trouvent tout simplement pas de réponses par le jeu, la promesse d’en apprendre davantage par les textes à débloquer laisse toujours beaucoup d’inconnus, beaucoup de personnages sont mentionnés sans qu’il n’aient d’importance dans le récit… On ne sait même pas vraiment si cet univers est réel ou parfaitement virtuel, les règles qui le définissent sont très floues et tout ce que le jeu fera à ce niveau-là pour apporter des débuts de réponses n’induira que davantage de questions, ce qui peut être un peu frustrant.


Le point central du scénario c’est le superbe duo de personnages principaux, Red la chanteuse devenue muette aussi combative que charmante et son amant décédé mais incarné dans une arme du nom de Transistor à travers laquelle il lui prête sa force salvatrice et des paroles réconfortantes de sa chaleureuse voix, devenue si emblématique du studio. La création de ce superbe duo serait d’ailleurs un tournant dans le développement du jeu qui était encore très brouillon, pâle copie de Blade Runner, alors que gameplay, musiques, ambiances… seront transformés pour graviter autour de ce duo.


C’est probablement le point scénaristique le plus travaillé du titre et toute la question est de savoir si on peut occulter le reste et s’en contenter ou exiger en plus de cela un travail supplémentaire sur l’univers et les intrigues parallèles. Personnellement, je retiens surtout ce duo si réussi mais c’est là que je vois la principale faiblesse du jeu qui se repose peut-être un peu trop dessus. Cette intrigue intimiste aura au moins le mérite d’aboutir à un final très émouvant que j’ai grandement apprécié mais dans un registre différent de celui de Bastion :


Le suicide de désespoir de Red qui peut tout avoir mais ne désire plus rien, s’effondrant à l’endroit où tous ses malheurs ont commencé à une dimension dramatique intimiste très forte tout en étant moins ambitieux et élaboré que le sort du monde reposant sur les épaules du Kid de Bastion. Ce sont deux fins de très grande qualité mais pour des raisons très différentes, j’aurais peut-être une préférence pour celle de Bastion mais celle-ci aura su me marquer profondément par son intensité. J’ai également été assez surpris par cette décision radicale de Red mais comme on en sait si peu sur elle, les développeurs s’en sont servis pour justement surprendre quant à révéler ses véritables intentions qui n’ont jamais été louables en réalité, ce qui est au final un bon point.



CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆



Après m’avoir conquis avec Bastion, Supergiant Games me conquiert de nouveau avec ce Transistor, réitérant et développant les très grandes qualités esthétiques et ludiques de son aîné tout en se dotant d’un univers cyberpunk et d’un gameplay semi-tactique avec leur identité propre et leurs fulgurances. Seuls le petit manque de cohérence de l’univers global et le léger manque de contenu me font sensiblement préférer aux aventures de Red celles du Kid mais je ne reste pas moins très satisfait de cette nouvelle expérience de jeu enivrante dont le petit succès à permis à son studio de se confirmer comme l’un des petits studios à suivre pendant encore un bon moment.

damon8671
8
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le 4 mai 2021

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damon8671

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