Je ne l’avais pas fini mais je savais que j’allais faire une critique sur Umineko. La première question fut donc celle quant au titre. Des dizaines d’idées sont arrivées allant de « I want to play a game » en passant par « J’ai trouvé ma vérité » ou pleins d’autres. Finalement le choix se révèlera beaucoup plus simple que prévu, reprenant le titre même du jeu tout en vous laissant comprendre ce que vous voulez quant à la signification du mot « They ».

Quand on met 9 à un jeu qui a 10 de moyenne, on se sent obligé de s’expliquer. Est-il fou ? Est-ce un hipster ? Je vous rassure, il n’en est rien, mais à mes yeux Umineko souffre d’un problème grave. C’est une œuvre qui s’approche de la perfection à tous les niveaux, le souci de cette perfection c’est que dès lors qu’un accro semble un peu ressortir, on a l’impression de ne voir que lui. Alors avant de me lancer dans un tourbillon de compliments et d’adverbes tous plus gratifiants les uns que les autres, je vais vous pointer du doigt ce qui m’a dérangé dans Umineko et qui m’empêche de lui mettre le sacrosaint 10.

La première chose qui m’a frustré est directement liée au support utilisé, le visual novel. L’équipe de 07th Expansion est pourtant au courant des limites de ce type de jeu et ils utilisent à merveille ces limites pour créer des mystères mais aussi mettre en place une mise en scène qui n’a d’autre but que de vous décrocher la mâchoire. Mais voilà, le jeu est statique, ce n’est pas un problème pendant 95% de la lecture, par contre lorsqu’il s’agit de bataille c’est autre chose. Déjà présentes dans Higurashi, il ne m’avait pas semblé bon de les mentionner mais ici elles occupent une place forte. Grâce à la musique, et au patch permettant les voix, on arrive à ressentir une tension et on est presque sûr qu’un combat sans pitié entre une épée bleue et rouge est en train de se dérouler. Malheureusement cela n’est resté pour moi qu’une impression et je n’arrivais pas à m’immerger pleinement lors de ces scènes.
L’autre, et dernier, problème est la multiplication des personnages. Pensant au début qu’ils étaient là plus pour compliquer l’histoire qu’autre chose je me suis rendu compte que l’ennui n’était pas là. Il s’agit plus du fait que de nombreuses têtes sont reléguées très loin lors de ces derniers chapitres. Tous les servants de Béatrice restent donc à un plan très éloigné ce qui m’a d’autant plus frustré que je les aimais beaucoup.

Et je m’arrête là, ces quelques lignes servent seulement à justifier mon 9 qui pourrait apparaître comme une marque d’anticonformisme.
Maintenant pour se plonger dans ce qui est génial… il s’agit de tout le reste à savoir, le jeu en lui-même. Le fond de la trame d’Umineko est intouchable. Plus solide que du béton armé, le propos est parfaitement calibré et d’une finition incroyable. Car réduire ce scénario au terme « intelligent » ne serait pas rendre hommage au travail acharné qu’ont dû fournir les deux scénaristes. Chaque jeu, chaque dialogue, chaque situation semble avoir été sculpté avec une minutie proche de l’exploit. On ressent d’ailleurs toute la passion pour un genre qui est pourtant sans cesse abreuvé dans la littérature : le policier.
Agatha Christie encore vivante aurait demandé à prendre un thé avec l’équipe un dimanche après-midi. Ils auraient discuté avec fougue de ce qu’ils maitrisent parfaitement. Si on retrouve d’ailleurs un très grand respect aux œuvres de la maitre, on sent surtout une continuité. Comme si, non satisfait par un travail qu’ils jugeaient non terminé, les scénaristes s’étaient réunis pendant des années autour d’une table où les notes concernant les meurtres avec des pièces closes étaient étalées. Cette passion, cette recherche et cette finition se ressent constamment à travers Umineko. Chaque puzzle est pensé et taillé comme un rubis.

Ce qui apparaît comme l’autre plus grande réussite à mes yeux est la construction des personnages. Comme le yin et le yang, tout le monde a deux facettes et ces dernières sont ici montrées avec un talent de narration incroyable. Les révélations sur les personnages sont données au compte-goutte et personne n’est parfait, personne ne peut l’être. En ce sens on a tous plus ou moins été déçu de notre personnage préféré à un moment (Kyrie...) mais c’est comme découvrir la face cachée d’un ami qu’on pensait connaître. Aucun personnage n’est méchant comme aucun personnage n’est gentil, ils se contrebalancent tous et forment un équilibre parfait lorsqu’on les pèse.
La réflexion du « why dunnit » est aussi très intéressante car il ne s’agit pas seulement de donner un motif au coupable mais aussi de montrer que dans le cœur de tous, il existe des sentiments refoulés qu’on voudrait enfouis à jamais. Par rapport à cela et à la découverte au fur et à mesure des pièces sur le plateau de jeu, je me rendais compte que je n’étais rien d’autre que Battler face à Béatrice, moi face à l’équipe du jeu, tentant de dénier ce qui était pourtant sous mes yeux, apprenant les règles avec le protagoniste. Je n’ai finalement pas beaucoup joué à Umineko, Umineko a beaucoup joué avec moi. Et je suis mauvais perdant tout comme je suis triste à la fin de chaque jeu de société que je fais avec ma famille. Le moment de fun disparaissant et laissant place à quelque chose de moins marrant.

Du coup je pourrais ici reprendre ma critique du Sanglot des Cigales « Dans Umineko*, comme dans la vie réelle, personne n’est né ainsi, on se forge, on se crée au fil du temps. A Rokkenjima, on se recrée de A à Z, chaque seconde, chaque dialogue nous apporte quelque chose qui dépasse le simple cadre du jeu, une réalité d’autant plus dure à surmonter quand on est obligé de la fenêtre. Une vie à travers le jeu, voilà ce qu’on s’invente durant ces 150 heures. On laisse une partie de soi sur cette île, on abandonne un bout de notre humanité sans crier gare, sans presque s’en rendre compte. » *les noms ont été changés. Vous l’avez compris, ce que je veux dire c’est que toutes les réussites d’Higurashi sont belles et bien présentes dans Umineko. J’ai ressenti autant de pression et de stress à certains moments que j’ai eu peur dans Higurashi. Être capable de jouer sur les deux tableaux avec une telle maestria montre à quel point les scénaristes sont chevronnés et surtout passionnés. Si au moment où j’ai terminé le jeu je n’étais pas censé travailler je me serais sûrement levé pour applaudir.

Appuyé par des musiques agréables sans être exceptionnelles, hormis quelques-unes, le scénario et les dialogues coulent avec une fluidité à faire pâlir le trois quart des écrivains actuels, il faut aussi reconnaître une maitrise totale de la narration. A aucun moment l’œuvre n’échappe à ses scénaristes, ils ont toujours le contrôle et la main basse sur l’ensemble ce qui, sur un script d’une telle ampleur, force le respect. Les révélations arrivent au bon moment et surprennent malgré tout le joueur qui quelque part, grâce aux indices, s’y attendait. Le petit bémol ici serait peut-être le chapitre 7. Ce dernier est très long et explique en long, en large et en travers le pourquoi du comment. Mais à la fin de l’épisode 6 l’indice est très gros et avec un poil de réflexion on trouve la solution, le reste n’étant qu’une confirmation. Ici bien sûr je chipote car il faut pouvoir mettre tout le monde sur un pied d’égalité concernant les révélations mais j’étais frustré de voir autant de temps passé sur des événements dont la finalité peut être trouvée assez rapidement. Néanmoins l’équilibre précaire est toujours respecté et semble en harmonie avec le reste du jeu. C’est bien simple, tout le jeu récite en chœur une poésie écrite avec amour pour les joueurs.

J’ai encore passé un moment formidable avec ce jeu mais je ne dirai pas que c’était une grande expérience car à chaque fois que ce mot est utilisé, je suis déçu par ce qui m’attends. Mais Umineko est une œuvre formidable qui questionne bien plus qu’elle n’en a l’air, la critique de Tezuka rend d’ailleurs parfaitement honneur à tout ça. Mais dans un contexte plus général Umineko réalise presque un sans faute et devient un des fleurons de l’écriture vidéoludique en général. Transcendant un genre qui n’arrête jamais de voir de nouvelles œuvres débarquer, ce visual novel s’impose comme une nouvelle pièce maitresse. J’aimerais que les éditeurs ou les marketeux qui, pour faire la promotion d’un livre, utilisent des mots comme « stress haletant » ou d’autres superlatifs jettent un œil sur Umineko pour qu’ils se remettent bien en tête que, plus ou moins, tous ces écrivains ont aujourd’hui un maitre et son nom c’est 07th Expansion. Bien évidemment je conclurai cette critique en disant que de toute façon la fin est magique vu qu’on est tombé amoureux.

Oh et puis merde vous savez quoi ? Umineko no Naku Koro ni est une putain d’expérience !

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le 13 janv. 2015

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Ray

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