The Outrun marque le premier projet de Saoirse Ronan en tant que productrice. Adapté des mémoires d'Amy Liptrot, il s'agit d'un voyage introspectif aux allures mythologiques, retraçant le cauchemar de l'addiction. Ce portrait intime d'une femme en quête de rédemption s'inscrit dans la lignée de projets récents poignants sur la vie des trentenaires, tels que Fleabag ou Julie (en 12 chapitres).
Anna Strelchuk : Vous avez toute une génération, la génération Z, qui a grandi avec vos films et là vous êtes en train de vous interroger sur le changement récent dans vos rôles, vers des personnages plus mûrs, notamment avec The Outrun et Blitz de Steve McQueen à venir, où vous incarnez une mère.
Saoirse Ronan : Oui, je me sens vraiment prête pour ces rôles qui reflètent très bien où j'en suis dans ma vie et comment je me sens professionnellement. J'ai joué pendant plus de 20 ans maintenant, donc j'ai accumulé beaucoup d'expériences que je veux pouvoir utiliser. C'est pour cela que j'ai voulu produire The Outrun. Et je pense que c'est aussi pour cela que cette performance est aussi différente de tout ce que j'ai fait auparavant, car c'est un personnage qui m'a permis de prendre tout ce que j'ai acquis au fil des ans et de retravailler un peu.
Avec quelque chose comme Blitz, incarner une mère m'a demandé un peu de temps pour comprendre ce que cela signifiait pour moi. Mais c'était merveilleux de voir ces personnages si différents prendre vie dans deux univers à part.
AS : Votre héroïne a 30 ans, et j'ai l'impression que cette catégorie particulière de femmes est très peu représentée. Était-ce votre motivation première de jouer ce rôle pour apporter plus de représentation des femmes de cet âge dans le cinéma ?
SR : Oui. Enfin, je veux tout simplement continuer à jouer des rôles qui reflètent l'âge que j'ai, parce que je pense que chaque étape de la vie a une valeur particulière. Je pense que lorsqu'on est dans la fin de la vingtaine, début de la trentaine, beaucoup de choses changent. Vous entrez dans votre « retour de Saturne », si vous y croyez. Beaucoup de choses commencent à se stabiliser, vous devenez plus, serein, plus clair sur ce que vous voulez, qui vous êtes, qui vous voulez dans votre vie et ce que vous attendez de votre métier.
C'est une période vraiment intéressante dans la vie de quelqu'un, et c'est ce que nous avons voulu montrer avec The Outrun. C'est une histoire sur l'addiction et l'alcoolisme, mais spécifiquement sur une jeune femme qui lutte contre l'alcoolisme, ce que l'on ne voit pas souvent à l'écran. Et pourtant cela touche tant de jeunes. C'est une maladie qui peut affecter n'importe qui, peu importe l'âge, le sexe, l'origine socio-économique ou la race. C'est ce qui rendait cette histoire unique et fraîche.
AS : Oui, bien sûr, et tout cela est dû à une merveilleuse collaboration entre trois femmes. Le film est basé sur les mémoires d'Amy Liptrot, réalisé par Nora Fingscheidt et c'est aussi un grand rôle pour vous. Comment s'est passée cette collaboration ?
SR : C'était une excellente collaboration. Nous venions toutes d'angles légèrement différents, ce qui, je pense, nous a beaucoup servi. Amy, bien sûr, avait le plus de connaissances, car c'est son histoire. Elle connaît cette maladie intimement et le mental qui l'accompagne. Nora avait un regard extérieur très utile, en intégrant son style de réalisation, qui est très axé sur l'improvisation et le style documentaire. Moi, j'étais le vaisseau pour incarner ce travail. Nora et moi, nous avons beaucoup travaillé sur le dialogue pour qu'il sonne le plus naturel possible sur le plateau.
Nous avons également changé le nom du personnage d'Amy en Rona, pour avoir plus de liberté créative. Rona est aussi une île écossaise proche de l'endroit où Amy a grandi, et quasi un mélange de nos noms avec Nora ce qui rendait le film encore plus personnel.
AS : Amy a-t-elle participé au tournage ?
SR : Elle était très respectueuse de ma façon d'incarner le personnage. Elle reconnaissait que ce devait être une évolution de son personnage dans le livre. Elle ne venait pas souvent sur le plateau, mais elle recevait tous les rushs du jour pour s'assurer que tout restait authentique.
AS : Ce que j'admire dans votre personnage, c'est qu'elle n'est pas sur-dramatisée. Comment avez-vous réussi à jouer une héroïne aussi complexe sans tomber dans la victimisation ou la diabolisation ?
SR : C'était quelque chose que je devais surveiller. Si j'avais une crainte, c'était de trop la diaboliser. J'ai moi-même une relation avec l'alcoolisme, ayant vu des proches traverser cela, certains ne s'en étant pas sortis. Avant The Outrun, j'étais assez en colère contre cette maladie. Donc je devais m'assurer que le personnage conservait son humanité et ses qualités rédemptrices.
Mon objectif principal était d'honorer l'histoire d'Amy autant que possible, et pour cela, il fallait montrer toutes les facettes de son personnage.
AS : Vous avez également mentionné que l'environnement du tournage était très safe space, ce qui était essentiel pour vous. Pourquoi pensez-vous qu'il est nécessaire d'avoir un tel environnement ?
SR : Nous avons toujours besoin d'un environnement de travail sûr, peu importe ce que nous faisons. Mon métier est une position incroyablement vulnérable. C’est dur de se sentir protégé tout en étant poussé à donner le meilleur de soi-même.
Dans ce film en particulier, le sujet était tellement douloureux qu'il était crucial que nous prenions soin les uns des autres. Je pense que les meilleurs environnements de travail dans lesquels j'ai été sont ceux où les réalisateurs et les réalisatrices et d'autres acteurs m'ont fait me sentir en sécurité, m'ont fait me sentir invincible.
AS : Vous avez aussi travaillé avec votre mari, Jack Lowden, sur ce projet. Comment cela s'est-il passé ?
Incroyable. Nous avons travaillé ensemble deux fois maintenant, dans deux capacités différentes. Nous avons joué ensemble il y a des années et là on est tous les deux producteurs. Je pense que travailler avec quelqu’un à qui vous êtes si proche, que vous respectez tellement, et avec qui vous avez les mêmes goûts, cela accélère tout le processus. Jack m’a aidé avec le jargon que je ne connaissais pas. Nous pouvions être honnêtes et directs. Même s’il ne pouvait pas être sur le plateau tout le temps, quand il l’était, il était mes yeux et mes oreilles. Je lui faisais plus confiance que quiconque.
Étant écossais lui-même, il était probablement plus passionné qu’aucun d’entre nous à propos d’Orkney et des Orcadiens. Le fait que notre premier film ensemble était une opportunité pour célébrer les Orcadiens était très, très spécial pour lui.
AS : L'accent orcadien est différent de celui de votre mari et du vôtre. Comment vous êtes-vous préparée à cela ?
SR : J'avais travaillé avec le coach de dialecte et j'avais essayé l'accent orcadien, qui est fort, vous savez. Quand elle était partie, mon mari m’a dit : "Tu ne vas pas faire ça, n'est-ce pas ?” (rires). Il a dit : « Dé-dialectise-le un peu, s'il te plaît…». Ce qui était en fait plus précis pour le personnage parce qu’Amy a un accent écossais de la terre ferme avec des touches anglaises. Donc, cela nous a en fait aidés parce qu'elle devait sembler être une étrangère.
AS : Et Amy a-t-elle dit quelque chose à propos de l'accent, vous a-t-elle consulté ?
SR : Je l'ai beaucoup écoutée et j'ai vérifié avec elle pour être sûre qu'elle était d'accord pour que je fasse un accent plus doux, et elle l'était.
AS : La structure du film n'est pas linéaire. Et la narration est compliquée à gérer avec ses couches et ses éléments scientifiques et mythologiques, comment vous vous en êtes sortis ?
SR : Le processus de tournage était assez chronologique, respectant le fil de vie d’Amy. Nous avons tourné toute la section à Londres en premier, ce qui était vraiment utile pour comprendre son conflit intérieur. C’était une sorte de force motrice pour le reste du film. Un écho de Londres faisait partie de l'histoire pendant très longtemps après.
J'ai ensuite vécu une expérience très intense en travaillant uniquement avec Paapa Essiedu, qui incarnait Daynin, le petit ami du personnage. Puis, il est parti. Son absence a créé un véritable vide que j’ai vraiment ressenti.
Finalement, nous avons tourné sur l'île principale d'Orkney, pour les scènes avec les parents de Rona, interprétés par Saskia Reeves et Stephen Dillane. Cela a marqué une sorte de guérison après le tournage que nous avions vécu, une traversée émotionnelle qui nous avait emmenés dans les recoins les plus sombres de la vie de l'héroïne. Nous étions devenus une petite équipe soudée, seulement 40 personnes, peut-être moins, vivant et partageant tout ensemble, des repas aux moments de vie. C’était une si belle façon de conclure cette aventure.
AS : D’ailleurs, concernant le processus de tournage, il y a beaucoup d'agnelage qui se passe. Alors, comment s'est passée cette partie agricole ? Comment était-ce pour vous d'apprendre tout cela et de rencontrer des gens qui le font dans leur vie quotidienne ?
SR : C'était une expérience vraiment révélatrice de travailler avec des fermiers et de voir à quel point ils sont engagés dans ce qu'ils font, à quel point ils n'ont tout simplement pas de vie à côté de leur travail. Ils passent 15 heures par jour à la ferme. C'est fou. La personne qui me consultait était un gars de 23 ans qui supervisait trois fermes différentes.
L’agnelage était assez terrifiant pour moi, surtout la première fois. J’avais vraiment peur de casser le cou de l'agneau quand je tirais. Ils sont si inertes quand ils sortent, c’était inquiétant. Pourtant donner la vie au monde est incroyable. C'était une partie d'un pré-tournage et je l'ai adorée. Il n'y a pas d'autre travail que je ferais à part être fermière, bien sûr, où je pourrais vivre une chose pareille. De plus, je pense que cela m'a donné une très bonne idée des origines d'Amy et de sa vie quotidienne en grandissant.