SensCritique

Quand le 7ᵉ art rencontre la télé

24 novembre 2024 (Modifié le 24 novembre 2024)

Avec la sortie de Diamant Brut d’Agathe Riedinger, qui raconte l’histoire de Liane, 19 ans, obsédée par les standards de beauté et l’ambition, qui attend les résultats du casting de l’émission de télé-réalité Miracle Island en espérant devenir célèbre, nous explorons six œuvres mettant en scène un plateau télévisé. L’objectif ? Découvrir les raisons pour lesquelles le 7e art s’intéresse aujourd’hui à la télé(-réalité).

ANTHROPOLOGIE ET ETHNOLOGIE : BLACK MIRROR



Black Mirror est une série marquante qui propose une critique sombre et incisive des dérives technologiques et sociales. À travers des épisodes indépendants, elle mêle science-fiction, drame et satire sociale dans une horreur existentielle. Certains épisodes de la série se distinguent par leur exploration du rôle de la télé-réalité et des médias, offrant une étude anthropologique et ethnologique de nos comportements sociaux.


Ainsi, Fifteen Million Merits (Saison 1, Épisode 2) montre un futur dystopique où les individus pédalent pour produire de l'énergie et accumuler des "mérites". Ces points peuvent ensuite être dépensés pour participer à une émission de télé-réalité, Hot Shot, qui rappelle The X Factor. Cet épisode montre comment la télévision devient un outil de contrôle et d’aliénation, transformant l’ambition personnelle en marchandise. The Waldo Moment (Saison 2, Épisode 3) explore l'impact des médias sur la politique à travers Waldo, un personnage d'ours animé utilisé dans une émission satirique. Ce dernier devient un phénomène politique, illustrant comment la télévision et les médias peuvent manipuler les foules et promouvoir un populisme démagogique. Smithereens (Saison 5, Épisode 2) met en avant l'obsession pour les réseaux sociaux et leur rôle dans la médiatisation. La télévision amplifie l'impact d’un événement tragique en temps réel, mettant en lumière l’interconnexion entre médias traditionnels et numériques dans la diffusion de l’information. Quant à Rachel, Jack and Ashley Too (Saison 5, Épisode 3), il illustre la manipulation des célébrités par les médias. La pop star Ashley O (Miley Cyrus) est exploitée par sa gestionnaire, et sa personnalité publique est maintenue à travers des apparitions télévisées et des produits dérivés. Une critique acerbe de la culture médiatique et de la consommation de masse.


Ces épisodes traduisent une quête ethnologique : comprendre comment la télé-réalité et les médias façonnent les catégories sociales et les comportements. À travers ses scénarios futuristes et dystopiques, Black Mirror invite à réfléchir sur notre présent et ses implications culturelles et sociales.


« Que signifie Black Mirror? C'est tout simplement l'écran noir qui entoure notre vie, celui que nous voyons partout, celui sur notre mur, dans notre poche. Concrètement, cela peut être notre téléphone, notre ordinateur, notre télévision... Mais c'est aussi le reflet de la société qui est noircie par ces objets; ou même notre propre reflet, à nous, qui sommes en ce moment même devant un écran. Nous pouvons appliquer le message de la série à notre propre vie. » - TheBadBreaker


STANDARDS DE BEAUTÉ IRRÉALISTE : DIAMAN BRUT



Bien que lae spectateur.rice ne soit pas directement transporté.e sur un plateau de tournage, celui-ci se manifeste dans le film sous une forme fantomatique, incarnant le fantasme de l’héroïne principale.


Liane, 19 ans, obsédée par l’apparence physique et hantée par le désir de devenir quelqu’un, attend les résultats du casting de l’émission de téléréalité Miracle Island, censée lui offrir l’amour et la reconnaissance tant désirés. Le regard doux de la réalisatrice, qui n’est pas sans rappeler celui d’Agnès Varda envers sa Cléo dans Cléo de 5 à 7, plonge l’héroïne dans les limbes de l’attente. Là, elle est exposée dans toute sa vulnérabilité et sa fragilité. La télé-réalité permet ici d’interroger les standards de beauté établis et les valeurs ultra-compétitives redoutables du capitalisme. Une thématique que Diamant Brut partage d’ailleurs avec un autre film présenté en compétition à Cannes cette année, The Substance de Coralie Fargeat.


« Agathe Riedinger filme son actrice à fleur de peau, révélant une guerrière "moderne", dont sa passion n'est ni vaine, ni futile. Ce rêve, dans ce monde vidé de sens, devient une croyance noble, une quête essentielle. Le film renverse nos préjugés, confrontant notre élitisme face à ceux qui cherchent une échappatoire à leur misère sociale. » - cadreum


CRITIQUE DE LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE : THE TRUMAN SHOW



Si la caméra cinématographique parcourt le plateau du tournage, c’est tout d’abord pour assumer son rôle de réflexion du système. Ainsi, The Truman Show, et la performance extraordinaire de Jim Carrey qui se distingue de ses rôles majoritairement comiques jusqu’ici s, est une critique performative de la télé-réalité, ici métaphore absurde de la société du spectacle, un concept introduit par le philosophe situationniste Guy Debord. Le film remet en question la société de consommation qui réifie et marchande les êtres humains et leurs relations en laissant un goût doux-amer, celui de l'aliénation omniprésente dans la société contemporaine.


« The Truman Show est bien entendu un film à charge contre la télé-réalité émergente à l’époque en extrapolant les dérives dont elle pourrait être capable à l’avenir. »Samu-L


L’INDUSTRIE APRÈS #METOO : THE MORNING SHOW



Y a-t-il une industrie audiovisuelle après #MeToo ? C’est la question que beaucoup de professionnel.le.s du 7ème art se posent aujourd’hui (on pense notamment au livre de Geneviève Sellier Le culte de l’auteur). The Morning Show analyse les dynamiques de pouvoir et revisite les limites de ce que l’on peut faire sur un plateau télé à l’époque complexe et moderne de l’après #MeToo. La réalisation soignée, les performances de Jennifer Aniston, Reese Witherspoon et Steve Carell ainsi que la pertinence des thèmes abordés sont les atouts de ce résultat au croisement de deux industries.


« C’est aussi, et c’est bien peu de le dire, la première grande fiction post-Weinstein. » - Vivienn


CAPITALISME QUI S’AUTO-CANNIBALISE : CULTE



L’une des raisons de passer au microscope la téléréalité est de comprendre la machinerie du culte et de la culture populaire avec un recul et une abstraction nécessaire, généralement amenés par la mise en abyme sur l'écran. La première saison de Culte suit les coulisses et l'impact de la téléréalité Loft Story. La fiction s’entremêle à des éléments réels pour critiquer les dérives médiatiques et sociales​. De plus, étant donné que cette analyse des phénomènes cultes et culturels est signée Amazon Prime Vidéo, on assiste ici au capitalisme qui se dévore lui-même en ré-digérant ses propres produits : la manipulation médiatique, le voyeurisme et les pressions sociétales. Culte remet ainsi en cause le rôle des médias dans la construction de réalités biaisées​.


« Culte excelle à illustrer les coulisses cyniques de la télévision, machine prête à tout dévorer pour quelques points supplémentaires d’audience, mais elle flirte parfois dangereusement avec une glorification de tous ceux-là mêmes qui ont orchestré l’aliénation des candidats… et de tous les téléspectateurs de Loft Story… N’assistons-nous pas ici à une réhabilitation a posteriori des créateurs français de la téléréalité, oubliant généreusement les conséquences néfastes que le genre allait avoir sur notre société ? » - Eric BBYoda


FORMALISME ET ESTHÉTIQUE : LATE NIGHT WITH THE DEVIL



Ici, la téléréalité sert avant tout des objectifs esthétiques. Pourtant, la forme complexe et intertextuelle des références utilisées semble parfois contenir plus de substance que le contenu narratif lui-même.


Le film des frères Cameron et Colin Cairnes met en scène Jack Delroy, animateur d’un late-night show intitulé Night Owls. Ce titre, loin d’être choisi au hasard, évoque des œuvres comme Twin Peaks, Under the Silver Lake, ou encore Lord of Tears.


L’utilisation du found footage permet de pousser cet esthétisme maniériste à son paroxysme, renforcé par des éléments de graphisme générés par intelligence artificielle. Ce procédé inédit dans le cinéma suscite de nombreux débats intenses sur les implications sociales et les inégalités que cette technologie peut accentuer, notamment en termes de création artistique et de conditions de travail.


Pour autant, cette œuvre dépasse l’étude purement postmoderniste. La fameuse phrase « The owls are not what they seem» prend ici tout son sens, révélant un propos plus profond, qui transcende la critique esthétique pour explorer des questions existentielles et sociétales.


« Car l’IA générative commence déjà à bousculer le quotidien de beaucoup d'esprits créatifs. Quand les auteurs et autrices de science-fiction imaginaient l’intelligence artificielle au siècle dernier, ils entrevoyaient plutôt qu’elle nous remplacerait dans nos tâches les plus rébarbatives, pour justement laisser l’humanité se consacrer à la culture, à la création. N’est-ce pas exactement l’inverse qui est en train de se produire ? A savoir : l’IA essayant de mimer et remplacer les artistes pour nous laisser plus de temps pour consommer, et ce à un coût moins élevé pour ceux qui financent la culture sous toutes ses formes ? La vision néolibérale ultime en un sens : nous donner toujours plus de “choix” avec des contenus payants, produits à la pelle par des IA, des contenus adaptés aux plus près de nos “envies” selon des algorithmes, le tout basé sur des données que nous donnons gratuitement. » - Thomas Beau-Six


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