Winter Voices - Prologue: Avalanche par zeugme
Défendre Winter Voices auprès de la masse, c'est un peu comme prétendre qu'on est un humaniste de droite. C'est faisable à condition d'avoir un kilo d'aspirine et de se préparer à beaucoup de contradictions. Pour devancer les reproches des gens qui l'essayeraient après en avoir lu des avis élogieux, désamorçons prudemment le bazar (ie : pour rester dans l'anecdote de déminage, disons plutôt : poussons le pote sur le détonateur, c'est triste mais ça protégera) :
Winter Voices est un jeu qui sent le manque de budget / de talent / d'esprit pratique par plusieurs aspects. L'interface est poussive, les statuts des ennemis n'apparaissent pas au premier coup d'oeil, il faut y aller par essai/erreur pour savoir de quoi ils sont (ou pas) capables, on peut refaire des missions cinq ou six fois avant de comprendre le mécanisme de la mission et ce qui permet d'y survivre. Le choix graphique, au premier abord, fait shareware (ou vieux jeu d'aventure atari st). En plus on y cause de façon soit-disant réfléchie, mais avec des tournures de phrases qui semblent plutôt pompeuses (je m'y connais !) et directement piquées des pièces de théâtre les plus emphatiques. Pour tout dire, ça sent le dictionnaire des synonymes. En plus le point de départ est abrupt à mort, et il faut être motivé pour aller au-delà du premier quart d'heure. L'intrigue commence avec une ambiance malsaine / inquiétante et des éléments intéressants, mais l'ambiance de mystère laisse vite la place à la frustration d'avancer à vitesse d'escargot dans un village même pas si grand que ça.
Autant dire que le premier contact - un peu comme celui d'un touriste étranger qui débarquerait directement sur des branleurs de la région parisienne - est rêche.
J'ai donc noté 7, parce qu'on m'a amputé de mon sens logique et que je refuse d'admettre que j'ai pu acheter un mauvais jeu.
Ou alors, outre ses aspérités, Winter Voices est un putain de jeu révolutionnaire qui mériterait d'avoir un vrai budget et une équipe de développement plus fournie. Pourquoi ? Parce que je vous le dit, et que logiquement à ce stade votre confiance en moi est totale puisque j'ai commencé par vous caresser dans le sens du poil, ce qui m'évite d'avoir à me justifier sur quarante paragraphes de plus.
Pour les râleurs professionnels (je parle naturellement des francophones nés en France), élaborons quand même :
Winter Voice est un rpg, mais qui brise les codes du style. Phrase qu'on lit souvent dans les magasines de cinéma qui prouve que l'auteur manque de culture générale et de créativité pour éviter les phrases toutes faites du genre l'éternel putain de "Tapis de feuilles". Le style RPG est à peu près tout le temps le même : on booste un perso qui devient de plus en plus fort pour taper des ennemis de plus en plus forts eux aussi. Ce qui fait qu'on a toujours le paradoxe de se dire que le grand méchant n'avait qu'à envoyer un séide balaise dès le début et il aurait la paix Link / Tidus / Mario boufferait les pissenlits par la racine et le dit méchant pourrait tranquillement commettre les pires indignités sur la princesse qui n'en demandait pas tant.
Parfait, plus que trente neuf paragraphes à faire.
Or, Winter Voice propose un autre style. Radicalement. Genre. Dans Winter Voice, on devient plus puissant pour se faire étriller la gueule par sa propre psyché de façon plus misérable. Amis masochistes, vous allez aimer. Dans un premier temps du moins (il y aura une suite, qui sait ce qu'elle nous réserve ?) le jeu nous emmène dans un combat intérieur. Les caractéristiques, les pouvoirs sont organisés autour de la psyché de l'héroïne et consistent à lui aider à affronter son passé. Les combats ne se passent pas contre des monstres proprement dit (bien qu'ils soient représentés comme dans un tactical traditionnel) mais comme des émotions, des souvenirs et j'en passe.
L'histoire se concentre donc sur ce personnage et son passé, nécessairement mystérieux et volontairement refoulé par le personnage. Les combats étant mis en scène de façon pas transparente du tout, on ne sait pas d'emblée comment contourner les mécanismes du jeu pour devenir au plus pressé le plus puissant. On choisit ses compétences au feeling et on pleure après. Ce qui serait horriblement frustrant dans d'autres cas .... est horriblement frustrant par moments. Mais à d'autres moments, la pertinence de la chose se défend : le personnage (re)découvre au fur et à mesure le chemin qu'elle va emprunter dans la nouvelle vie qui s'offre à elle / lui tombe sur la gueule.
Bref - et c'est la que je renonce lâchement si tout ça ne vous intéresse en rien - on tient là un jeu qui sort des sentiers battus (expression qui elle est tout à fait DANS les sentiers battus) et qui bien qu'il s'agisse indiscutablement d'un tactical donne la primauté à l'histoire et aux personnages. Ce jeu est dur d'approche, frustrant, pas impressionnant techniquement, mais il mérite si on lui donne sa chance le temps investit dessus.
Ceci dit, je ne me fais aucune illusion, l'essentiel des "gamers" ira jouer à un énième Fable de merde ou l'innovation majeure par rapport à l'itération précédente sera de pouvoir se teindre les poils de cul. Et en plus ils vont se pâmer d'extaser devant cette incroyable offre de gameplay. Quand aux autres, rêvez avec moi du même jeu développé par Square (qui fait des jeux iphone et facebook de MERDE en ce moment néanmoins) ou par Atari.
Vu le prix riquiqui, achetez-le sans y jouer pour contribuer. Faites un geste pour des développeurs dans le besoin !
(ou alors je vous souhaite une prochaine partie pleine de bugs dans votre prochain rpg générique)