SensCritique

Rencontre avec... Ali Abbasi réalisateur de The Apprentice

9 octobre 2024 (Modifié le 9 octobre 2024)

6 minutes

À moins d’un mois de l'élection présidentielle américaine, nous nous sommes entretenus avec Ali Abbasi, réalisateur de The Apprentice, un biopic qui retrace le parcours du jeune Donald Trump et sa rencontre avec l'avocat mafieux Roy Cohn à la fin des années 1970. Le cinéaste revient sur sa vision et son processus créatif qui l'ont conduit à dresser le portrait de l'un des personnages les plus controversés de ces dernières années.

Anna Strelchuk : Ma première question porte sur l'approche que vous avez choisie pour le film et pour représenter votre personnage. Cette approche est naturelle, presque factuelle. Quelles raisons vous ont conduit à traiter le sujet de Donald Trump de cette façon ? Et pensez-vous qu'il soit possible de rester objectif en réalisant ce type de films ?

Ali Abbasi : Je pense qu'en tant qu’œuvre de fiction, mon travail est exactement l'inverse de l'objectivité. Enfin, tout film, y compris les documentaires selon moi, n’a rien d’objectif. Dès que tu commences à réaliser un film, à le manipuler et à lui donner une direction, l'idée même de “vérité” ou d'objectivité disparaît.

Et pourtant, ça ne ne me dérange pas, parce que The Apprentice n'est pas un film sur Trump. Ce n'est pas censé te dire des choses que tu peux lire sur Wikipedia ou dans d'autres articles sur Trump, Roy Cohn ou Ivana. C'est plutôt pour te donner une idée de leur personnalité et te faire vivre cette ambiance, cette époque, cette relation. C'est un film très axé sur les relations. Et pour moi, c'est cela qui est le plus passionnant. Évidemment, ce sont des personnages très politiques, polarisants, ce qui fait aussi partie du tissu du film. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle on fait des films. Ce n’est pas pour présenter Trump sous un certain angle. C'est pour le montrer en tant qu'être humain. Et cela reste subjectif, c'est toujours un point de vue. Après, c'est aux spectateurs de décider comment le percevoir, bien sûr.

AS : Vous venez de mentionner l'ambiance, et c'est vrai que votre film a une atmosphère particulière. Quels films des années 70 et 80 vous ont influencé ?

AA : Quand nous préparions The Apprentice, nous avons beaucoup évoqué des images d'archives, des séquences d'actualités de l'époque, des années 70 et 80, parce qu'elles ont un langage bien particulier, la façon dont elles étaient tournées, à savoir ils arrivaient, ils avaient deux minutes pour installer la caméra et ils tournaient direct. Donc, d'une certaine manière, ils allaient à l'essentiel. Ils créaient cette tension intéressante où tu ressentais vraiment que c'était quelque chose d'important. Il y a un lien très fort entre Trump et les médias. Tu pourrais même dire que Donald Trump est une création des médias. J’imagine qu' à un moment donné il a vu sa propre image sur CNN et a pensé "C'est bien, je veux être encore plus cette personne-là".

La relation avec les médias est donc un élément clé, et il nous semblait logique d'utiliser le langage des médias, celui des séquences d'actualités, les journaux télévisés de l'époque. C'était l'inspiration principale des années 70, où tout était filmé principalement sur pellicule de 16 mm. Dans les années 80, ça devenait plus vidéo, plus artificiel, et un peu plus rigide, ce qui correspond aussi à l'évolution de notre personnage.

AS : J’ai également été intriguée par les scènes montrant les transformations physiques subies par Trump, notamment la chirurgie esthétique et même la réduction du cuir chevelu.

AA : Oui, la réduction du cuir chevelu, c'est un terme incroyable, non ? Tu réduis la taille de ta tête.

AS : Oui, c’est incroyable. Pourquoi avez-vous décidé d'inclure cela dans le film ? Qu'est-ce que ce côté charnel ajoute au personnage ? Et est-ce que c'est vrai, d’ailleurs ?

AA : Oui, il a vraiment fait cette réduction du cuir chevelu dans les années 80. C'était la principale méthode pour traiter une calvitie naissante. Et puis, ce n'est pas un biopic. Généralement, si on fait un biopic sur Malcolm X ou François Mitterrand, on les voit donner des grands discours, parler de sujets importants… Mais en réalité, ça ne représente que 2 % de leur vie. Les 98 % restants concernent ce qu'ils mangent, avec qui ils traînent, avec qui ils dorment, quelle équipe de foot ils aiment, s'ils perdent leurs cheveux ou prennent du poids. Ce sont des aspects essentiels de leur vie.

La vraie question serait peut-être : pourquoi ces aspects ne sont-ils pas dans tous les autres biopics ? Par exemple, si tu fais un biopic sur Queen ou sur Michael Jackson, tu parlerais probablement beaucoup de leur obsession pour leur poids. Pour moi, ce sont des éléments essentiels pour comprendre leur personnalité.

AS : Oui, c'est sûr. Et cela montre très bien leur personnalité en effet. Je voulais aussi vous demander comment le scénario a été écrit, parce que certains dialogues semblent si réels, presque absurdes, qu’on se dit que seule la réalité peut être aussi surréaliste parfois.

AA : (Rire). Oui, il y avait de très bonnes références, surtout pour Sebastian, parce qu'il y a tellement d'informations sur Donald Trump. Il y a tant d'interviews, tant d'apparitions télévisées. Il a une manière très spécifique de structurer ses phrases, tout comme Roy Cohn et Ivana. Donc, on avait cette structure, ce squelette de la façon dont ces gens parlent.

Je me souviens avoir dit à Sebastian : "Dans cette scène, tu dois parler des casinos", et il devenait nerveux parce qu'il savait qu'il devait improviser de manière fidèle à la manière dont Trump parlerait. De toute façon, il a fait un excellent travail pour capter ses phrases, ses structures et sa manière d'être et de parler.

AS : C’est vrai. Et pour parler un peu de Sebastian, son jeu est impressionnant dans ce rôle. Comment s'est passé le processus de préparation ? Est-ce que c'était plutôt une approche à la Stanislavski, ou plus basée sur l'improvisation sur le plateau ?

AA : Je ne fais pas beaucoup de préparation extensive sur le plateau ou d'ateliers, parce que pour moi, le processus de casting en soi est une grande partie du travail. Qui tu choisis et comment tu les choisis. Je pense que Sebastian avait son propre processus, car c'est un acteur très technique et très professionnel. Il savait qu'il devait se préparer, et il avait du temps pour le faire, car on en parlait depuis 2019.

Lui, Jeremy et Maria ont tous été très inspirés par la réalité. Ils ont écouté en permanence les interviews de ces personnes. On a répété quelques scènes importantes pour comprendre les personnages, mais j’étais aussi excité qu’eux de découvrir le résultat lors du premier jour de tournage. Je pense que la première vraie scène qu'ils ont tournée, c'était dans l'hélicoptère. Donc c'était une sorte de test. J'étais assis dans l'hélicoptère en attendant que les gars arrivent, et ils sont venus, ils se sont assis là, et j'étais là, genre : “Ok, je sais pas ce qui va se passer. On va décoller. Et je suppose qu'on va découvrir en plein vol, vous savez ?

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