"Ressortir un jeu après vingt-cinq ans n’est pas forcément cynique. On a fait ce remake parce qu’on est fan.” Ces phrases, issues d’une interview dans le numéro de mai 2017 de Canard PC, on les doit à Omar Cornut, cofondateur de Lizardcube et codeur de Wonder Boy: The Dragon’s Trap, remake PS4, One et Switch du légendaire Wonder Boy III. Quand il y a de l’amour, de la passion et du respect dans ce monde cynique, il faut en parler.


Mecha nique le garçon!


Un dragon mécanique sème la terreur dans Monster Land, et c’est vous, Wonder Boy ou Wonder Girl selon votre choix, qui partez à l’assaut de son château pour lui régler son compte. Voici les premières minutes, épiques, du jeu qui voient le brave héros se transformer en gros lézard suite à sa victoire. N’y voyez ici aucun spoiler, c’est tout simplement le postulat de départ du jeu et surtout ce qui constitue son ADN, à savoir les malédictions successives que va subir le principal protagoniste, et ce qui justifie les différents gameplays.


Le but final de l’aventure est de retrouver votre apparence normale, chaque combat de boss introduisant un nouveau personnage, avec ses propres caractéristiques. Au total, il y en a six : Lézard-Man, Souris-Man, Piranha-Man, Lion-Man, Faucon-Man et Hu-Man. Quand le bipède vert va pouvoir se baisser et cracher du feu, le murin aura la faculté de s’accrocher aux plateformes en damier et marcher la tête à l’envers ou ramper, tandis que le roi des animaux usera de sa puissance pour donner des coups verticaux. Autant de subtilités qui changent les approches des niveaux et écrivent le gameplay hybride de Wonder Boy III. Et qui l’inscrivent aussi dans la tradition des metroidvania, certains objets et endroits apparaissant clairement inaccessibles avant d’avoir acquis certaines aptitudes.


Cependant, il ne faut pas négliger la composante statistique et aventure du soft avec un équipement (épée, armure, bouclier) qui se renforce régulièrement et dont l’amélioration apporte un bonus sensible dans les coups reçus ou donnés. La plupart des marchands sont situés dans le village qui sert de hub central, tandis que d’autres se terrent derrière des portes cachées ou au milieu des niveaux pour aider à la progression. Plus généralement, Wonder Boy III regorge de secrets à foison, d’items et d’équipements ultimes à dénicher çà et là.


L’expérience n’évite pas les allers-retours, voire les redites, mais cela fait partie intégrante de la recette. Le principe même du jeu repose sur des runs partant du village central jusqu’au boss de chaque niveau. Un Game Over se traduit par la perte des objets spéciaux – l’argent et les équipements restant acquis définitivement. La difficulté est élevée par moments, mais elle est toujours juste et récompense les efforts. Tout ceci aussi grâce à un rythme proche de la perfection, un level design ingénieux qui trouve ses plus belles expressions verticales en Souris-Man, et surtout un game design mené d’une main de maître qui respire la précision. Le tout sert un projet de gameplay simple, mais ô combien efficace (saut, coup d’épée, objet spécial).


Une redéfinition enchanteresse


Une prouesse d’expérience de jeu 2D sur laquelle Omar Cornut revient: “Par rapport à un autre jeu, le game et le level design, c’est juste 10% de la charge de travail. Ça aurait peut-être été plus facile de le recoder de zéro, mais on aurait perdu plein de détails et de mystères qui font le jeu. Corriger les hitboxes aurait rendu le jeu beaucoup plus difficile. Le moindre secret bizarre est dans le jeu, les mots de passe d’époque fonctionnent, on a bossé de manière obsessionnelle là-dessus.” On le comprend rapidement en jouant à Wonder Boy: The Dragon’s Trap : l’idée est de rendre hommage et de restituer l’essence du jeu originel, tout en lui offrant un lifting graphique et musical artisanal.


En effet, tous les dessins sont ici faits à la main, du plus petit sprite aux bâtisses majestueuses en passant par les boules de feu et les plateformes. D’ailleurs, on peut profiter dans la galerie de sublimes artworks retraçant le travail sur le chara design, des premières idées jusqu’au résultat final. Lizardcube utilise une palette de couleurs exhaustive qui marque encore plus l’ambiance et l’identité de chaque niveau, avec une mention spéciale au dojo du daimyo, au désert et aux châteaux. Les détails ajoutés aux décors et les sublimes arrière-plans ajoutent de la profondeur et de la consistance à Monster Land, et l’on s’en rend encore plus compte quand on appuie sur la gâchette droite pour revenir aux graphismes originaux.


On peut faire de même pour retrouver les musiques 8-bits en pressant le stick droit, et il en va de même pour les bruitages emblématiques du jeu d’origine ou leur version revue et corrigée, que les développeurs ont eu le bon goût de séparer de la musique, laissant ainsi libre choix au joueur de composer sa propre expérience artistique. Mais, toujours selon Omar Cornut, “les graphismes 8-bits s’extrapolent plus facilement que les musiques” et un énorme travail de réinterprétation et de réorchestration a été effectué sur la bande son du jeu. À la guitare, au violon, à la flûte, à la contrebasse, toutes les compositions sont un pur régal pour les oreilles – et pour les yeux dans les vidéos relatives de la galerie, et certains thèmes bénéficient même de variations magnifiques. Globalement, les musiques de Wonder Boy: The Dragon’s Trap savent alterner entre fraîcheur, insouciance, naïveté, mélancolie et gravité épique.


Bref, le titre bénéficie d’une ambiance propre et indémodable, avec un humour de plus renforcé par les nouveaux graphismes, un bestiaire étoffé et très sympathique, et donc des compositions musicales de haute volée. De cette expérience magnifiée, il restera donc de bien beaux souvenirs, qui se construisent sur une durée de vie correcte lors d’un premier run (entre six et huit heures) et qui peuvent s’entretenir grâce à une rejouabilité reposant autant sur l’envie de découvrir les moindres secrets du soft, que sur le défi proposé par le mode Difficile et sur le pur plaisir nostalgique.


Wonder Boy III était déjà un bijou, voire un chef-d’oeuvre de level design, et plus encore de game design. Une minutie et un amour du détail qui en font un classique décidément indémodable. Avec ce sublime remake puant la passion, bénéficiant d’un travail colossal sur l’ambiance ainsi que la réécriture graphique et musicale, et ce sans toucher à la proposition vidéoludique originale, Lizardcube offre bien plus qu’une madeleine de Proust: une expérience authentique et intemporelle dans un magnifique et nouvel écrin.

Christophe_Zemmour
9

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Créée

le 2 avr. 2019

Critique lue 113 fois

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