Bibliophilie pas vraiment obsessionnelle — 2019
Résolution 2019 (que je m’empresserai malgré moi de ne pas tenir, encore une fois) : lire plus.
Prochains achats : Le Culte de la charogne. Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908) — Le cinéma, un art subversif — De sang-froid — Ni Dieu ni maître, une histoire de ...
12 livres
créée il y a presque 6 ans · modifiée il y a presque 5 ansLes Premiers voyageurs photographes: 1850-1914 (2018)
Sortie : 24 octobre 2018. Photographie
livre de Gilles Fumey et Olivier Loiseaux
Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
En 1821 était créée en France la Société de géographie, avec pour objectif la conduite de travaux géographiques divers, parmi lesquels figure notamment l'accompagnement d'expéditions, dans le but de contribuer au rayonnement de la géographie française. Anatole France, Élisée Reclus ou encore Jules Verne, à titre d'exemple, ont été membres de cette société.
Au milieu du 19ème siècle, la photographie en est a ses balbutiements : le procédé de fixation d'une image sur une plaque de cuivre est mis au point par Louis Daguerre en 1839. La technique évoluera rapidement jusqu'à la fin du siècle, à tel point que le transport de ces dispositifs (cyanotypes, plaques de verre, premières polychromies, etc.) devient envisageable au cours des missions d'exploration aux quatre coins de la planète, pour documenter les découvertes ethnologiques, les colonisations, ou encore les révolutions industrielles.
D'où la naissance de ce recueil, combinant les images d'explorateurs, de voyageurs et d'ingénieurs à travers le monde, de toutes nationalités, armés de dispositifs très diversifiés. Leur but : montrer des horizons jusqu'alors inconnus, dans le cadre de missions scientifiques ou militaires. L'ensemble des photographies, prises entre 1850 et 1914, portent autant sur la découvertes d'ethnies qui étaient alors inconnues du monde occidental que que sur de simples prouesses techniques constitutives de la modernisation industrielle. Regroupées par grandes régions géographiques (Afrique, Amérique, Europe, Asie et Océanie), les clichés sont parfois des témoins historiques, parfois des marqueurs géopolitiques. Ici la domination coloniale mise en scène, et là le simple émerveillement devant des paysages grandioses capturés pour la première fois sur un support.
La découverte en Égypte des pyramides et du sphinx (à l'époque pas encore désensablé) ou encore de vestiges romains en Algérie, les missions coloniales de délimitation entre plusieurs pays africains au plus près des tribus, la traversée de l'Amazonie, le creusement du canal de Panama, les canyons du Colorado, la conquête du grand Nord au fond du Groenland, un inventaire des monuments de l'Inde du Sud, les rivages hostiles des îles australes, la végétation luxuriante de l'Asie du Sud-Est, ou encore des épreuves colorisées de scènes quotidiennes au Japon à la fin du 19ème siècle : c'est autant une histoire de la photographie qu'un tour du monde. On peut regretter la très faible quantité d'informations
[suite en critique]
21 leçons pour le XXIe siècle (2018)
Sortie : 26 septembre 2018. Essai
livre de Yuval Noah Harari
Morrinson a mis 2/10.
Annotation :
L'avantage d'un tel objet commercial, c'est que les centaines de pages se lisent à grande vitesse tant le contenu a la densité d'une soupe claire. La seule chose qui me retient de mettre moins que la pénultième note, c'est qu'il s'agit d'un témoignage très libéral-progressiste d'un prof d'histoire juif homosexuel végétalien et très peu porté sur la religion orthodoxe dans un pays où de telles notions / idées, même mal formulées comme c'est le cas ici, doivent être très difficiles à tenir.
Mais ces leçons ne sont qu'un étalage continu de poncifs en tous genres, sur des thématiques aussi vagues que le discours est confus, imprécis, et ampoulé : travail, liberté, égalité, désillusion, civilisation, religion, terrorisme, guerre, laïcité, ignorance, vérité, justice, éducation sens, méditation, etc. Tout ça est brassé dans l'inconsistance la plus totale. Je ne connais rien des autres œuvres de Harari ("auteur du best seller machin") mais aucune envie à l'horizon. Des "leçons" qui entendent nous confronter aux "grands défis contemporains", c'est exactement le jargon qui me hérisse le poil. Mais même en essayant d'aller au-delà du style et des axes de développement retenus, le contenu est d'une indigence écœurante. Des généralités, des sauts thématiques incessants et dénués de sens, rien de plus.
Sa conception de l'intelligence artificielle (omniprésente ici) est à se tordre de rire, perçue comme une théorie surnaturelle, sans connaissance minimale technique ou scientifique. C'est tout de même quelqu'un qui se contente de jugements / prémonitions du type "les chauffeurs et les médecins superflus devront trouver autre chose à faire", en réponse à la menace sur l'emploi que représente les technologies avancées : voilà résumées "l'intelligence, la clarté et la perspicacité" vantées à tort et à travers. Il parle de musique : la voilà résumée comme un spectre s'étalant de Britney Spears à Tchaïkovski. Il parle de cinéma de SF : The Truman Show est sa seule référence. Il parle de de cycle de la vie et de méditation : Le Roi Lion est son illustration favorite. On peut rire du début à la fin.
On ajoute à cela un jargon technique aussi vain qu'obscur, de l'"infotech" et de la "biotech" en veux-tu en voilà, de l'enfonçage de portes ouvertes, tout ça pour conclure sur les bienfaits de la méditation laïque au terme d'une interminable litanie proférée sur un ton péremptoire insupportable. Trump c'est mal. Poutine c'est mal. Le Brexit c'est mal. Vacuité intellectuelle totale
Atlas de l'alimentation (2018)
Sortie : 26 avril 2018. Cuisine, Beau livre
livre de Pierre Raffard et Gilles Fumey
Morrinson a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Bien plus qu'un simple "atlas" qui se contenterait de réunir des cartes géographiques, le livre de Gilles Fumey entend dresser un portrait international de l'histoire de l'alimentation, de son évolution et de ses problématiques plus contemporaines. Un recueil à mes yeux très inégal, avec d'un côté des données très classiques mais néanmoins intéressantes, présentées sous forme de cartes on ne peut plus standards, et de l'autre, en fin d'ouvrage, des réflexions assez pauvres et limitées sur les thématiques actuelles ayant trait aux nouvelles contraintes et aux nouveaux modèles d'agricultures.
Parmi les chapitres intéressants, on trouve notamment l'histoire des foyers de domestication des plantes, dont l'origine remonte à il y a plus de 10 000 ans, présentée selon plusieurs thèses, avec plusieurs causes et conséquences. Les trois principales céréales (blé, riz, maïs) et les trois continents où elles ont émergé, le passage de l'état sauvage à celui de culture organisée, l'apparition des fruits et des légumes avec notamment l'apparition de la pomme de de terre, de la tomate et du haricot. L'influence des conditions locales sur le développement de telle ou telle légumineuse, l'utilisation de tel ou tel condiment. De la même façon, des fouilles archéologiques permettent de retracer l'histoire de la domestication des animaux, bovins, ovins, caprins, et équidés dans toutes leurs variations (la poule vient de Nouvelle Guinée alors que la dinde vient de Méso-Amérique).
Une fois ces bases posées, l'atlas étudie les interfaces entre les différents pôles, les zones d'échange qui ont conduit aux associations de type céréales / légumineuses, le déplacement des hommes et des marchandises, en temps de guerre ou de paix, et les mouvements humains qui ont produit des concentrations de denrée en zones "urbaines". L'âge industriel, avec ses moyens de transport et de conservation, véhicule de nouvelles transformations profondes de la répartition des zones de production et des modes de consommation. Des problèmes plus contemporains, comme la conservation des graines, l'intolérance au lactose, l'uniformisation des goûts (pizza, burger, sushis, kebab) ou le phénomène d'accaparement des terres agricoles, font l'objet de cartes très basiques. Un tour rapide de produits divers (bière, vin, alcools forts) depuis leurs origines vient juste avant les derniers chapitres et la conclusion sur l'agriculture biologique, ...
[suite en critique]
Une histoire de la langue de bois
Sortie : 2009 (France). Essai
livre de Christian Delporte
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Un livre difficile à lire du point de vue du plaisir tant il ne tient pas les promesses ne serait-ce que de son titre, en s'enfermant dans une logique stérile d'enchaînement sans fin d'anecdotes qui se situent sur une frise temporelle allant de la Révolution française à la présidence de Sarkozy (le bouquin est de 2009) en passant par les différents régimes totalitaires. Outre l'absence de définition claire du concept même de "langue de bois" (une référence rapide aux sophistes Gorgias et Gorgias de la Grèce antique et la machine est lancée), l'enfilade d'exemples bassement illustratifs voire ludiques ne s'accompagne jamais d'une argumentation structurée ou d'une réflexion basique.
Le choix des thématiques générales est à ce titre assez édifiant, tant il montre à quel point le concept est laissé dans un marécage vaseux, flou, mal défini : la Terreur, la République, le stalinisme, le nazisme, les guerriers de Napoléon à Bush, la Françafrique, et les novlangues plus contemporaines. L'ensemble est parfaitement décousu, ce qui peut paraître vraiment dommage étant donnée la bibliographie relativement fournie sur lequel se base cet écrit. Difficile de trouver du sens dans les rapprochements entre Jean-Marie Le Pen et Georges Marchais, même si individuellement, les exemples peuvent s'avérer évidents ou éloquents. La langue de bois selon Christian Delporte embrasse ainsi autant les élucubrations des politiciens infâmes du type Jean-François Copé que la novlangue définie par Georges Orwell, la propagande des régimes autoritaires, ou encore le manichéisme de tous les jours. L'absence de fil conducteur théorique rigoureux nuit grandement au plaisir de lecture.
Au final, tant de pages passées à aborder la "langue de bois" des régimes dictatoriaux (une histoire bien subjective, donc) pour si peu consacrées à la langue de bois de notre époque.
Un an à vélo
d'Amsterdam à Singapour
One year on a bike from Amsterdam to Singapore
Sortie : septembre 2017 (France). Beau livre
livre de Martijn Doolaard
Morrinson a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Ça lui a pris comme ça, Martijn Doolaard, un photographe et graphiste néerlandais : un jour, il a décidé de se poser. Mais pas n'importe quelle pause. Pas la pause de milieu de journée qui s'étale, pas la pause hebdomadaire du weekend, pas même la pause de plusieurs jours ou semaines pour aller se balader ou crapahuter en hauteur. Plutôt le genre de pause qui commence comme une idée de projet aussi vague que folle, et qui se termine par un périple de plus de 16 000 kilomètres d'Amsterdam à Singapour avec pour seul compagnon de voyage un vélo.
Mais Martijn n'avait pas du tout prévu ça. Son idée, à l'origine, c'était tout simplement de prendre le large, de quitter son cocon hollandais. Enfourcher son vélo sans autre direction que l'horizon à l'Est. Rouler vers l'Orient, rien de plus, rien de moins. Il savait qu'il s'embarquait dans un long voyage, il n'est pas pour autant parti sans s'équiper, se préparer, se renseigner un minimum ne serait-ce que pour les questions de visas qui se poseront de manière régulière tout au long de son parcours, à chaque frontière rencontrée au-delà de l'Union Européenne. Mais malgré cela, l'improvisation semble avoir toujours été le maître-mot de son voyage.
Rien ne l'avait préparé à la traversée des immenses plateaux sauvages à l'autre bout de l'Europe, à l'ascension des très hauts cols dans les montagnes du Moyen-Orient, aux aléas administratifs en Inde et dans les pays d'Asie du Sud-Est. Il n'avait pas prévu de de camper au beau milieu de la jungle parsemée de temples birmans incroyables, de parcourir des immenses lacs de sel à l'instar du Salar d'Uyuni, de croiser et recroiser autant de gens sur sa route. Au-delà des paysages renversants de diversité auquel le livre fait honneur (le format et la qualité des photos sont excellents), les rencontres rythment aussi son périple, entre les voyageurs perdus dans leur odyssée personnelle comme Martijn qui feront un bout de chemin ensemble, les marques d'hospitalité régulières, et même les aventures amoureuses qui font presque vaciller le projet, racontées de manière aussi sobre et pudique qu'intense et parfaitement intelligible.
Tout n'aura pas été rose, évidemment, on ressent à de nombreuses reprises des coups de mou, des doutes, des hésitations, des difficultés, voire mêmes des dégoûts. Le livre se lit autant comme un récit photographique que comme un
[suite en critique]
L'Enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes (1999)
Sortie : 1999 (France). Essai, Culture & société
livre de Jean-Claude Michéa
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
La lecture de ce court livre de Michéa est relativement difficile, semée d'embûches qui prennent la forme de notes de bas de page intempestives, de notes de fin d'ouvrage mal placées, d'un chapitrage inconséquent (parfois seulement une page, avec davantage de notes de bas de page) et surtout de discours tour à tour obscurs et simplistes ou simplement mal formulés. Ça a beau ne pas être long, le fait qu'il faille souvent s'y reprendre à plusieurs fois pour saisir (ou inférer) le sens d'une phrase allonge considérablement la lecture. Tout cela sans parler des digressions intermittentes, ni du ton dédaigneux et péremptoire, ni des thèses dépourvues de véritable argument, ni de l'aigreur terrible qui flotte sur l'ensemble. Pas vraiment le genre de mec avec qui on aurait envie d'aller discuter autour d'une bière...
Donc, selon Michéa (en 1999), le capitalisme mondial a perverti l'École au point où l'émancipation intellectuelle et l'enseignement d'un socle commun aurait cédé la place à la production industrialisé d'idiots aptes à entrer dans le grand jeu de la compétition économique et de la consommation. La thèse n'est pas inintéressante en soi, il n'est pas le premier à aborder les faiblesses du système éducatif, mais l'argumentation est de manière globale abominable. Je n'avais pas d'a priori sur le personnage, mais je ne serais pas surpris de le voir cité du côté des cercles complotistes tant il structure (si l'on peut dire) son propos autour de thèses fantasques, comme le fait que l'économie mondiale pourrait tourner avec seulement 20% de la population et qu'une élite travaillerait à aliéner les 80% restants à base de "tittytainment" (contraction de titty et entertainment : rien de sexuel, uniquement la mise en place d'une omniprésence de divertissements abrutissants et d'une satisfaction suffisante des besoins primaires).
Quant à son usage des citations, c'est le fouillis total : l'impression qu'aucun des auteurs invoqués n'est analysé en détails. Aucun travail de contextualisation.
Plusieurs choses amusantes. Michéa doit avoir une haute opinion de sa personne : sa thèse susciterait une "indignation bien compréhensible en raison du travail intellectuel et psychologique qu'elle suppose pour être seulement envisagée". Et on a l'impression qu'il prend des positions réac simplement par posture, parce que selon lui il n'y a plus de gauche non-capitaliste (mais il faut voir sa définition de la gauche, du socialisme, du marxisme, c'est assez désastreux).
Note sur la suppression générale des partis politiques (1950)
Sortie : 1950 (France). Essai, Politique & économie
livre de Simone Weil
Morrinson a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Simone Weil (1909 - 1943) : philosophe humaniste française.
Simone Veil (1927 - 2017) : magistrate et femme d'État française
La confusion assez naturelle qui découle de cette homonymie a quelque chose de plutôt cocasse, dans le sens où la carrière de l'une correspond à ce que la carrière de l'autre a contribué à dénoncer. Simone Weil, dans cette courte "Note sur la suppression générale des partis politiques", expose un point de vue tranchant, de manière simple, claire, mais aussi troublante à plusieurs titres. Pour peu qu'on soit capable de mettre de côté les aspects de l'analyse qui sont uniquement tributaires de l'époque (1940...) et quelques hypothèses avancées un peu abruptement comme des vérités, l'essai s'avère incroyablement pertinent et percutant. Ça en devient déroutant tant une grande partie du constat et du raisonnement correspond à ma vision personnelle de la vie politique institutionnelle contemporaine, sans jamais être parvenu à le formuler de manière aussi condensée et éloquente.
Weil porte dans une certaine mesure l'héritage du contrat social de Rousseau, opposée de manière assez radicale à la philosophie de Hobbes. On peut de temps à autre y voir une certaine naïveté, notamment dans la foi qu'elle nourrit à l'encontre de la Vérité, qui serait toute entière contenue dans chaque individu, mais cela ne n'entache pas le raisonnement. Parmi les principaux éléments de constat, on peut noter ceux-ci :
- L'essence des partis politiques s'articule autour de trois points : une machine à fabriquer de la passion collective, une organisation exerçant une pression collective sur chacun de ses membres, et une entité dont l'unique fin est sa propre croissance illimitée.
- La démocratie n'est pas une fin en soi mais un moyen en vue de tendre vers le bien.
- La démocratie, telle qu'elle est définie en théorie (le peuple dispose du pouvoir souverain), n'a jamais été expérimentée — en Europe du moins. À ce sujet, "dans ce que nous nommons de ce nom, jamais le peuple n'a l'occasion ni le moyen d'exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux intérêts particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont systématiquement, officiellement encouragées".
Sur la seule base de ces trois constats, difficile de ne pas éprouver une lassitude incommensurable, pour ne pas dire une immense aversion, à la lumière de ce qu'est devenu l'organisation de la vie politique au XXIe siècle.
[suite en critique]
Cent ans de solitude (1967)
Cien años de soledad
Sortie : 1968 (France). Roman
livre de Gabriel García Márquez
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
D'un côté, difficile de cacher ma relative déception devant ce qui est souvent décrit comme le monument officiel de la littérature sud-américaine. La lecture du roman, empreint d'un style aussi dense (que l'on qualifiera de lourd si l'on n'a pas peur), tolère très mal le papillonnage : c'est une œuvre qui demande une implication totale pour ne pas se retrouver perdu, noyé dans le flot des personnages et des épisodes cycliques. Même au-delà de ce mode de lecture totalement inadapté, j'ai eu du mal à me satisfaire de cette ambiance dont on s'imprègne très vite, un peu comme si une machine moulinait dans le vide en décrivant avec talent des situations qui ne mènent nulle part. Je pense que j'ai reçu des promesses erronées qui ne se sont donc jamais réalisées.
De l'autre, difficile ne pas ressentir la puissance du récit, doté d'un souffle impressionnant. Deux phrases, la première et la dernière.
"Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire la connaissance avec la glace."
"Mais avant d'arriver au vers final, il avait déjà compris qu'il ne sortirait jamais de cette chambre, car il était dit que la cité des miroirs (ou des mirages) serait rasée par le vent et bannie de la mémoire des hommes à l'instant où Aureliano Babilonia achèverait de déchiffrer les parchemins, et que tout ce qui y était écrit demeurait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible, car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance."
Même si on n'a pas accroché viscéralement, même si on s'est un peu perdu dans le dédale de l'arbre généalogique, on ne referme pas le livre sans que rien ne se passe. Ce style si particulier (réalisme magique), associant des passages presque documentaires dans la description du cadre historique et géographique à des motifs surnaturels de la plus naturelle des manières. Des morts reviennent parmi les vivants sans que cela ne suscite tant d'émoi. Il y a une forme d'impassibilité intéressante dans la façon de raconter des faits soit effroyables soit extraordinaires. La malédiction de la famille Buendia annoncée par le gitan Melquiades hante tout le roman. La solitude et l'abandon semblent couler dans les veines de tous les personnages, meurtris par des histoires de cécité, de fuite, de mensonge, de tromperie, et de guerre. Tout cela forme un décorum étrange, passionnant ou lassant.
Visa pour l'image 2019 (2019)
Sortie : 2019. Photographie
livre de Jean-François Leroy
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
Belle synthèse du festival du photojournalisme de cette année, dans la continuité de ce que peut proposer la revue 6 Mois dans certaines de ses rubriques. Les sujets traités sont très durs pour la plupart, il est souvent question de conflit ou de tragédie, parfois sur des sujets bien connus avec un angle singulier, ou bien sur d'autres beaucoup plus confidentiels. Les résumés des travaux sont intéressants car le format varie beaucoup, tantôt du côté de la biographie inoffensive, tantôt donnant une vision très personnelle du métier de photojournaliste. Les journaux pour lesquels ils travaillent sont assez variés, des très connus National Geographic et autres New York Times aux publications moins célèbres ou plus générales.
L'excentricité de la foi aux États-Unis, la mortalité infantile en Sierra Leone, les migrants d'Amérique centrale, des prisonniers sud-américains, des conflits en compagnie de Pierre Schoendoerffer, les gilets jaunes, des bombardements en Syrie, des questionnements existentiels de photographes baroudeurs qui ont fait 15 fois le tour du monde, l'ère post-Chavez au Venezuela, le tourisme de la faune en Asie du Sud-Est, la guerre civile en Libye, la guerre sans fin au Cachemire... Les sujets sont très variés, certains très convenus et d'autres très originaux. Joli panorama qui rappelle, si besoin était, que ces gens-là ne vivent pas la même vie que nous.
Sempé - Pour la liberté de la presse - n°61 (2019)
Sortie : 4 juillet 2019.
livre de Reporters sans frontières
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
C'est le format, surtout, qui est ingrat. Cet assortiment de dessins de Sempé est précédé par un mini dossier sur l'état de la (liberté de) la presse en 2019, typique des articles de Reporters sans frontières. Cette première partie n'est pas franchement faramineuse. Et n'étant pas un grand amateur des travaux de Sempé, au-delà du coup de crayon avec ses lignes claires et épurées qui c'est vrai m'inspirent une certaine douceur, ce recueil n'a pas grande valeur à mes yeux.
Campagnes françaises (2019)
Sortie : 2019. Photographie
livre de Thibaut Cuisset
Morrinson a mis 6/10.
Annotation :
Moins passionnant que les photographies de Depardon sur le même thème, les photographies de Thibaut Cuisset proposent tout de même une belle radiographie des coins de campagne française, des années 1990 aux années 2010. Des paysages uniformément dépourvus de présence humaine, des bords de plages normandes jusqu'aux vignes occitanes.
L'Expédition du Kon Tiki
"Kon-Tiki" Ekspedisjonen
Sortie : 1 janvier 1948 (France). Récit
livre de Thor Heyerdahl
Morrinson a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Le récit de l'expédition du Kon-Tiki écrit par Thor Heyerdahl en 1948, d'après les notes de son journal de bord, est un excellent complément au pendant cinématographique (ici) qui sortit 2 ans plus tard, sous le même nom. Les images de l'expédition maritime à travers l'Océan Pacifique viennent très agréablement illustrer la description factuelle des événements, et les détails du contexte historique, des préparatifs ou de l'état d'esprit du groupe complètent tout aussi agréablement le compte-rendu graphique. Deux approches différentes pour raconter un voyage un peu fou, initié par un pari en marge d'une réflexion scientifique : traverser l'océan du Pérou jusqu'en Polynésie, en passant près de l'île de Pâques, à bord d'un radeau construit selon un procédé fidèle à la civilisation inca. L'objectif de l'anthropologue et archéologue norvégien était de démontrer par l'expérience la validité de l'hypothèse selon laquelle les îles polynésiennes avaient pu être colonisées par des peuples sud-américains issus de l'ère précolombienne.
Le livre montre très bien comment le groupe d'apprentis explorateurs s'est constitué de manière chaotique autour de la personne de Heryerdahl, au gré du hasard et des rencontres fortuites. On réalise assez vite à quel point cette expédition s'avère dangereuse, avec 5 Norvégiens et 1 Suédois tous rigoureusement amateurs en matière de navigation (pour reproduire les conditions des apprentis marins incas), réunis en partie pour tenir tête à une communauté scientifique, décrite comme sceptique et méprisante, qui affirmait que la traversée du Pacifique sur un radeau rudimentaire était évidemment impossible. Peu importe si on sait aujourd'hui, grâce à des moyens plus performants, que les îles polynésiennes ont été peuplées par des cultures asiatiques : la beauté du geste, un peu comme une conquête de l'inutile chère à Herzog, reste entière.
Suite en critique.